Taxi Téhéran est un film sur les droits de l’homme en Iran mais aussi – et peut être surtout – un hymne au 7e art.
Les films de Jafar Panahi, le réalisateur de Taxi Téhéran, sont interdits dans son propre pays. Son passeport a été confisqué et il n’est pas autorisé à quitter l’Iran.
Sans doute, pour un réalisateur iranien qui n’a plus le droit de s’exprimer, le cinéma devient d’autant plus vital. Et comme dans tout régime totalitaire, de l’oppression naît une expression artistique qui n’a d’autre choix que d’innover.
Interdit en Iran
En 2010, Jafar Panahi est condamné pour une durée indéterminée à ne plus avoir le droit de réaliser de films, d’écrire de scénarios, de donner d’entretiens à la presse et de sortir de son pays, sous peine de 20 ans de prison ferme. Sa condamnation a été confirmée en appel en 2011.
En réaction, il réalise Ceci n’est pas un film (2011) avec la collaboration de Mojtaba Mirtahmaseb. Le film est tourné dans son appartement et présente sa vie, celle d’un artiste qui se voit contraint de créer clandestinement. Dans ce sens, Ceci n’est pas un film rappelle le travail de l’artiste chinois Ai Wei Wei qui a connu la même situation et dont l’atelier a été démoli. Placé sous surveillance, entouré d’innombrables agents secrets et d’autant de caméras, Ai Wei Wei a placé une caméra dans son appartement pour filmer les agents secrets chinois qui le surveillaient. Sa vie et l’oppression qui lui était imposée sont devenues ainsi les matières premières de son art.
Ceci n’est pas un film a été présenté hors compétition au festival de Cannes 2011.
En 2012, Jafar Panahi reçoit le prix Sakharov pour la liberté de l’esprit par le parlement européen et en 2013, il reçoit l’Ours d’argent pour le scénario de son film Rideau fermécoréalisé avec Kambuzia Partovi.
Taxi Téhéran est son premier film depuis sa condamnation, réalisé seul et à l’extérieur.
Converti en chauffeur de taxi
Un jour, Jafar Panahi, interdit de films et désespéré, prend un taxi. C’est là que lui vient l’idée de devenir chauffeur de taxi et de filmer la ville dans et à travers son véhicule.
Pour ne pas mettre en danger les personnes qu’il rencontre dans son taxi, le cinéaste décide de réaliser un faux documentaire.
Muni de trois petites caméras faciles à dissimuler dans des boîtes à mouchoirs et à l’aide de quelques amis, Jafar Panahi parcourt la ville pendant 15 jours – le temps de tourner son film.
Toutes ces anecdotes se déroulent entre la banquette arrière et les sièges avant, à travers les vitres du taxi.
La plupart des personnages jouent leur propre rôle dans la vie: le vendeur de DVD avec un copain, sa nièce – jeune écolière espiègle et bavarde – et la femme aux fleurs – Nasrin Sotoudeh, avocate des droits de l’homme, interdite elle aussi d’exercer son métier et de sortir du pays depuis 2011. Nasrin Sotoudeh a reçu le prix Sakharov en 2012 avec Jafar Panahi. Elle a défendu, entre autres, des jeunes femmes arrêtées pour avoir pénétré dans un stade lors d’un match de volley-ball masculin.
Une prison invisible
Les habitants de Téhéran ont l’air de mener une vie assez confortable et agréable, une vie où l’oppression n’est pas flagrante et où règne une solidarité qui n’est pas le propre des régimes totalitaires. Si l’on imagine parfois une vie insupportable telle qu’on la voit sous Daesh, ce n’est pas le cas. Les femmes sont légèrement voilées, les hommes circulent librement. Panahi nous montre un couple aisé préparant son mariage loin des questions des droits de l’homme, leur seul souci étant la mise en scène de leurs photos. Un étudiant de cinéma qui habite une belle maison. Il nous montre aussi deux dames âgées allant jeter un poisson rouge dans la rivière pour garder leur jeunesse et, qui sait, acceder à l’immortalité.
La rue semble être dynamique et conviviale, l’oppression est cependant là, le plus souvent dans les détails. Une partie de la société la supporte tant bien que mal et l’autre s’emploie à l’éviter. C’est là la puissance du film.
Comme le décrit Liao Yiwu, le poète chinois en exil, dans son texte intitulé Dans la prison invisible, les habitants de ces pays ont peut être le droit de se rendre à l’étranger ou d’accumuler des biens mais ils restent toujours des prisonniers visibles ou invisibles.
On rencontre Omid le trafiquant des blockbusters des classiques occidentaux.
On rencontre aussi, dans une scène burlesque, le jeune couple blessé dans un accident de moto. Croyant le mari à l’article de la mort, et sachant que la femme ne peut hériter de lui selon les lois de la charia, le couple s’affole pour formuler un testament douteux.
Dans une autre scène, un ancien voisin raconte qu’il s’est fait tabasser et voler, mais que dans un pays qui exécute les voleurs, il n’a pas le cœur de porter plainte contre ses agresseurs.
Un jeune garçon fouille dans les poubelles et vole l’argent d’un couple qui prépare son mariage – une réalité qu’on ne doit pas filmer en Iran par crainte de nuire à la réputation du pays.
Toutes ces anecdotes se déroulent entre la banquette arrière et les sièges avant, à travers les vitres du taxi.
Un cinéma sur le cinéma
«Comment trouver un sujet pour mon film?», se demande le jeune étudiant de cinéma en achetant des films interdits venus de l’Occident. La réponse n’est pas dans les films déjà faits ni dans les livres déjà lus, lui répond son oncle, le réalisateur converti pour l’occasion, en chauffeur de taxi.
«Comment trouver un sujet pour mon film?» demande la nièce, une jeune écolière qui doit rendre un produit obéissant au règlement du cinéma iranien: pas de noirceur, pas de problèmes politiques ou économiques, les personnages positifs doivent porter le nom du prophète, les noms persans et la cravate sétant réservés aux méchants…
«Comment fait-on du cinéma quand on n’a pas le droit de filmer?», s’interroge le réalisateur tout au long du film.
Le cinéma fait partie de la vie de Jafar Panahi et la vie fait partie de son cinéma. Il nous le montre par sa façon extraordinaire de filmer, il nous le montre par les nombreux acteurs et cinéastes qu’il cite, il nous le montre par les nombreuses références à ses propres films, le poisson rouge dans son premier film Le Ballon blanc (1995), le sujet des jeunes femmes allant au stade voir des matchs traité dans Hors jeu (2006). Il nous le montre aussi par le jeu de ses acteurs – amis solidaires – qui veulent bien reconstituer des scènes de la vraie vie, il nous le montre par la palette des genres cinématographiques, comédie, drame, thriller, burlesque et film d’horreur qu’il parvient à réinventer dans son mini laboratoire ambulant.
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