La campagne victorieuse de Nicolas Sarkozy en 2007 a-t-elle été financée par le dictateur libyen Mouammar Kadhafi ? L’ancien président de la République sera de retour au tribunal à partir de janvier pour répondre, avec plusieurs anciens ministres, de soupçons de corruption internationale.
Au terme de 10 ans d’enquête, les juges d’instruction ont estimé les charges suffisantes pour accréditer un scenario digne d’un film : celui d’un ministre aux ambitions présidentielles, qui conclut un pacte secret avec un richissime dictateur afin qu’il finance sa campagne électorale, en échange d’un retour en respectabilité diplomatique.
Une « fable », s’est toujours insurgé Nicolas Sarkozy, pour qui cette procédure judiciaire est la plus infamante de toutes. Si ce financement avait existé « de façon si massive » – il s’agirait de plusieurs millions d’euros – « pourquoi n’y en a-t-il aucune preuve ? Pas même un début de commencement ? » a-t-il lancé pendant un interrogatoire. « Vous n’avez rien trouvé sur moi. »
Jugé du 6 janvier au 10 avril pour corruption, recel de détournement de fonds publics, financement illégal de campagne et association de malfaiteurs, Nicolas Sarkozy, 69 ans, encourt 10 ans de prison et 375.000 euros d’amende. Le tribunal peut aussi prononcer jusqu’à cinq ans d’inéligibilité.
L’ex-président à l’agenda judiciaire chargé pourrait, pour la première fois, arriver à l’audience avec un casier : le 18 décembre, la Cour de cassation se prononcera sur son pourvoi dans l’affaire Bismuth. S’il était rejeté, la peine d’un an de prison ferme pour corruption serait définitive et il serait convoqué ultérieurement pour se voir poser un bracelet électronique.
La haute juridiction se prononcera aussi en 2025 sur sa condamnation dans l’affaire Bygmalion, qui concerne ses frais de campagne mais cette fois pour l’élection perdue de 2012. Un dossier non sans écho avec l’affaire libyenne. « On peut raisonnablement estimer que le dépassement » de 20 millions d’euros en 2012 « a également existé en 2007, mais qu’il a été financé par des apports externes dont le principal pourrait avoir été l’argent libyen », ont écrit les juges d’instruction.
Un « pacte » conclu à Tripoli
Douze personnes comparaitront au côté de l’ex-chef de l’État, qui prévoit d’assister à un grand nombre des 40 journées d’audience prévues. Pour l’accusation, l’affaire débute fin 2005 avec un « pacte » conclu à Tripoli lors d’une visite officiellement consacrée à l’immigration clandestine, entre Mouammar Kadhafi, « Guide » autoproclamé de la Libye depuis 30 ans, et Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, qui pense alors à la présidentielle « pas simplement quand il se rase ».
Sept anciens dignitaires libyens ont attesté de cet accord, même si aucun d’eux n’en a été témoin direct.
Les contreparties supposées ? Une réhabilitation internationale : Kadhafi sera accueilli en grande pompe par Nicolas Sarkozy fraîchement élu président lors d’une visite controversée à Paris, première depuis 30 ans.
Mais aussi des signatures de contrats et un coup de main judiciaire à Abdallah Senoussi, directeur des renseignements libyens condamné à perpétuité en son absence en France pour son rôle dans l’attentat du DC-10 d’UTA en 1989, qui a coûté la vie à 170 personnes dont 54 Français. Plusieurs proches sont parties civiles au procès.
Des valises de grosses coupures
Parmi les prévenus se trouvent notamment les ex-ministres Claude Guéant et Brice Hortefeux, soupçonnés d’avoir été des intermédiaires officiels, ainsi que des officieux comme le discret Alexandre Djouhri ou le sulfureux et versatile Ziad Takieddine. Sur un compte de ce dernier ont été retrouvés trois virements des autorités libyennes pour six millions d’euros au total.
Ziad Takieddine a aussi évoqué des « valises » remises à Claude Guéant, contenant des « grosses coupures » qui pourraient s’être retrouvées dans les armoires du QG de campagne de Nicolas Sarkozy, selon l’accusation. L’ex-ministre Éric Woerth, trésorier à l’époque, rétorquera qu’il s’agissait de « dons anonymes » : il comparaitra pour complicité de financement illégal de campagne.
Nicolas Sarkozy conteste tout. Les accusations des Libyens ? Une « vengeance » s’expliquant par son soutien actif aux rebelles au moment du printemps arabe qui fera chuter Kadhafi, tué en octobre 2011. Les virements à Takieddine ? Une « escroquerie », selon sa défense, qui met aussi en doute depuis des années la fameuse « note libyenne » révélée par Mediapart évoquant un accord de principe du régime pour « appuyer » la campagne de Nicolas Sarkozy à hauteur 50 millions d’euros et l’agenda d’un ancien dignitaire libyen retrouvé noyé dans le Danube en 2012, qui portait mention de 6,5 millions de paiements pour la campagne.
Les enquêteurs n’ont pas pu déterminer un « montant fiable » de ce « financement libyen ». Et reconnu manquer de « preuve irréfutable ». Mais « dans les dossiers économiques et financiers il n’existe pas d’évidence », ont souligné les juges d’instruction qui défendent la méthode du « faisceau d’indices ».
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