Réforme de la sûreté nucléaire, épisode 2 : l’IRSN, l’expert technique de la sûreté en France, sent la menace de nouveau planer sur son existence, dans le contexte d’une relance à toute force de l’atome par Emmanuel Macron.
En avril, le gouvernement a échoué au Parlement à fondre en mode express l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) dans l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le gendarme des centrales, sur fond de craintes sur la transparence, l’indépendance et la qualité de l’expertise.
La réforme, décidée à huis clos à l’Élysée le 3 février, visait à « fluidifier » les décisions de l’ASN. Et elle n’est pas du tout abandonnée, a toujours dit la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. « Le souhait du gouvernement de travailler à un rapprochement entre l’ASN et l’IRSN, à cadre de sûreté inchangé, n’a pas changé depuis février », confirme le ministère.
Une fusion des fonctions d’expertise et de gestion du risque
Le sujet est de retour via une mission de l’Office parlementaire des choix scientifiques (Opecst) sur « les conséquences d’une éventuelle réorganisation ». Les auditions sont menées à huis clos par un député Renaissance et un sénateur LR, et non l’Office dans son ensemble. Pourquoi ? Le député, Jean-Luc Fugit, « ne pense pas utile de communiquer à ce stade ». Alors que ce rapport est attendu mi-juillet, l’inquiétude revient à l’IRSN (qui emploie 1800 ingénieurs, médecins, géologues…). « Le risque d’un retour du projet de fusion est réel », redoute l’intersyndicale.
Le système dual actuel – à l’IRSN l’expertise, à l’ASN la décision – est né dans les années 2000 des leçons de la catastrophe de Tchernobyl puis des crises sanitaires des années 1990, avec la séparation entre les fonctions d’expertise et celles de gestion du risque : le travail de l’expert doit être guidé par le seul critère de sûreté, loin des préoccupations des exploitants.
Ce printemps, des rapports, lancés avant l’affaire, ont relevé la qualité du travail de l’IRSN, du Haut conseil de l’évaluation de la recherche (Hcéres), au bilan du sénateur LR Jean-François Rapin. Alors pourquoi le fondre ?
Le 31 mai, devant la commission des finances de l’Assemblée nationale, Mme Pannier-Runacher a cité un rapport de la Cour des comptes de 2014 : « des efforts restent à réaliser pour rationaliser les implantations de l’IRSN, et pour que la communication externe soit menée de façon plus concertée avec l’ASN ». Pour autant, ce rapport de 2014 concluait aussi qu’une fusion serait « inappropriée et inefficace »… À la ministre les députés de gauche ont exprimé leur incompréhension. « Ne jouez pas avec le feu », a dit Alma Dufour (LFI), évoquant les risques de désorganisation au moment où la charge de travail monte.
Des exigences de sûreté déraisonnablement élevées
Pour Yves Marignac, connaisseur du secteur, l’histoire a démarré à l’automne avec la corrosion sur des tuyauteries du réacteur de Cattenom 1. Sur fond de tensions sur l’énergie, EDF demande alors à pouvoir redémarrer; mais l’IRSN, qui a par ailleurs obligation légale de rendre ses avis publics, juge très incertaine la vitesse de propagation des fissures ; dans la foulée, l’ASN impose une réparation. « La filière défend l’idée qu’une part de ses difficultés vient d’exigences de sûreté déraisonnablement élevées, alors que ses difficultés sont organisationnelles et plus profondes, » dit ce spécialiste de l’énergie, opposé au nucléaire, membre des groupes d’experts de l’ASN. Chez EDF, on ne veut pas s’exprimer sur la réforme mais on en comprend les intentions, et on note qu’à l’étranger, des autorités de sûreté sont organisées avec des moyens techniques à leur disposition, ce qui les rendrait plus fluides…
Jean-Claude Delalonde, président de la Fédération des Cli, ces comités de riverains des centrales institués par la loi, voit dans cette affaire l’influence toujours forte d’« un microcosme » politique et économique. « On peut se pencher sur des améliorations du système, en mettant tout le monde autour de la table, pas sur la base d’un rapport fait en catimini », tonne-t-il.
« La sûreté a sûrement un coût mais elle n’a pas de prix »
« La sûreté a sûrement un coût mais elle n’a pas de prix. Aujourd’hui, on peut être contre le nucléaire mais on commence à avoir confiance. Si le gouvernement changeait le système, ce serait la fin de la confiance », prévient cet ex-maire d’une commune jouxtant Gravelines et sa centrale.
Le gouvernement dit attendre le rapport de l’Opecst. À l’IRSN, on redoute une réforme glissée dans le projet de loi énergies à l’été, ou dans le projet de loi de finances – auquel cas l’article 49.3 pourrait s’y appliquer.
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