The Assassin de Hou Hsiao-hsien

23 mars 2016 10:36 Mis à jour: 23 mars 2016 10:36

Après huit ans d’absence, Hou Hsiao-hsien revient avec un film de sabre époustouflant. Cinq ans de tournage ont donné jour à une expression cinématographique sublime, proche du Tao – le souffle vital, cette énergie invisible coulant en toute chose dans l’univers.

The Assassin est une grande poésie ancrée dans la tradition chinoise. Tourné dans les paysages intacts de la Mongolie intérieure, au nord-est de la Chine continentale et dans la province de Hubei, le film puise son inspiration dans la littérature de la dynastie Tang, considérée comme l’âge d’or de la poésie classique chinoise.

The Assassin raconte le déclin de cette dynastie au IXe siècle à travers une histoire particulière.

L’histoire

Alors que la province de Weibo tente de se soustraire à l’autorité impériale, Nie Yinniang interprétée par la remarquable Shu Qi (Millennium Mambo, 2001) revient dans sa famille après de longues années d’exil. Son éducation a été confiée à une nonne qui l’a initiée, dans le plus grand secret, aux arts martiaux.

Devenue justicière, elle a pour mission de tuer Tian Ji’an, son cousin, ancien amour et nouveau gouverneur de Weibo, interprété par la star Chang Chen, connu pour ses rôles dans Tigre et Dragon de Ang Lee (2000) et The Grandmaster de Wong Kar-wai (2013).

Nie Yinniang va devoir choisir : sacrifier l’homme qu’elle aime ou rompre pour toujours avec « l’ordre des Assassins ».

La légende de l’oiseau bleu et du miroir, métaphore de la séparation du cœur brisé de l’héroïne, est racontée à plusieurs reprises.

(SpotFilms)
(SpotFilms)

Une référence à Akira Kurosawa

Pour plonger le spectateur dans le contexte de l’intrigue, le film s’ouvre en noir et blanc. Une nonne taoïste vêtue de blanc envoie sa disciple, une jeune femme vêtue de noir, tuer un gouverneur cruel et corrompu. La jeune femme part pour accomplir sa mission. On l’aperçoit marcher dans le bois, à travers les arbres. La caravane du gouverneur avance de son côté, de loin les feuilles d’un arbre frissonnent sous le vent, on entend leur bruissement, tout se déroule dans une lenteur étourdissante – quasi immobile, puis en un clin d’œil la fille sort du bois, fait un seul geste, le gouverneur tombe mort de son cheval. Une introduction magistrale qui rappelle des films du génie japonais Akira Kurosawa comme Rashômon (1950) – la femme avançant dans la forêt illuminée par le soleil qui pénètre les cimes des arbres, Les Sept Samouraïs (1954) ou encore La Forteresse cachée (1957) ou Le Château de l’araignée (1958). Comme chez Kurosawa, la nature est très présente dans The Assassin, jusqu’à devenir un élément actif de l’intrigue, rappelant par certains côtés le rôle du chœur dans le théâtre de la Grèce antique.

Comme si une même vision du monde, une même philosophie unifiait les deux cinéastes. En effet, la dynastie Tang a influencé le Japon et façonné sa pensée, ses coutumes et ses costumes qui le caractérisent encore aujourd’hui.

Par son esprit, The Assassin est plus proche des films de Kurosawa que de Tigre et Dragon ou même de The Grandmaster.

L’action se trouve dans la flamme des bougies, dans la danse du vent, dans la transformation des nuages, dans le léger mouvement d’un rideau transparent, dans la brume qui glisse sur un lac, dans la vapeur qui émane du thé.

On pourrait souligner un autre point commun entre le maître taiwanais et le génie japonais : la dignité qui émane des acteurs et le respect du metteur en scène envers eux – pour éviter de les troubler pendant le tournage, les deux cinéastes ont développé des techniques pour les filmer à distance.

Mais si chez Kurosawa l’action est au cœur du film, permanente dans les gestes, la violence ou les mouvements de caméra, on pourrait dire que l’action dans The Assassin échappe à l’œil. Elle se trouve quasiment dans ce que les taoïstes appellent le Wuwei, la « non-action ».

Montagne et eau, les deux extrêmes de l’univers

Hou Hsiao-hsien filme la splendeur des montagnes couvertes de brume, l’or des blés dans les champs, le vert des forêts denses sur les flancs des falaises, les arbres qui se reflètent dans l’eau des lacs. Cette nature nous est présentée sous toutes les lumières allant du gris du brouillard au violet de l’aube. La caméra de Hou Hsiao-hsien capte ces paysages splendides animés par ce souffle vital qui unit le ciel et la terre. Il capte également leurs sonorités subtiles, le souffle du vent, le crépitement du feu, le frémissement des feuilles. The Assassin ressemble à ces peintures chinoises classiques, les shanshui (montagne et eau), qui captent les deux pôles de la nature d’un seul coup de pinceau.

