Depuis mardi 18 avril, le Parlement européen fait l’objet de vives critiques à la suite de son vote en faveur d’un paquet de mesures pour lutter contre le réchauffement climatique, qui comprend notamment la mise en place d’une taxe carbone sur les carburants routiers et le chauffage des particuliers. En pleine crise inflationniste, de quoi faire craindre une nouvelle érosion du pouvoir d’achat des Français et un nouveau mouvement des Gilets jaunes. Si certains dénoncent un scandale social et démocratique, d’autres, à l’instar du chef du Parti conservateur polonais, n’hésitent pas à dénoncer une volonté d’imposer un agenda guidé par le « communisme vert », dont les seuls bénéficiaires seront les pays et citoyens européens les plus riches.
L’annonce de cette taxe carbone inquiète, tout particulièrement, en France. Dans un contexte de crise sociale causée par une inflation galopante dans l’Hexagone, le Parlement européen a adopté mardi 18 avril cinq textes du plan climat proposé par la Commission, qui en comprend 14. Intitulé « Fit for 55 » (pour « ajustement à l’objectif 55 »), cet ensemble de propositions vise à permettre l’atteinte de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre au sein de l’Union européenne d’au moins 55 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990.
Ce plan, qui doit encore être validé par le Conseil, comporte une réforme du marché carbone, une « taxe carbone » aux frontières de l’Union, mais aussi la mise en place controversée d’un « second marché du carbone », portant cette fois sur le chauffage et les carburants routiers.
Taxe carbone intra-UE
C’est dans ce cadre que dès 2027 — 2028 si les prix continuent à augmenter —, les ménages devront s’acquitter d’une taxe sur le carburant et le chauffage. Dépendant du cours du marché, son montant a été plafonné à 45 euros pour chaque tonne de carbone émise par particulier. En revanche, à partir de l’année 2030, ce plafond pourrait grimper à 100 euros.
La quantité moyenne de CO2 émise par Français en chauffage et en déplacement représentant chaque année 3,4 tonnes, selon le cabinet de conseil Carbon 4, le niveau de cette taxe pourrait représenter chaque année un montant maximal de 153 euros par Français, puis de 340 euros à partir de 2030, soit un coût annuel, dans un premier temps, de 612 euros, puis, dans un second, de 1360 euros pour une famille de quatre personnes.
Selon Stéphane Zuber, chercheur du CNRS au centre d’économie de la Sorbonne, cette somme ne sera pas directement prélevée dans la poche des consommateurs, mais sera payée par les fournisseurs d’énergie, qui la répercuteront sur les prix facturés à leurs clients, explique-t-il à Libération.
Fonds social pour le climat
Doté de 86,7 milliards d’euros pour les 27 États membres de l’UE, un Fonds social pour le climat (FSC) destiné à aider les microentreprises et les ménages vulnérables face à cette nouvelle taxation, doit être mis en place en 2026.
Les recettes du nouveau marché du carbone (ETS2) viendront alimenter l’essentiel de ce fonds, qui vise à financer des mesures temporaires de soutien direct aux revenus pour faire face à la hausse des prix du transport routier et du chauffage, mais aussi des investissements à long terme, comme la rénovation des bâtiments, l’intégration des énergies renouvelables, l’achat et les infrastructures pour les véhicules à émissions nulles ou faibles, ainsi que l’utilisation des transports publics et des services de mobilité partagée.
« Ce Fonds ne sera pas un chèque en blanc pour les États. Il aidera les ménages vulnérables dans leur transition énergétique, par exemple avec des subventions pour l’isolation ou pour des transports plus écologiques », a assuré l’eurodéputée Esther de Lange (PPE, droite).
Taxe carbone aux frontières de l’UE
Parmi le paquet de mesures votées par le Parlement, un nouveau « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » (MACF), aussi qualifié de « taxe carbone », qui sera appliqué aux secteurs jugés les plus polluants (acier, aluminium, ciment, engrais, électricité, hydrogène). Par ce mécanisme, les produits issus d’un de ces secteurs et importés depuis l’extérieur de l’UE se verront appliquer les critères du marché du carbone, sur lequel les industriels en Europe sont tenus d’acheter des quotas couvrant leurs émissions de CO2.
En revanche, les produits manufacturés dont la fabrication est issue d’un de ces secteurs jugés polluants à l’étranger, ne seront pas concernés par le MACF. Ainsi, un industriel qui importe, par exemple, de l’acier depuis un pays hors UE, devra se soumettre au règlement de cette taxe carbone, mais un produit confectionné à partir de l’acier issue du même lieu d’importation, en sera exonéré. De quoi entrainer de nouvelles délocalisations ?
