ENTRETIEN – Sébastien Laye est un entrepreneur et économiste franco-américain. Il vient récemment de publier pour Contribuables Associés un rapport intitulé « Sortir de l’enfer bureaucratique français : la simplification administrative ». Il revient pour Epoch Times sur le plan d’action simplification présenté par le gouvernement la semaine dernière.
Epoch Times – Sébastien Laye, le plan d’action simplification comprend selon Bercy «50 mesures concrètes et mobilise tous les leviers y compris législatifs et réglementaires. Il redéfinit une méthode et pose les bases d’un changement systémique ». Comment l’analysez-vous ? Est-il à la hauteur d’une grande politique de simplification administrative ?
Sébastien Laye – Force est de constater qu’Emmanuel Macron a, pour la première fois, pris la mesure de l’ampleur du problème, probablement parce que les crises des Gilets Jaunes et des agriculteurs ont aussi mis en exergue des récriminations contre l’État bureaucratique.
Dans une étude récente pour Contribuables Associés sur la Simplification administrative, je rappelle que le dernier grand effort en la matière date du choc de simplification voulu par le président Hollande, qui a abouti notamment à la dématérialisation et le prélèvement à la source. Les mesures récentes annoncées par Gabriel Attal puis Bruno Lemaire sont dans la continuité de cet effort de dématérialisation, avec la volonté de supprimer les Cerfas ou le bulletin de paye simplifié.
Je retiendrai deux mesures phares (que nous demandions d’ailleurs dans notre rapport) : l’utilisation de l’intelligence artificielle (qui permettra de rendre crédible les objectifs de dématérialisation en traitant en temps réel nombre de demandes administratives) et les Tests PME, déjà en place chez nos voisins, qui forceront le législateur à envisager l’impact de toute nouvelle loi sur la vie des petites entreprises.
Toutefois, il ne s’agit pas d’une grande politique de simplification, car cette dernière exigerait de revoir les objectifs de notre droit bavard et l’organisation de notre État. Or je ne retrouve aucune annonce sur ces thématiques dans les déclarations récentes. On se contente de saupoudrage de mesures réclamées souvent par les entreprises pour débloquer des cas particuliers….
La suppression de tous les formulaires Cerfas semble être une mesure forte. Quel regard portez-vous sur cette mesure ?
Pour comprendre l’urgence d’un tel effort, permettez-moi d’abord un rappel pour vos lecteurs : s’il y a près de 1400 Cerfas aujourd’hui répertoriés par l’administration, certains comportent plusieurs annexes ou volets, et nous parlons donc de 4000 documents différents. Si la dématérialisation des Cerfas nous est promise depuis longtemps, dans la pratique nous devons souvent télécharger et remplir manuellement des cases.
La ministre Olivia Grégoire a promis la quasi-disparition des Cerfas à l’horizon 2030, ce qui me parait peu ambitieux. Aujourd’hui, un simple formulaire en ligne suffit à faire un disparaitre un Cerfa : quand l’administration crée un site ou un formulaire en ligne, le Cerfa devient invisible pour ceux qui passent à la procédure en ligne. On a souvent gardé les Cerfas pour les personnes âgées n’utilisant pas Internet !
Aujourd’hui, une intelligence artificielle pourrait juste dialoguer en langage naturel avec nous afin de récupérer la donnée et remplir les cases dans les Cerfas. Le terme « disparition des Cerfas » est un peu démagogue, en réalité si on ne change pas les organes de l’État, son appareil administratif, les procédures et autorisations demeurent : c’est juste que la technologie permettra aux citoyens et aux entrepreneurs de ne plus voir la paperasserie associée à ces procédures.
Chez certains de nos voisins, la dématérialisation est beaucoup moins avancée qu’en France, tout simplement parce que les citoyens ont peu à interagir avec l’administration, et acceptent donc de remplir trois formulaires par an.
En quoi ce plan est-il différent des « chocs de simplification » annoncés depuis des années par les gouvernements successifs de droite comme de gauche ? Ce plan d’action comporte-t-il des lacunes ?
Malheureusement il ne l’est pas et suscitera à nouveau des frustrations, à l’aune des crises sociales récentes que nous avons vécues. Tout ce qui a été annoncé me va parfaitement et représente je crois trois des douze mesures que je préconisais dans mon rapport sorti début avril. Mais je ne retrouve pas le changement d’approche que je demande, à l’instar d’autres comme le conseiller d’État Eoche Duval dans son dernier livre sur la simplification normative.