Dans les shanshui, l’impression et l’expression intérieure comptent plus que la ressemblance car dans la Chine ancienne, la peinture était considérée comme un exercice spirituel au même titre que la calligraphie, la poésie ou les arts martiaux.

Ainsi donc, l’attitude et le comportement du peintre déterminaient la réussite et la qualité de l’œuvre. Ils travaillaient avec un sentiment de respect et de sacré. Le raffinement de leur caractère se reflétait dans leur œuvre.

Si Hou Hsiao-hsien choisit toujours les mêmes acteurs pour ses films, il affirme que c’est pour leurs qualités intérieures qui se projettent à l’écran.

Hou Hsiao-hsien, réalisateur du film The Assassin. (Yao Hung)
Hou Hsiao-hsien, réalisateur du film The Assassin. (Yao Hung)

L’immobilité est le mouvement du Tao (Tao Te King de Lao Tseu)

Pas de gros plans dans The Assassin, des scènes qui rappellent plutôt un théâtre filmé. Des longs plans-séquences englobant l’arrière-plan permettent de capter du même coup les personnages et le milieu dans lequel ils évoluent : une méditation, comme une cérémonie du thé, lente et délicate, où chaque geste est un rituel, comme ce rigoureux jeu des doigts sur la harpe chinoise, les scènes, aux compositions justes de The Assassin, procèdent avec une lente fermeté, concentrées et précises.

L’intérieur est d’une beauté singulière et n’est pas moins envoutant que les paysages : les objets, les laques, les boiseries, le jade et le bronze, les étoffes sensuelles, tout cet art de vivre codifié et rigoureux. Et puis il y a la lumière, les différentes lumières surprenantes et les jeux sublimes de clairs obscurs propres à ce théâtre intérieur.

On n’oubliera pas les scènes où Tian Ji’an raconte son histoire à sa courtisane, Yinniang guettant derrière le rideau, à la lumière des bougies, ou encore la scène des danseuses qui tournent en velours écarlate et soie dorée tels des derviches tourneurs sous une lumière mordorée.

Entre peinture chinoise et théâtre filmé, le mouvement est quasi imperceptible. Pendant de longues scènes où les personnages restent immobiles, l’action se trouve dans la flamme des bougies, dans la danse du vent, dans la transformation des nuages, dans le léger mouvement d’un rideau transparent, dans la brume qui glisse sur un lac, dans la vapeur qui émane du thé.

La femme en noir guette son ancien amour, le spectateur ne regarde plus le film, il le contemple.

Yinniang doit tuer son cousin mais elle attend, elle écoute, elle observe. Elle reste immobile. Si le Wuwei, (non agir) peut décrire une action dans la non-action, ce concept a aussi une dimension éthique.

En effet, selon la tradition, le Wuwei se manifeste chez celui qui a réussi à remplacer les actions égoïstes et passionnelles par l’humilité, l’altruisme, la tolérance, la douceur. C’est ainsi que Nie Yinniang décide d’opérer. Solitaire comme un Tao (divinité taoïste), elle n’a ni sentiment de vengeance, ni esprit de compétition. Fidèle à son amour d’enfance, elle renonce à son propre désir face à l’amour qu’il éprouve pour une de ses courtisanes.

« Ta technique est irréprochable, mais ton âme reste prisonnière de tes sentiments », lui reproche la nonne à plusieurs reprises. Devenue plus forte que sa maîtresse, elle est déterminée à suivre son cœur et à agir selon ce qui lui paraît droit et juste. C’est ainsi quelle continue son chemin dans la campagne lumineuse entouré des abondants champs de blés. Là, dans la nature – de laquelle l’homme est inséparable selon l’ancienne littérature chinoise, Yinniang trouve son vrai foyer.

Et si le spectateur se perd dans les méandres de l’intrigue entre concubines, épouses princesses et hauts dignitaires rivaux, l’explication se trouve peut-être dans la peinture Shanshui où la hiérarchie visuelle n’existe jamais et dont les éléments ne peuvent pas être perçus en un coup d’œil.

Film taïwanais, chinois et hongkongais de Hou Hsiao-hsien. Avec Shu Qi, Chang Chen, Zhou Yun, Ni Dahong (1 h 45).

Rétrospective Hou Hsiao-hsien à la Cinémathèque française Paris XIIe, jusqu’au 31 mars.

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