L’eurodéputé LR François-Xavier Bellamy s’est félicité du vote en faveur de ce mécanisme d’ajustement carbone aux frontières : « Nous allons faire en sorte que ceux qui importent en Europe assument les mêmes règles et la même contribution carbone [que ceux qui produisent en Europe] ». Il a néanmoins tenu à souligner que « ce vote n’est pas un point d’arrivée, c’est un point de départ. Dès demain, nous tenterons de compléter ce qui manque encore dans ce mécanisme : faire en sorte qu’il inclue les produits manufacturés, pour que nous ne puissions pas voir advenir de nouvelles vagues de délocalisations. »
Il reviendra à l’importateur de déclarer les émissions liées au processus de production et, en cas de dépassement du standard européen, d’acheter un certificat d’émission au prix du CO2 dans l’UE. Si le pays exportateur est déjà doté d’un marché carbone, celui-ci paiera alors la différence. Projetés à plus de 14 milliards d’euros, les revenus tirés de l’implémentation de cette taxe carbone viendront ensuite alimenter les caisses de l’Union européenne.
Fin des « droits gratuits à polluer »
À mesure que montera en puissance – entre 2026 et 2034 – ce dispositif d’ajustement carbone aux frontières aux frontières, l’UE mettra progressivement fin aux quotas d’émission gratuits alloués aux industriels européens pour les soutenir face à la concurrence extra-européenne.
Selon l’ONG WWF, les industriels européens ont perçu l’équivalent de 98,5 milliards d’euros durant la période 2013-2021. En 2026, au moins 2,5% de ces « droits à polluer » gratuits seront supprimés, puis 10 % en 2028, quelque 48,5 % d’ici 2030, et, enfin, ils disparaîtront totalement en 2034.
En revanche, pour prévenir un désavantage concurrentiel sur le marché mondial, l’UE prévoit d’imaginer d’ici à 2025 un mécanisme de soutien aux industriels européens exportant vers des pays hors UE, sans tarification carbone comparable.
S’agissant des achats des « permis de polluer » sur le marché européen des quotas d’émissions (ETS), en vertu du nouvel accord, le rythme de réduction des quotas alloués par les États va s’accélérer en vue de contraindre les producteurs d’électricité et industries énergivores (sidérurgie, ciment…) à émettre moins de CO2. D’ici à 2030, les industriels visés devront diminuer leurs émissions de façon à atteindre l’objectif de réduction de 62 % des émissions par rapport à 2005 (contre un objectif précédent de 43 %).
« Le prix du carbone s’établira autour de 100 euros/tonne pour ces industries. Aucun autre continent n’a un prix du carbone aussi ambitieux », s’est félicité Pascal Canfin (Renew, libéraux), président de la commission Environnement au Parlement.
En outre, le marché carbone s’étendra graduellement au secteur maritime, aux émissions des vols aériens intra-européens, et à partir de 2028 aux sites d’incinération de déchets, sous réserve d’une étude favorable rendue par Bruxelles.
Un paquet climat vivement fustigé par les oppositions
« Ensemble nous allons faire de l’Europe le premier continent neutre climatiquement », s’est félicitée la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. Même son de cloche chez Emmanuel Macron : « Réforme du marché carbone et instauration d’une taxe carbone aux frontières : face à l’urgence climatique, les changements sont à l’œuvre. Avec le Pacte vert pour le climat, nos mesures sont les plus ambitieuses au monde et nous allons développer une industrie européenne verte ».
Si les délégations Les Républicains et Renaissance ont voté en faveur de ce paquet de mesures, le Rassemblement national, la France insoumise et une majorité d’Europe Écologie-Les Verts s’y sont opposés. À gauche, PS-Place publique s’est abstenu.
Estimant que « notre planète se trouve face à une bombe à retardement climatique », le président du RN Jordan Bardella a tenu à souligner, devant le Parlement, que le GIEC propose dans son rapport des « solutions à portée de main » qui sont « bien différentes de l’écologie punitive », « credo choisi par l’Union européenne » : « Le meilleur allié du climat, ce ne sont pas les taxes et les interdits, mais bien le progrès scientifique et l’innovation technologique », martèle l’eurodéputé, qui cite plusieurs outils de décarbonation de l’économie « sans sombrer dans le matraquage ni la décroissance ». Et l’eurodéputé de rappeler : « Il existe un pays qui a réalisé sa transition énergétique en deux décennies seulement : ce pays, c’est la France. La France du Général de Gaulle et du président Pompidou, qui aura su remplacer l’intégralité de son utilisation du charbon par de l’énergie nucléaire […] Il faut en finir avec la persécution irrationnelle du nucléaire. »
Côté LFI, le 18 avril, interpelant ses collègues sur l’extension du marché carbone aux transports et au logement, la députée Manon Aubry leur pose la question : « Voulez-vous des Gilets jaunes sur tous les ronds-points de l’Union européenne ? » Elle poursuit : « À croire qu’un certain nombre de dirigeants politiques, ici au Parlement européen, n’ont absolument rien appris de la crise qui a secoué en 2019 et en 2020 la France et le mouvement des gilets jaunes. Ce n’est pas aux classes populaires de payer le coût de la transition écologique, ce n’est pas aux classes populaires à qui on doit demander des efforts quand les premiers pollueurs sont du côté des grandes entreprises multinationales. »