Il manque malheureusement essentiel. Comme dénoncé dans notre étude, le politique et l’État-Providence tendent en permanence à sécréter leurs propres normes, via la volonté des politiques et un droit bavard. Or chez Gabriel Attal, je ne trouve aucune réflexion pour l’instant sur le rôle et le sens de la norme, le périmètre de la loi qui devrait s’en tenir aux principes généraux sans chercher à régenter tous les détails de notre vie, encore moins les linéaments d’une réforme de l’État qui ipso facto réduirait la bureaucratie.
Ce nouveau plan s’attaque aux évidences (dématérialisation, tests, consultations, présentation des documents) largement documentés et demandés depuis quelques années, et évite une réflexion d’ensemble sur notre système administratif. Je pense que son impact, indéniable, n’ira pas plus loin que celui de la révision des politiques publiques de François Fillon ou du choc de simplification de François Hollande et Thierry Mandon. Chaque président a désormais sa réforme de la simplification comme il s’enorgueillit de sa « grande » réforme des retraites…
Le plan prévoit de « réduire et rationaliser le stock des normes ». Mais on a le sentiment que les normes ne cessent d’augmenter et de se durcir. Il y a quelques mois, les agriculteurs dénonçaient la surtransposition des normes européennes.
Il y a déjà vingt ans, le Vice-Président du Conseil d’État Renaud Denoix de Saint Marc parlait de notre « droit bavard » ou de la logorrhée verbale de la loi en France. Nos politiques et nos fonctionnaires, à travers les lois mais surtout les ordonnances et les multiples décrets (car le problème est encore plus vif au niveau du réglementaire que du législatif), ne peuvent s’empêcher de régenter tous les détails de la vie quotidienne des Français. Ainsi, quand on tente de mettre en place des nettoyages/toilettages du droit (en supprimant des normes, dans un secteur, par exemple récemment dans l’agriculture), le stock de normes se reconstitue bien rapidement.
La surtransposition des directives européennes, mais aussi la constitutionnalisation de certains principes (comme le principe de précaution) a contribué à ce phénomène d’un droit foisonnant qui s’auto-engendre, sans parfois aucune volonté humaine. Dans mon rapport, je reprends une idée formulée par Génération Libre en 2018, qui est de lancer un vrai Big Bang de nos codes, en recentrant la loi dans chaque domaine sur quelques principes généraux, afin de déléguer les détails d’application aux acteurs de terrain, maires ou chefs d’entreprise. Et nous l’avons déjà fait pour une partie du droit du travail avec la Commission Badinter il y a quelques années, cela a donné d’excellents résultats !
Selon un rapport de l’OCDE sur les « impôts sur les salaires » la France serait championne du monde des charges patronales. « Les employeurs en France paient 26,6% des coûts de main-d’œuvre sous forme de cotisations de sécurité sociale. Le niveau le plus élevé parmi les pays de l’OCDE », est-il écrit dans le rapport. Comment expliquez-vous que la France détienne ce record ?
Avec un pays détenant aussi un record de la dépense publique en Europe (56% du PIB dont plus de 30% en dépenses sociales) et un système social (retraites, santé, chômage) certes co-géré avec les partenaires sociaux mais en pratique coercitif et contrôlé par l’État (sans aucun choix privé), il n’est pas étonnant d’avoir des prélèvements obligatoires culminant à presque 45% du PIB ! Ce financement chez nous passe, en effet, par des cotisations ou charges et non directement par le système fiscal, mais in fine cela revient à une forme d’impôt insidieux (d’où le terme de prélèvements pour englober les deux). La structure même de notre État- Providence tout puissant explique ce haut niveau.
Elle est cependant de plus en plus contestée, pour deux raisons. La première est que le niveau de services rendu s’est écroulé, notamment dans la santé et à l’hôpital, et je n’aborderai même pas le sujet régalien qui n’est pas financé par ces charges mais par les impôts (mais ici même causes, mêmes effets). La seconde est le manque d’efficacité de cet État, d’où le sujet de la simplification.
Chez nos voisins, environ 20% des personnels publics sont affectés à des tâches administratives. Nous sommes à 30% chez nous…cette inefficience d’une administration pléthorique, qui nous coûte cher (en dette, en impôts, en prélèvements obligatoires), explique la pertinence et l’actualité du débat sur la simplification.
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