Le candidat à l’élection présidentielle, Emmanuel Macron, avait promis de lutter implacablement contre le terrorisme en annonçant, s’il était élu, la création d’« une cellule spéciale du renseignement anti-Daech, permanente, de 50 à 100 agents, associant les principaux services de renseignement ».
L’attentat ignoble de Manchester du 22 mai 2017 a remis cette proposition en perspective en pressant le président de la République de tenir ses engagements. C’est donc tout naturellement qu’Emmanuel Macron a alors annoncé la création pour ce mois d’une task force anti-Daech, avant même la nouvelle attaque sanglante commise à Londres le samedi 3 juin.
Mais si cette prise en main de la lutte contre le terrorisme par le président de la République témoigne de sa ferme volonté de protéger les Français, sa mise en œuvre pourrait se révéler difficile.
Domaine réservé
Sur le plan technique, le décret n° 2009-1657 du 24 décembre 2009 relatif au Conseil de défense et de sécurité nationale et au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale confie au président de la République l’animation dudit Conseil de défense et de sécurité nationale. Sa formation plénière comprend le premier ministre, les ministres de la Défense, de l’Intérieur, de l’Économie, du Budget et des Affaires étrangères. Il existe d’autres formations dites restreintes et spécialisées.
Le Conseil national du Renseignement constitue l’une des formations spécialisées du Conseil de défense et de sécurité nationale. Cette instance détermine les orientations stratégiques et les objectifs en matière de renseignement. Outre la composition plénière du Conseil de défense et de sécurité nationale, la formation spécialisée selon l’ordre du jour invite les directeurs spécialisés des services de renseignement ainsi que le coordonnateur national du renseignement (CNR).
C’est également ce décret qui créé un Coordonnateur national du renseignement dont la mission est de veiller à la mise en application des décisions prises par le Conseil. Ce coordonnateur placé sous l’autorité du secrétaire général de l’Élysée veille à la bonne coopération entre les services de renseignement.
Ce conseil ne peut fonctionner sans le concours du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) placé sous l’autorité du premier ministre.
Cette articulation en matière de défense et de sécurité nationale entre le président de la République et son premier ministre repose sur un équilibre déjà bien fragile lorsque la majorité parlementaire est acquise au Président. On parle alors de domaine réservé au même titre que les affaires militaires et étrangères.
Des outils puissants déjà existants
En matière de collecte de renseignements, il existe six services de renseignement dits de premier cercle : DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), DRM (direction du renseignement militaire), DRSD (Direction du renseignement et de la sécurité de la défense), DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), DNRED (Direction nationale de recherche et des enquêtes douanières) et Tracfin.
Il convient également de compter des services du second cercle : SCRT (Service central du renseignement territorial), SDAO (Sous-direction anticipation opérationnelle), DRPPP (Direction du renseignement de la Préfecture de police de Paris) et BCRP (Bureau central du renseignement pénitentiaire).
Il faut encore ajouter l’UCLAT (Unité de coordination et de lutte antiterroriste) et l’EMOPT (État-major opérationnel de prévention du terrorisme).
Le président Macron semble donc déjà disposer d’outils puissants pour lutter contre les menaces terroristes. Toutefois, les critiques contre le SGDSN et le Coordonnateur national du renseignement ont la vie longue. Il est en effet reproché au Secrétariat son manque de réflexion opérationnelle et d’anticipation. Au second, il est reproché son manque de résultat probant en matière de coordination des services de renseignement.
Que viendrait faire, alors, une task force anti-Daech dans cette nouvelle architecture ?
Une difficulté fonctionnelle
Si la formulation est malheureuse (Daech n’est pas la seule organisation terroriste opérant sur le continent), aucune piste de réflexion n’a filtré de cette déclaration présidentielle. Mais le programme d’Emmanuel Macron évoque une cellule spéciale du renseignement anti-Daech – permanente – de 50 à 100 agents (…) placée auprès du président de la République. De même, il mentionne la création d’un état-major permanent qui permettra de planifier des opérations de sécurité intérieure avec les services et états-majors des ministères l’Intérieur et de la Défense, le cas échéant avec la participation des ministères des Transports, de la Santé et de l’Industrie.
Cette ambition se heurte à deux difficultés. La première est fonctionnelle et la seconde juridique.
Sur le plan fonctionnel d’abord. Cette task force pourrait concurrencer le travail du Coordonnateur national du renseignement en charge de la collecte pour le Président des mêmes renseignements.
Aussi, cette cellule anti-Daech assez pléthorique n’apporterait, a priori, rien de plus que le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale alors même que le Conseil dispose d’une vocation plus large que la lutte contre le terrorisme comme l’évaluation des menaces, le contrôle des exportations de matériel de guerre, le suivi des questions de sécurité internationale ou encore les questions relatives à la cyberdéfense.
La mise en perspective indispensable du SGDSN et le besoin de toiletter la fonction du Coordonnateur national du renseignement donne quelques possibilités au président Macron. Cette idée semble donc intéressante, mais à condition de renforcer la capacité de réflexion de cette structure en axant, par exemple, le travail des Instituts d’études de la Défense et de la Sécurité nationale sur le processus de radicalisation ou encore sur les modes de communication des individus radicalisés. Cette réflexion devra être inclusive et prospective.