Damien Carême (EELV) fustige, lui, un deux poids deux mesures, entre des industries polluantes, qui pourront continuer de bénéficier d’exemptions jusqu’à leur suppression totale en 2034, et des ménages qui pourraient être mis à contribution dès 2027 ou 2028 : « On a distribué aux industries des quotas d’émission gratuits, et certaines ont revendu ces quotas, et touché des milliards d’euros de bénéfices en spéculant dessus. Pendant ce temps-là, on propose d’étendre le marché carbone aux plus précaires… »
Une taxe carbone qui affaiblira l’industrie européenne
Dans l’émission « Face à l’info » du 20 avril sur CNews, le chroniqueur Guillaume Bigot a analysé le contenu et les conséquences de ces nouvelles mesures, tirant un constat sans appel. Tout d’abord, le journaliste estime que cette taxe carbone aux frontières européennes ne dispose d’aucune vertu protectionniste. Face à d’autres pays hors UE, les industries européennes resteront désavantagées sur le plan de la concurrence : en comparaison, une petite taxe carbone aux frontières est très insuffisante. En effet, des pays comme la Chine sont en capacité de produire et de commercialiser leurs produits à des prix bien plus attractifs du fait, énumère-t-il, de l’absence de protection sociale, d’une fiscalité plus avantageuse, de la manipulation de leur monnaie nationale, d’un niveau de salaires bas et de subventions accordées à l’industrie par l’État, doublées de mesures protectionnistes.
Ensuite, cette taxe carbone va également se déployer à l’intérieur de l’Europe, ce qui va mécaniquement « défavoriser les pays européens dans la concurrence dans des pays tiers, que ce soit sur le marché indien, chinois ou américain, qui ne sont pas soumis à pareille taxe carbone ». Un déficit de compétitivité qui sera accentué par la suppression progressive des quotas gratuits de pollution, initialement instaurés pour protéger des industries particulièrement exposées à la concurrence, et l’extension du marché carbone à de nouveaux secteurs, comme le maritime et l’aérien.
Troisièmement, cette taxe carbone ne s’applique pas aux produits manufacturés : « Exemple concret : si vous voulez payer de l’acier chinois qui contribue au réchauffement climatique, vous allez payer une taxe carbone à l’entrée de l’Europe. Mais si vous voulez importer une voiture chinoise qui contient de l’acier chinois, mauvais pour l’environnement, vous ne paierez aucune taxe. Donc c’est n’importe quoi évidemment. »
« À part la Wehrmacht, je ne vois pas de machine plus efficace à écraser les valeurs de la République que l’Union européenne »
Pour Guillaume Bigot, « le clou du spectacle », c’est cette taxe carbone, plafonnée dans un premier temps à 45 euros, qui sera imposée aux ménages : « Celle que les gilets jaunes avaient chassée par la porte en France, revient par la fenêtre européenne ». De quoi susciter son inquiétude par rapport à la montée des prix qui s’ensuivra : « Tout ce qui sera consommé en Europe avec cette taxe carbone deviendra plus cher. C’est finalement le consommateur — vous et moi — qui paiera ce verdissement absolument artificiel, absolument idéologique de l’Europe. Une Europe plus verte, c’est forcément une Europe plus chère. Ce qu’a décidé Mme von der Leyen, et elle est en très fière, le Parlement européen avec, c’est un appauvrissement de l’Europe. »
Quant au Fonds social pour le climat (FSC) destiné à aider les microentreprises et les ménages vulnérables, « pour aider les plus pauvres qui ne pourront pas payer la taxe, vous allez créer une taxe pour aider des gens qui ne peuvent pas payer une taxe. On est vraiment chez les fous », résume-t-il.
Aux yeux de l’éditorialiste, cette taxe carbone est un « scandale social », car « on est en pleine crise d’inflation », et un « scandale démocratique », car cette taxe est imposée à la France « par la Commission qui n’est pas élue, le Parlement européen qui est mal élu, et le Conseil européen où nos gouvernants peuvent être mis en minorité. » Et de conclure : « Pas de taxation sans représentation : n’est-ce pas cela les valeurs de la République ? À part la Wehrmacht, je ne vois donc pas de machine plus efficace à écraser les valeurs de la République que l’Union européenne. »
Des propos qui font écho à ceux du chef du Parti conservateur polonais (PiS), Jarosław Kaczyński. Dans une lettre citée à l’occasion d’un rassemblement organisé dimanche dernier par le ministre de l’Agriculture, Andrzej Adamczyk, celui-ci a accusé la « majorité de gauche libérale » au Parlement européen de vouloir imposer, par le biais du paquet climat, un agenda dominé idéologiquement par le « communisme vert », qui ne bénéficiera qu’aux pays et citoyens européens les plus riches au dépens des plus pauvres.
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