Le principe commercial d’évolution des avantages comparatifs, auquel s’ajoutent d’intenses pressions politiques, explique pourquoi Apple a décidé de transférer une grande partie de sa production d’iPhones de la Chine vers l’Inde, le Vietnam et d’autres marchés, et pourquoi d’autres multinationales sont de plus en plus réticentes à opérer en Chine, rapporte un expert du commerce et des marchés financiers à Epoch Times.
Des rapports indiquent qu’Apple a généré 14 milliards de dollars grâce à sa production d’iPhones en Inde au cours de la dernière année fiscale, et les spéculations vont bon train quant à la raison pour laquelle l’entreprise américaine a décidé d’accorder moins d’attention à la Chine. Le pays est depuis longtemps une source abondante de main-d’œuvre bon marché pour les entreprises internationales, et ce, malgré les problèmes bien documentés en matière de droits de l’homme et les inquiétudes concernant une éventuelle invasion de Taïwan.
Foxconn, un fournisseur d’Apple, a commencé à fabriquer l’iPhone 15 en Inde à l’été 2023, a rapporté Bloomberg en août 2023, et le nombre d’iPhones qui y sont fabriqués augmente rapidement. D’autres entreprises technologiques, telles que Dell et HP, se sont également implantées en Inde, au Vietnam, au Mexique et sur d’autres marchés, et cette tendance ne semble pas près de s’atténuer.
Si les problèmes de droits de l’homme en Chine et l’apparent génocide de la minorité ouïghoure dans la région du Xinjiang ont fait l’objet d’une attention croissante ces dernières années, la réalité est que ce sont principalement des facteurs économiques qui expliquent la volte-face des entreprises occidentales.
L’évolution de l’avantage comparatif est le principal moteur de cette tendance, selon Shang-Jin Wei, professeur de commerce et de finance en Chine à la Columbia Business School de New York.
Des pâturages plus verts
Au cours des quatre dernières décennies, les multinationales ont cherché à exploiter le coût relativement faible de la main-d’œuvre disponible en Chine pour les travaux d’assemblage nécessitant beaucoup de main-d’œuvre, ainsi qu’un réseau d’approvisionnement local fiable, a expliqué M. Wei à Epoch Times. Mais aujourd’hui, la dynamique a changé de manière significative, ajoute-il.
« Avec un salaire trois fois plus élevé en Chine qu’en Inde et au Vietnam, le désavantage en termes de coûts finirait par l’emporter sur l’avantage de la chaîne d’approvisionnement locale », a déclaré M. Wei. « Par conséquent, il est logique de délocaliser cette production dans des pays à bas salaires ».
M. Wei a mentionné les droits de douane d’une valeur de 250 milliards de dollars qui ont été mis en place par l’ancien président américain, Donald Trump, et que Joe Biden, jusqu’à présent, a choisi de maintenir. Selon lui, ces droits de douanes sont le deuxième facteur expliquant la délocalisation des activités de la Chine vers d’autres marchés.
« Les droits de douane Trump-Biden sur les importations en provenance de Chine rendent artificiellement les exportations chinoises moins attrayantes que les exportations vietnamiennes ou indiennes. Cela renforce bien sûr l’argument des coûts salariaux », dit-il.
En outre, le gouvernement américain et d’autres gouvernements ayant menacé d’interdire l’expédition de puces avancées et d’autres composants critiques vers la Chine, les multinationales qui y maintiennent des activités sont confrontées à une incertitude considérable, dit-il.
Et le troisième facteur que M. Wei cite comme un facteur de dissuasion croissant pour les multinationales fabriquant des produits en Chine est la politique du Parti communiste chinois (PCC). Le régime de Pékin adopte depuis longtemps une position que M. Wei qualifie d’ « imprévisible » à l’égard des entreprises chinoises et internatioanles.
Pékin n’a pas protégé les droits de propriété intellectuelle des entreprises étrangères et les a obligées à se séparer de données exclusives par le biais de transferts de technologie forcés. Sur le plan national, le gouvernement a permis à Evergrande, un conglomérat actif sur le marché chinois de l’immobilier à fort effet de levier, de se développer dans une myriade de secteurs qui dépassaient ses domaines d’expertise, puis a mené une politique vindicative lorsque l’entreprise, profondément endettée, n’a plus été en mesure de faire marche arrière, en arrêtant notamment des membres de son personnel au début de l’année.
Les turbulences sur les marchés chinois ont contribué à pousser le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, BlackRock, à rétrograder son évaluation des actions chinoises de « neutre » à « surpondéré » en septembre 2023 et à liquider son fonds China Flexible Equity Fund en novembre dernier, après que le fonds n’ait recueilli que 22,3 millions de dollars d’actifs en près de six ans d’activité.
Malgré toute cette volatilité, M. Wei a reconnu que l’économie chinoise continue de croître à un rythme environ deux fois supérieur à celui du marché américain. Toutes les multinationales ne sont donc pas encore disposées à quitter le pays. Mais la mauvaise gestion de l’économie par le PCC contribue à un niveau de risque que certains dirigeants d’entreprise ne seront pas prêts à accepter, a-t-il ajouté.
