L’inflation aura-t-elle raison de la « montée en gamme » de l’élevage français ? Le pays, premier producteur de bœuf de l’UE, semble se tourner de nouveau vers l’élevage intensif alors que les consommateurs délaissent le bio en raison de la hausse des prix.
Dans le monde d’avant la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, l’heure était à élever moins d’animaux au m2, réduire le recours aux cages pour les poules et truies, augmenter le pâturage pour les vaches, conformément aux préconisations des vétérinaires.
En 2017, le Président nouvellement élu Emmanuel Macron avait ainsi défendu une « montée en gamme » de l’élevage français, notamment pour améliorer les conditions de vie des animaux, invitant à « arrêter des productions, qu’il s’agisse de la volaille ou du porc, qui ne correspondent plus à nos goûts, à nos besoins ». De ce discours, plus trace désormais du côté de la présidence. L’exécutif parle « souveraineté alimentaire » et baisse de la dépendance aux importations.
Les premiers prix privilégiés
Entre-temps, l’inflation est passée par là. Selon l’Institut national de la statistique (Insee), le prix des produits alimentaires a encore bondi de 11,1% en août sur un an. Résultat : les Français privilégient les premiers prix, se détournent du bio, dont les ventes pour la consommation à domicile ont reculé de près de 600 millions d’euros en 2022 sur un an.
Pascale Hebel, directrice chargée des tendances de consommation à la société de conseil C-Ways, remarque que seuls « 30% des Français ont les moyens de payer plus cher pour la qualité », contre 50% en 2017. « On doit arriver à dire qu’il faut travailler sur l’entrée de gamme », a affirmé mardi le ministre français de l’Agriculture Marc Fesneau, au premier jour du salon international des productions animales (Space) près de Rennes (ouest), en Bretagne, vitrine de l’agro-industrie en France. « Les questions de bien-être animal ne marchent que si on trouve quelqu’un qui paie » pour des produits plus chers, a-t-il ajouté.
Le discours résonne singulièrement en Bretagne, première région d’élevage, qui produit plus d’un porc sur deux et un poulet sur trois. Décrié pour ses coûts environnementaux (notamment la prolifération d’algues vertes due aux rejets agricoles), le modèle intensif qui s’y est développé après-guerre a encore le vent en poupe. « On a un objectif de reconquête » de la production standard, souligne Gilles Huttepain, cadre dirigeant du leader français de la volaille LDC (Le Gaulois, Maître Coq, Poulets de Loué…) et vice-président de l’interprofession Anvol.
À l’échelle nationale, « il faudrait construire 400 nouveaux poulaillers par an en standard pour reconquérir des parts de marché sur les importations », alors qu’un poulet consommé sur deux provient d’ailleurs.
Outre sa première place européenne pour la viande bovine, la France est le deuxième producteur de lait de l’UE et le troisième pour le porc. Elle se maintient aussi sur le podium pour les œufs, même si la production a reculé avec la grippe aviaire. Gilles Huttepain enfonce le clou : « On ne veut pas devenir la Suisse. Ils sont tellement montés en gamme qu’ils ont une production (agricole) folklorique, et le reste c’est de l’importation. »
« Retour en arrière »
Poussée par les pouvoirs publics, les supermarchés et les associations de protection animale, la filière œufs a quasiment tourné le dos aux cages (une poule sur quatre élevée en cage aujourd’hui en France, contre encore 44% en 2020). Un mouvement qu’Yves-Marie Beaudet, éleveur et président de l’interprofession de l’oeuf CNPO, regrette car les achats de ces œufs moins chers sont repartis avec l’inflation. « Notre problème, c’est que la demande du consommateur c’est le prix, le prix, le prix », abonde la directrice de l’interprofession porcine Inaporc, Anne Richard.
Il a été reproché aux professionnels du porc de ne pas prendre le train de la montée en gamme (moins de 1% de porc bio). « Peut-être que la résistance qui a eu lieu à l’époque n’était pas ridicule. Les gens qui ont investi dans le bio se retrouvent coincés » faute de débouchés, note-t-elle. Priorité désormais à la « compétitivité » et aux volumes pour faire des économies d’échelle.
« C’est un retour en arrière, à contre-courant des enjeux qu’on a devant nous », notamment de développer une alimentation de qualité, regrette Mathieu Courgeau, coprésident du collectif Nourrir, qui rassemble une cinquantaine d’organisations pour une refonte du système agricole et alimentaire.
Un prolongement de ce qui s’est fait « depuis les années 1960 : produire plus pas cher, quels que soient les coûts sociaux et environnementaux cachés », déplore l’éleveur laitier.
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