Samuel Furfari : « Le dogme écologique allemand est en train de détruire l’économie française »

Par Julian Herrero
4 février 2025 13:02 Mis à jour: 4 février 2025 14:10

ENTRETIEN – L’ancien fonctionnaire européen, professeur de géopolitique de l’énergie et auteur d’Énergie, mensonges d’État. La destruction organisée de la compétitivité de l’UE (L’artilleur, 2024) analyse pour Epoch Times les causes de la destruction de la filière nucléaire française.

Epoch Times : Samuel Furfari, vous avez écrit, dans une tribune dans Le Figaro, que « l’Allemagne s’oppose depuis longtemps à l’industrie nucléaire française, en partie pour des raisons historiques, politiques et économiques ». Pourriez-vous revenir sur les raisons historiques ?

Samuel Furfari : Après la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne est devenue très pacifique. Depuis lors, elle a conservé cette position. Beaucoup d’Allemands confondent encore bombes atomiques et centrales nucléaires. C’est ce que les opposants au nucléaire leur ont inculqué.

Mais il y a une autre raison moins connue, qui explique le rejet du nucléaire outre-Rhin : pendant la guerre froide, l’Union soviétique accusait un certain retard par rapport aux pays occidentaux en matière de développement de cette énergie. Ainsi, ils ont essayé de saboter le nucléaire au départ, de l’Allemagne de l’Est. Ce qui était aisé à l’époque puisque la RDA était remplie d’espions soviétiques rendant la barrière de la langue inexistante. L’URSS a donc endoctriné la population allemande et cette dernière a développé une peur irrationnelle du nucléaire.

Puis, il y a eu en 1986, l’explosion de la centrale de Tchernobyl qui est venue confirmer les amalgames des opposants à l’atome. Et surtout, le tsunami de Fukushima – qui a provoqué une explosion d’hydrogène (et non pas nucléaire) -, a fini par emporter l’énergie propre et bon marché.

Entre-temps, la France avait considérablement développé son industrie nucléaire, lui permettant ensuite de disposer d’une électricité très bon marché. L’Allemagne, voyant que l’Hexagone bénéficiait de nombreux avantages grâce à cette énergie, a commencé à faire le nécessaire pour qu’il ne puisse poursuivre le développement du nucléaire.

Cependant, n’oublions pas que les gouvernements français successifs ont aussi joué un rôle majeur dans le sabordage de la filière. En 2012, pour avoir une majorité, le Parti socialiste de François Hollande s’est allié avec les Verts et a détruit l’industrie nucléaire française. Une politique poursuivie par Emmanuel Macron dès 2017. Aujourd’hui, nous en payons les conséquences.

Peut-on dire que l’affaiblissement du nucléaire français est une manière pour Berlin d’asseoir sa domination sur l’Europe ?

Bien sûr ! L’Allemagne est d’ailleurs la première puissance européenne depuis des années. Que ce soit économique, technologique ou démographique. Elle domine l’UE. Les chefs de cabinet des présidents de la Commission ont souvent été allemands.

Il n’y a pas besoin d’avoir un président allemand pour dominer la Commission, avec un chef de cabinet allemand.
Ces derniers ont sabordé le nucléaire à l’intérieur de la Direction générale de l’énergie.

Ensuite, des personnalités comme Frans Timmermans, ancien premier vice-président exécutif de la Commission, ont appuyé cette destruction du nucléaire. Il voulait même exclure cette énergie de la taxonomie européenne ! Il a fallu que onze pays s’opposent à cette mesure pour qu’il y renonce.

Par quels moyens Berlin a-t-elle affaibli la filière nucléaire française ? Un rapport de l’École de guerre économique (EGE) de juin 2023 pointait du doigt les « conséquences néfastes de l’action des fondations politiques allemandes ». Qu’en pensez-vous ?

L’Allemagne a affaibli le nucléaire français avec le lobbying. Cette pratique, en soi, est légitime. Il est tout à fait normal que des industriels ou des organisations défendent leurs intérêts au sein des institutions.

En outre, quand vous êtes puissant et que les autres sont indolents, vous avez plus de chance d’imposer votre volonté aux autres. C’est ce qui s’est passé entre l’Allemagne et la France sur le nucléaire.