Par ailleurs, il paraît indispensable de renforcer le travail de renseignement en puisant, notamment, des informations auprès de nos alliés américains, russes, marocains… Cela pourrait prendre la forme d’une entente avec les États-Unis pour intégrer l’alliance des services de renseignement des « 5 Yeux ». Cela permettrait à la France de jouer un rôle plus important en Europe en matière de lutte contre le terrorisme – ce qui serait normal compte tenu du lourd tribut qu’elle a payé ces dernières années.
L’impératif de la séparation des pouvoirs
Mais c’est surtout sur le plan juridique que le président devra se prémunir de toute immixtion. Cette cellule se veut selon les termes employés, le bras armé du président. Cela sous-entend que le président souhaite prendre le contrôle opérationnel de la lutte contre le terrorisme. Cette volonté si elle est louable paraît irréaliste pour plusieurs raisons.
D’abord, la lutte contre le terrorisme est d’ordinaire – lorsqu’un attentat a été commis – confiée à l’autorité judiciaire qui pilote les investigations avec l’appui de la police judiciaire placé sous son contrôle. On imagine mal, le Président ordonné par talkie-walkie aux commandos des forces spéciales de décoller en hélicoptère depuis la cour de l’Élysée pour appréhender un suspect. Cette métaphore rappelle la tentative désespérée du président Jimmy Carter tentant de faire libérer des citoyens américains pris en otage par des étudiants iraniens. L’échec de cette mission commando héliportée lui aura coûté sa présidence.
Plus sérieusement, le président de la République tire ses pouvoirs de la Constitution de 1958 qui dans son article 64 lui impose de garantir l’indépendance de l’autorité judiciaire.
Par ailleurs, l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 impose une séparation des pouvoirs entre l’autorité judiciaire et le pouvoir exécutif. On voit mal le procureur de la République ou les juges écartés de la conduite des investigations ou plus cocasses encore, les juges se rendant à l’Élysée pour rendre compte d’une enquête au président.
Cette nécessaire séparation entre ces deux institutions ne doit cependant pas décourager le président dans sa volonté de restructurer la communauté du renseignement.
Force et faiblesse du facteur humain
En définitive, la création d’une cellule anti-Daech ne fait sens que si la réflexion est profonde et l’engagement affirmé. Le Président pourrait orienter sa stratégie vers la fusion de certains services, notamment au sien d’un même ministère et la mise en place de groupes thématiques de réflexion composés de fonctionnaires, militaires et personnalités de la société civile. Il reviendrait au SGDSN, après toilettage, de coordonner ce think tank pour le compte du Président.
Cette idée n’est pas nouvelle. En effet, il existe une structure dite de Conseil de la stratégie et de la prospective du ministère de l’Intérieur dont l’objectif est d’offrir au ministre une réflexion aboutie en matière de sécurité.
Ensuite, il paraît indispensable de mieux structurer les services pour faciliter la circulation de l’information. En effet, selon le rapport de la Délégation parlementaire au renseignement, certaines structures échangent peu ou pas de renseignement. Le député Guy Tessier évoquait ainsi en janvier 2010, lors d’une audition de la Commission de la défense nationale et des forces armées l’éventualité d’une guerre des polices. Le coordonnateur national du renseignement de l’époque, Bernard Bajolet, répondait par la négative en insistant tout de même sur la fragilité du dispositif. Selon lui, le facteur humain est une force comme une faiblesse. Les bons exemples tiennent davantage aux liens informels qui peuvent exister entre certains chefs de service que de procédures internes clairement établies.
La création, en juin 2015, de la cellule interagences « Allat » est une première réponse mais insuffisante en raison des informations disponibles.
La nécessité d’une stratégie globale
C’est la raison pour laquelle le choix d’un nouveau Coordonnateur sous la responsabilité directe du Président pour coordonner réellement l’activité des services de renseignement serait une réponse adaptée à la situation. Cette initiative serait particulièrement utile à l’heure où la communauté accueille un nouveau service de renseignement, le Bureau central du renseignement pénitentiaire.
Il faudra préciser ou fusionner l’UCLAT considérée comme structure « de rencontre, non opérationnelle » et l’EMOPT (État-major opérationnel de prévention du terrorisme) inconnu de certains hauts fonctionnaires en charge de la lutte contre le terrorisme. En effet, ces deux structures sont réputées être trop complémentaires pour rester indépendantes.
Cela passera, aussi, par la mise en place d’un système d’information interagences pour partager les informations collectées. Cette plateforme technique devrait permettre de résoudre les difficultés relationnelles qui existent, encore, entre certains services. En revanche, il faudra préciser les règles d’utilisation du fichier en lien avec la nature de l’enquête (administrative ou judiciaire).
Enfin, le Président devra privilégier l’approche systémique pour mieux comprendre le processus de radicalisation qu’il soit en milieu ouvert comme fermé. Après tout le renseignement, même s’il est utilisé de manière préventive ne permettra pas de stopper la menace. Cela engage, par conséquent, le président de la République à déployer une stratégie globale pour ne pas traiter le problème du terrorisme uniquement par le prisme sécuritaire.
Driss Aït Youssef, Docteur en droit, chargé de cours, président de l’Institut Léonard de Vinci, Pôle Léonard de Vinci – UGEI
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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