Le changement des comportements humains constitue l’une des clés pour résoudre les nombreux challenges auxquels l’humanité doit faire face, comme la montée en puissance des troubles psychiques chez les jeunes, la pollution effrénée de la planète ou la dépendance aux énergies fossiles.
Une préconisation récurrente vise à rendre le changement plus facile, en diminuant les efforts, les sacrifices et l’investissement nécessaires. Les citoyens sont, ainsi, souvent invités à adopter de nombreux « trucs et astuces » écologiques. Par exemple, le plan de sobriété énergétique prévoit une « campagne de communication autour des gestes simples au quotidien : je baisse, j’éteins, je décale » – ce qui pourrait laisser entendre que résoudre les problèmes environnementaux n’exigerait pas d’efforts et consisterait en une succession de gestes simples.
Néanmoins, des résultats en sciences comportementales suggèrent que la facilitation systématique des comportements moins énergivores et écoresponsables n’est pas sans risques et peut cacher des revers.
Plusieurs raisons expliquent, en effet, comment une plus grande facilité peut parfois s’avérer contre-productive et pourquoi un certain degré de difficulté peut même être souhaitable.
Perte de sens
Certains individus sont à la recherche d’activités capables de donner du sens à ce qu’ils font et de renforcer leur identité. Cette quête de sens et d’identité peut se concrétiser à travers des comportements écoresponsables. Certains d’entre eux s’avèrent plus porteurs de sens, précisément parce qu’ils impliquent des sacrifices comme le renoncement à un certain confort (diminution du chauffage) ou un investissement substantiel en temps ou en ressources (installation de panneaux solaires).
Il a par exemple été démontré que les individus peuvent donner plus à une œuvre caritative lorsqu’ils sont sollicités après une course épuisante dédiée à cette œuvre. De même, le plogging ou le fait de ramasser des déchets tout en faisant son jogging, ce qui entraîne un niveau d’efforts généralement plus élevé, semble compter de plus en plus d’adeptes et ce dans de nombreux pays.
Effet de licence morale
Une autre raison pour laquelle la facilitation du changement n’est pas forcément souhaitable est liée à la compensation morale. Par exemple, le fait d’éteindre les lumières en quittant une pièce peut donner à l’individu le sentiment que cette « bonne action » lui ouvre en quelque sorte un droit à s’engager dans une action moins vertueuse, comme le fait d’utiliser un véhicule polluant pour des trajets de proximité.
Cette autorisation à se comporter mal pourrait même être déclenchée par un comportement anticipé (demain, je prévois de faire telle bonne action), voire par la bonne action d’un proche (mon conjoint prend le vélo, je peux donc m’autoriser à utiliser la voiture).
Le problème s’aggrave lorsque la bonne action s’avère mineure ou seulement symbolique (comme afficher un sticker en faveur de la planète) en comparaison de la « mauvaise action », aboutissant à une situation ou à un effet global négatif sur l’environnement.
Par exemple, certains habitants qui ont été encouragés à diminuer leur consommation d’eau ont vu leur consommation d’électricité augmenter.
Risque d’ennui et de désengagement
Enfin, une plus grande facilité peut être synonyme d’ennui, conduisant au désengagement de certains individus.
Ces derniers aiment les challenges et recherchent des activités susceptibles de nourrir leur besoin de relever des défis. Des objectifs environnementaux trop simples et souvent exprimés avec des formulations négatives (ne pas prendre de douches trop longues, ne pas utiliser des détergents nocifs pour l’environnement, arrêter de manger de la viande) vont à contresens de ce besoin et sont donc peu susceptibles de les motiver.
Au lieu de générer un engagement créatif, voire de la passion au service des grands enjeux humains, ces comportements faciles conduisent à une forme de passivité et d’apathie générales.
Faire coïncider compétences et défis
Il existe heureusement quelques stratégies pour mieux calibrer et communiquer la difficulté du changement aux attentes des individus. Des travaux ont par exemple montré que les meubles à monter soi-même (comme ceux d’Ikea) utilisent une dose optimale de difficulté où la tâche n’est ni trop facile (empêchant l’individu d’y prendre du plaisir), ni trop difficile (ce qui serait démotivant).
S’assurer que le changement désiré permet aux individus d’exprimer leurs compétences et reformuler le changement avec des termes communiquant le défi ou l’aspect ludique peuvent augmenter la motivation des individus en faveur du changement.
Certaines organisations (entreprises, municipalités) ont conçu ou utilisé des applications ludiques permettant de relever des défis (faire au moins 30 km de vélo durant la semaine et obtenir 200 points) et même de comparer les performances avec d’autres.
Une question de dosage
Pour les individus à la recherche de sens et d’identité, les témoignages de modèles attestant que certains changements comportementaux écoresponsables ont su remplir ce rôle peuvent être déterminants.
Rappeler que les changements proposés correspondent à ce que pratiquaient déjà les générations passées ou mettre en évidence les bénéficiaires de ces changements peuvent aussi constituer de puissants leviers pour trouver du sens et renforcer l’identité à travers l’adoption de certains comportements.
En résumé, même si l’option de faciliter les choses au maximum est séduisante, tout est une histoire de dosage en fonction des changements et des individus concernés. Trop de facilité ou trop de difficulté peuvent s’avérer néfastes, d’où l’importance de calibrer le niveau de difficulté à différents sous-groupes de la population visée.
En d’autres termes, tout l’art consiste à identifier et à proposer un changement où le niveau de difficulté vient renforcer la motivation des individus considérés à faire leur part pour un monde meilleur.
Article écrit par Naoufel Mzoughi, Chargé de recherches en économie, Inrae; Deborah Peterson, Chercheuse, Australian National University et Gilles Grolleau, Professor, ESSCA
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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