Juristes pour l’enfance, au côté de trois autres associations de protection de l’enfance, a débattu ce vendredi 17 avril devant le Conseil d’État de sa demande de retrait du tableau « Fuck Abstraction » exposé au Palais de Tokyo, accusé de faire l’apologie de la pédopornographie. The Epoch Times, qui a assisté aux délibérations, en a réalisé un compte-rendu que vous pourrez retrouver ici. À l’issue de l’audience, nous avons également pu interviewer Aude Mirkovic, porte-parole de Juristes pour l’enfance.
Etienne Fauchaire : Pouvez-vous nous rappeler le contexte dans lequel ce référé-liberté devant le Conseil d’État a été initié et ce que vous espérez de la part du juge ?
Juristes pour l’enfance : Nous avons été alertés par plusieurs personnes sur la présence de ce tableau dans l’exposition en cours au Palais de Tokyo. Ces personnes étaient choquées de voir cette toile exposée au public et elles nous ont contactés afin de savoir s’il y avait une possibilité juridique d’agir.
Nous avons immédiatement identifié deux infractions : tout d’abord, la diffusion de l’image ou de la représentation d’un mineur présentant un caractère pornographique (article 227-23 al. 1er du Code pénal), le Code pénal précisant que l’infraction est constituée lorsque l’image est celle d’une personne dont l’aspect physique est celui d’un mineur. En l’espèce, le tableau représente le dessin d’un homme maintenant la tête d’une silhouette à genoux, qui présente incontestablement les caractéristiques d’un jeune enfant : silhouette frêle, petite taille par rapport à l’adulte qui lui impose la fellation, absence de signes morphologiques laissant supposer qu’il pourrait s’agir d’un adulte. Les allégations ou même les intentions de l’artiste quant au fait que la personne représentée ne serait pas un enfant n’ont pas d’incidence : la loi précise bien qu’il suffit que l’aspect physique soit celui d’un mineur.
En outre, l’exposition étant ouverte aux mineurs — et gratuite pour eux ! — une seconde infraction est caractérisée, à savoir le fait de diffuser un message à caractère pornographique lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur (article 227-24 du code pénal).
Afin de faire cesser au plus vite cette situation, nous avons saisi le juge administratif en référé-liberté : il faut alors caractériser l’atteinte à une liberté fondamentale et l’urgence d’y mettre fin. En l’occurrence, il a déjà été jugé que l’intérêt supérieur de l’enfant est une liberté fondamentale pour la sauvegarde de laquelle il est possible d’agir ainsi en urgence. Nous considérons que l’exposition publique d’un tableau représentant une fellation imposée par un homme nu en érection à un enfant à genoux et ligoté réalise une atteinte grave à l’intérêt supérieur de l’enfant qu’il convient de faire cesser. Nous demandons donc au juge d’ordonner le retrait de ce tableau de l’exposition publique ou, au minimum, que cette exposition soit réservée aux adultes.
Quel est votre sentiment sur le déroulé de cette audience ?
L’audience au Conseil d’État a été de très bonne tenue, très bien menée par le Président qui a pris les points un par un, ce qui a permis une confrontation des points de vue ordonnée et constructive.
Nous avons expliqué notamment que l’exposition d’une scène de viol d’un enfant, on ne peut plus crue et explicite, contribue à la diffusion de la culture du viol d’un enfant. Le tableau n’est pas dans la suggestion mais on ne peut plus explicite : il représente un homme nu, dont le sexe en érection est dans la bouche d’un enfant à genou ligoté. C’est une œuvre pornographique qui représente une scène de pédocriminalité. La pornographie n’est pas interdite pas la loi, mais la diffusion de la pédopornographie l’est.
S’agissant de l’accès à ce tableau aux enfants, nous avons expliqué de quelle manière la pornographie crée une effraction dans le psychisme de l’enfant, d’autant plus violente ici qu’il s’agit d’un viol d’un enfant. Les psychologues parlent de viol psychique de l’enfant, avec des conséquences post-traumatiques qui sont maintenant bien connues : l’enfant aura tendance pour surmonter cette violence à la reproduire avec des comportements inadaptés voire violents pour lui-même et pour les autres. Ou bien, au contraire, le choc traumatique entraine un dégout et une aversion envers la sexualité qui resteront gravés dans la mémoire du jeune qui risque ensuite de rencontrer des difficultés dans la construction de sa personnalité et même de son identité sexuée.
Nous avons pu exposer tous nos arguments à l’audience. Nous attendons maintenant le délibéré sereinement. Nous ne pouvions pas faire plus.
Vos détracteurs vous accusent de vouloir censurer la liberté d’expression et de création de l’artiste. Si cette scène choque, c’est parce qu’elle vise à sensibiliser le public aux horreurs de la guerre, expliquent-ils, et la retirer impliquerait de retirer d’autres œuvres qui dénoncent les mêmes crimes. De votre côté, vous dénoncez un risque de normalisation de la pédopornographie. Voyez-vous derrière la volonté de défendre ce tableau une tentative de banalisation de la pédopornographie par le biais de l’art ?
Nous ne demandons pas le retrait de cette œuvre parce qu’elle choque, mais parce qu’elle est pédopornographique, ce qui est différent.
Je ne sais pas si ce tableau vise à sensibiliser le public aux horreurs de la guerre, ce que je sais c’est qu’il ferait très bonne figure dans le salon d’un pédophile. Rien sur la toile elle-même n’évoque la guerre, ni ne condamne cet acte que ce soit explicitement ou implicitement. Une condamnation de l’acte serait explicite si le tableau était par exemple barré de rouge ou autre. La toile elle-même ne comporte aucun message de désapprobation de l’acte représenté. De toute façon, quand bien même ce serait le cas, dénoncer le viol d’un enfant ne justifie pas la pédopornographie.
Il y a en effet de nombreuses œuvres d’art qui représentent des crimes, comme le massacre des saints innocents ou d’autres invoquées par le Palais de Tokyo : mais aucune des œuvres cités ne représente le viol d’un enfant de manière pornographique. Contrairement à ce qui est prétendu par le Palais de Tokyo, l’art ne chasse pas la pornographie, et encore moins la pédopornographie.
Il faut être ambitieux avec la protection de l’enfance : par le passé, l’art a déjà servi de prétexte à banaliser la pédophilie. Des pédophiles étaient accueillis avec complaisance sur les plateaux télévisés, sous prétexte de littérature. On a honte aujourd’hui quand on revoit ces scènes si pénibles. Maintenant, c’est la peinture qui sert de prétexte, mais cela revient encore une fois à diffuser la culture du viol d’enfant, et que ce soit le but ou pas importe peu.
En 2017, 2018 et même 2019, des juges osaient encore affirmer dans leurs décisions qu’une fillette de 11 ans avait pu donner son consentement à un acte sexuel avec un adulte. Une loi de 2021 est venue inscrire dans le code pénal l’impossibilité d’un prétendu pseudo consentement d’un mineur de 15 ans à tel acte impliquant un majeur. On revient de loin, et les violences sexuelles sur les enfants sont loin d’être éradiquées. Je ne dis pas que le but de l’artiste est la banalisation de la pédopornographie mais c’est le résultat, et c’est tout ce qui importe. Les artistes peuvent représenter ce qu’ils veulent mais ils ne peuvent pas diffuser n’importe quoi, sous prétexte d’art. La protection de l’enfance est prioritaire. C’est d’ailleurs ce que dit le Code pénal, et nous attendons ici seulement que la loi soit respectée.
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