« Tout est contraint par le nombre et par le temps. […] Sans cesse et sans souci est bafouée la loi imposant un emprisonnement visant à : “préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne condamnée”. »
C’est par ces mots que Dominique Simonnot, Contrôleure Générale des Lieux de Privation de Liberté, introduit le rapport publié cette semaine sur l’état des prisons françaises.
Il n’y a jamais eu autant de détenus écroués en France. 73.080 : il s’agit d’un record. Ce nombre comprend les détenus en attente de jugement et les condamnés. La surpopulation carcérale – le fait qu’il y a davantage de personnes détenues que de places pour les accueillir – est un mal chronique français régulièrement dénoncé, et même condamné, par l’Europe.
Ce phénomène structurel est alimenté par une politique fondée sur le carcéral, au détriment des peines alternatives à la privation de liberté. L’augmentation du nombre d’infractions poursuivies, encombrant les juridictions pénales, n’est pas un facteur isolé et participe même indirectement à cela.
Si des solutions à long terme sont envisagées, telles que la construction de nouveaux établissements, la rénovation du parc existant ou l’embauche du personnel nécessaire, à court et moyen terme, des solutions doivent être mises en place. Le législateur a choisi de recourir aux aménagements de peine pour tenter d’endiguer ce phénomène. Ces aménagements n’ont pourtant pas vocation à être utilisés comme des outils de gestion des flux carcéraux.
Ces mécanismes permettent d’exécuter en totalité ou en partie sa peine de prison ferme en dehors des murs de celle-ci (placement à l’extérieur, libération conditionnelle, etc.). Ils ont été pensés pour adapter l’exécution de la peine privative de liberté à chaque cas particulier afin qu’elle remplisse ses fonctions : punir et réinsérer. Or, la priorité donnée à l’endiguement de la surpopulation carcérale aboutirait-elle à un dévoiement de l’esprit des aménagements de peine ?
L’esprit initial des aménagements de peine
L’individualisation de la peine permet en théorie au juge pénal de choisir la « bonne peine » au moment de la condamnation, c’est-à-dire, la sanction la plus adaptée en tenant compte de la situation de l’auteur des faits, de sa personnalité ainsi que des circonstances dans lesquelles il a commis le fait reproché. Ce principe s’exprime aussi en cours d’exécution de la peine.
La réinsertion doit permettre au condamné de revenir dans la société en ayant intégré les règles de la communauté qu’il a violées pour mieux les respecter à l’avenir. En cours d’exécution de peine, l’octroi d’un aménagement de peine est conditionné à ses efforts pour se réinsérer, réussir une formation ou bien indemniser les victimes le cas échéant. L’aménagement de peine obéit à une logique de récompense pour l’inciter à adopter un bon comportement et être proactif dans ses efforts pour se réinsérer.
Un outil de gestion des flux carcéraux
Les réformes législatives successives ont détourné les aménagements de leur vocation première. Leur objectif semble désormais être de vider les prisons et éviter qu’elles ne se remplissent.
En premier lieu, les aménagements peuvent accompagner le prononcé d’une peine par le juge pénal. La loi prévoit que des courtes peines d’emprisonnement (jusqu’à un an depuis une réforme de 2019) peuvent être prononcées et immédiatement aménagées.
À titre d’illustration, un individu peut être condamné à six mois d’emprisonnement qu’il exécutera sous le régime d’un placement à l’extérieur. Il purgera alors sa peine en dehors d’un établissement pénitentiaire, en étant accompagné par une association, le service pénitentiaire d’insertion et de probation et sous le contrôle du juge. Cet aménagement peut sembler louable : il réduit les risques liés à une incarcération de courte durée), notamment pour des individus déjà insérés.