Courants politiques
Si les facteurs économiques qui poussent les entreprises à plier bagages sont considérables, les pressions diplomatiques et les politiques féroces du Parti le sont tout autant et ont poussé certains dirigeants à ne plus vouloir gérer des usines en Chine.
Christopher Tang, directeur du département d’administration des affaires à l’Anderson School of Management de l’UCLA, abonde dans ce sens.
Selon lui, les chefs d’entreprise ont observé le potentiel d’autres marchés et envisagé une délocalisation, au moins partielle, bien avant l’accélération actuelle de la tendance. En fait, la stratégie « Chine plus un » a gagné en popularité depuis plus de dix ans, les dirigeants cherchant à diversifier leurs bases d’approvisionnement face à l’augmentation des coûts de main-d’œuvre en Chine, dit-il.
Puis l’administration Trump est arrivée en janvier 2017, et la guerre commerciale est passée à la vitesse supérieure l’année suivante.
« En raison de la pression politique, et de la pression sur les coûts, se tourner vers le Vietnam ou la Thaïlande était une démarche naturelle. Une fois que la dynamique s’enclenche et que la presse commence à en parler, le changement devient plus prononcé », a déclaré M. Tang à Epoch Times.
« Cela s’est produit avant 2018, mais le public n’était pas conscient de ce changement progressif. Les préoccupations humanitaires ont poussé les politiciens et les ONG à exercer des pressions », dit-il.
Selon M. Tang, c’est là que se trouve l’explication d’une tendance croissante illustrée non seulement par la délocalisation d’Apple en Inde, mais aussi par celle d’autres entreprises technologiques de premier plan. À titre d’exemple, M. Tang cite l’annonce faite par Dell en 2022 de son intention de transférer au moins 20 % de sa production d’ordinateurs portables au Vietnam, ainsi que l’abandon brutal de la Chine par HP l’année dernière et son choix du Mexique pour la production d’ordinateurs portables commerciaux et de la Thaïlande pour celle d’ordinateurs portables grand public.
Pékin mécontent
L’élan politique qui sous-tend une grande partie de cette activité n’échappe pas à Pékin, et les dangers de représailles sont impossibles à ignorer, a déclaré M. Tang. Pour les dirigeants chinois, ces réorganisations sont en grande partie une critique contre le régime, et son bilan en matière de droits de l’homme et de démocracie.
« La dissociation avec la Chine par le biais du friend-shoring ou du near-shoring peut améliorer la résilience de la chaîne d’approvisionnement, mais elle n’est pas sans risque », dit-il, en identifiant quelques périls majeurs.
« Premièrement, cela peut déclencher des représailles. »
Par exemple, en mai 2023, Pékin a interdit aux opérateurs chinois d’importer des puces de Micron Technology, dit-il. Cette société américaine tire plus d’un dixième de ses 31 milliards de dollars de revenus annuels de la Chine, selon lui. L’administration chinoise du cyberespace reprochait à Micron de ne pas avoir respecté certaines normes de sécurité, sans préciser en quoi l’entreprise avait failli.
En septembre, les actions d’Apple ont chuté de 3,6 % à la suite d’informations selon lesquelles les fonctionnaires des agences du gouvernement central chinois ne pourraient plus utiliser l’iPhone, selon un rapport du Wall Street Journal, dit-il.
M. Tang a cité un rapport du Investors Business Daily datant de septembre 2023, selon lequel Texas Instruments, Qualcomm, Monolithic Power et d’autres grandes entreprises du S&P 500 tirent plus d’un quart de leur chiffre d’affaires annuel de la Chine. Ces entreprises, ainsi que d’autres sociétés technologiques américaines, pourraient être confrontées à de graves conséquences fiscales si les autorités chinoises interdisaient ou limitaient l’utilisation d’un plus grand nombre de produits en représailles à la fermeture et au départ des entreprises, a-t-il déclaré.
Il a cité une aversion croissante de la part des consommateurs chinois pour l’utilisation de produits américains à mesure que la guerre commerciale s’intensifie, notant un rapport de Barron’s selon lequel la part de marché de GM dans les ventes d’automobiles en Chine, y compris par le biais de ses coentreprises, a chuté d’environ 15 % en 2015 à moins de 10 % en 2022.
« La guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis s’intensifie et j’espère qu’elle ne débouchera pas sur quelque chose de plus grave, comme une guerre chaude. Il est essentiel que l’administration Biden maintienne un dialogue ouvert et équitable avec la Chine pour éviter une nouvelle détérioration », dit-il.
« Les liens économiques entre la Chine et l’Amérique ont profité à beaucoup, mais pas de manière égale. Cela crée des tensions, et les deux gouvernements ont besoin d’un plan pour réduire les inégalités de revenus pour leurs citoyens », dit-il.
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