Mais au-delà de la force des Allemands, la naïveté et l’absence de stratégie des Français ont aussi mis à mal l’industrie nucléaire.

Vous parlez de naïveté. Le terme « couple franco-allemand » a été mis en avant par nos dirigeants successifs. Est-il révélateur de leur crédulité ?

Exactement. D’ailleurs, je ne crois pas que les Allemands se vantent à longueur de journée de former un « couple » avec les Français…

Mais il est certain que l’Allemagne domine la France dans le domaine de l’énergie. C’est elle qui a dicté la politique à mettre en œuvre. Les Allemands sont à l’origine du terme EnergieWende (qui désigne un tournant rapide, mais que nous avons traduit par un terme plus doux : « transition énergétique ») et l’ont imposé au reste de l’Europe. Je suis formel.

Dans un rapport publié le 14 janvier sur la filière EPR, la Cour des comptes a notamment souligné les « surcoûts, retards et incertitudes trop nombreux » . La relance du nucléaire français n’est donc pas pour demain…

C’est la conséquence des choix politiques de François Hollande visant à réduire le nombre de réacteurs nucléaires. À partir du moment où vous prétendez que le nucléaire appartient au passé et que l’avenir réside dans les énergies renouvelables, vous perdez de la main-d’œuvre compétente. Les jeunes ne cherchent plus à se spécialiser dans le nucléaire et se dirigent vers d’autres cursus. Voilà l’origine du sabotage !

La reconstruction de la filière va donc prendre un certain temps. Et pour la France, le défi de la reconstruction sera d’autant plus difficile que d’autres nations telles que le Canada, la Chine, la Russie et la Corée n’ont cessé de développer leur industrie nucléaire.

Ce sont d’ailleurs des acteurs crédibles. Aujourd’hui, quand les Français veulent vendre leurs centrales à l’étranger, ils ne sont plus pris au sérieux. C’est ce qui s’est passé en Pologne, en Ukraine et en Croatie. La France a considérablement perdu sa crédibilité.

À l’heure où l’Amérique de Donald Trump entend produire massivement des énergies fossiles et où la Chine communiste développe considérablement son industrie nucléaire, quelles politiques doivent mener l’Europe et la France pour ne pas décrocher ?

La sortie du Pacte vert est la seule et unique solution. Il ne faut surtout pas commencer à modifier tel ou tel article ou retarder sa mise en œuvre. L’ensemble du Pacte doit être rejeté. Le dogme écologique allemand est en train de détruire notre économie.

C’est d’ailleurs l’objet de mon dernier livre : nous vivons la destruction organisée de la compétitivité de l’UE. Je note que Mario Draghi a publié en septembre un rapport dans lequel il admet que l’Europe a perdu sa compétitivité – ce que j’avais annoncé.

La parole commence à se libérer au sein des institutions européennes. La semaine dernière, j’étais invité à parler à l’occasion des débats de l’UE (EU debates), à Bruxelles. Il y avait un fonctionnaire de la Commission, un lobbyiste vert, un industriel suisse qui vend du gaz et des énergies renouvelables et moi-même.

À la fin de la conférence, des gens se sont dirigés vers moi pour me remercier d’avoir abordé certains sujets. Depuis trop longtemps, il y a une véritable omerta qui empêche de dire la vérité.

Et puis, il y a un événement remontant au 3 février. Le nouveau gouvernement belge de centre-droit relance fortement l’énergie nucléaire avec le maintien de 4 GW de réacteurs qui devaient fermer, 4 GW de nouveaux réacteurs, un SMR de Génération IV de démonstration et surtout la demande que l’UE reprenne au sérieux l’article premier du traité Euratom, qui impose à la Commission européenne de développer cette énergie pour « l’élévation du niveau de vie dans les États membres » (sic). On peut dire que de l’Atomium à l’Euratom, la Belgique devient le phare de la renaissance nucléaire européenne.

Heureusement, les mensonges ne durent pas et, encore une fois, je vois que la parole se libère. Il était temps ! Trop d’industries ont été sacrifiées. S’ajoute à cela le récent scandale du Greengate. Il est quand même invraisemblable que la Commission européenne ait financé des ONG vertes visant à défendre le Pacte vert…

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