Cela ne saurait cacher une autre finalité. En effet, la surpopulation carcérale est alimentée essentiellement par les courtes peines d’emprisonnement. Le taux d’occupation dépasse les 140% dans les maisons d’arrêt, où se déroulent notamment ses peines. Il reste un peu inférieur à 100% dans les autres établissements. L’aménagement des courtes peines dès le prononcé a pour conséquence d’éviter une hausse du taux d’incarcération et de réguler le flux carcéral. S’ils restent des condamnés, ils ne sont plus détenus.
Une individualisation contrainte par les délais
Les contraintes de temps accentuent ce phénomène. Pour faire face à l’augmentation sensible de l’activité des juridictions correctionnelles, des procédures rapides de jugement sont mises en œuvre. La comparution immédiate permet par exemple de juger un nombre important de délits dans un temps court.
Or, pour être aménagée, une peine suppose une connaissance de la situation de l’individu et de sa personnalité au moment de son prononcé. Dans ces délais très contraints, encore faut-il qu’un temps puisse être consacré à ce travail.
Certains outils ont été développés à destination du juge. Menée lors du procès pénal, l’enquête sociale rapide permet par exemple de recueillir des éléments sur la situation matérielle, familiale et sociale de l’intéressé avant jugement. On peut néanmoins douter de la compatibilité d’une telle rapidité avec le travail nécessaire pour une individualisation satisfaisante de la peine lorsque un individu est souvent jugé à la chaîne, parmi des dizaines d’autres (39 minutes en moyenne pour juger et individualiser la peine en comparution immédiate).
Certes, après jugement, le renvoi vers un autre juge pour décider de l’aménagement est possible si l’enquête évoquée n’a pu donner de données suffisantes. D’après mes observations, cela demeure insuffisant pour pallier le manque de temps dédié à chaque cas. La logique gestionnaire semble prendre le pas sur l’objectif d’individualisation et donc de réinsertion pourtant inscrit dans la loi.
À ceci s’ajoute la volonté politique d’assurer un taux effectif d’exécution de peine. En effet, une peine privative de liberté prononcée et aménagée est une peine exécutée. Elle est mieux perçue par l’opinion publique qu’une peine prononcée en attente de mise à exécution faute de places.
Déploiement des aménagements automatiques
Une réforme de 2021 témoigne également de cette volonté de réguler le nombre de condamnés détenus. Une nouvelle forme de libération sous contrainte s’applique au condamné, dès que possible et de plein droit. Ici encore, une telle automaticité intrigue.
En cours d’exécution, les aménagements sont en principe subordonnés aux efforts du condamné pour œuvrer vers son amendement et sa réinsertion. Cet octroi de plein droit répond directement à un souci de gestion de flux pour faire baisser la pression carcérale. Ceci est, encore une fois, éloigné de la raison d’être des aménagements de peine.
Il ne fait guère de doute qu’une telle instrumentalisation afin de vider les établissements pénitentiaires marque un changement dans l’esprit de ces outils juridiques, jusqu’alors au service de l’évolution du condamné au cours de l’exécution de sa peine.
Quel avenir pour la réinsertion ?
La priorité donnée à l’endiguement de le surpopulation carcérale aboutit à un dévoiement de l’esprit des aménagements de peine. En allant vers l’automatisation plutôt que l’individualisation par les aménagements de peine, les évolutions récentes montrent un intérêt affaibli pour la réinsertion des condamnés.
L’automatisation en marche des aménagements pourrait donner l’impression que les pouvoirs publics souhaitent sortir du tout carcéral. En réalité, ces aménagements sont utilisés là où des peines alternatives à la prison pourraient être prononcées. On peut raisonnablement se demander si l’utilisation de modèles alternatifs ne serait pas davantage adaptée. Certaines peines comme le travail d’intérêt général pourraient, pour les très courtes peines, être tout aussi appropriées. Cette utilisation renforcée des aménagements de peine témoigne donc paradoxalement d’une posture selon laquelle seul l’enfermement permettrait de punir suffisamment celui qui a fauté.
Article écrit par Alexis Maitre-Millat, Doctorant en droit privé et sciences criminelles, Université de Bordeaux
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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