Liens avec la Chine, modération des contenus, addiction, données personnelles, sort des Ouïghours : pendant six heures, la commission d’enquête du Sénat a bombardé de questions deux dirigeants de TikTok en France jeudi, sans obtenir davantage que des démentis et des réponses vagues.
Concernant d’éventuels transferts de données à la Chine, le point crucial qui a poussé plusieurs pays occidentaux à limiter l’application prisée des jeunes, les sénateurs français se sont vu répéter que les filiales européennes de ByteDance, maison mère de TikTok, ne sont pas soumises au droit chinois.
Sans convaincre des élus très sceptiques, Éric Garandeau, directeur des affaires publiques de TikTok France, et Marlène Masure, directrice générale des opérations France, Benelux et Europe du sud, ont aussi argué que ByteDance – fondé par le milliardaire chinois Zhang Yiming – a son siège enregistré aux îles Caïmans et un PDG à Singapour.
TikTok est confronté à des limitations croissantes en Occident, sur l’accusation de transferts de données d’utilisateurs en Chine, pays qui oblige les sociétés locales et ses ressortissants à dévoiler les données stockées sur leurs serveurs si l’État leur demande.
« Vous nous avez transmis un organigramme mais sans le nom de la présidente de TikTok France, ça nous a un peu surpris », a ironisé le président de la commission sénatoriale, Claude Malhuret, en citant le nom de la Chinoise Zhao Tian, présidente officielle de la branche française. « Je n’ai jamais rencontré cette personne, elle n’a pas de responsabilités opérationnelles », ont répondu d’une même voix les deux cadres de TikTok.
« La loi chinoise impose à tout ingénieur chinois et toute société chinoise d’obéir »
Les sénateurs français n’ont pas obtenu davantage de précisions sur les revenus mondiaux du groupe, ni sur son modèle économique. Les échanges de cette longue audition ont souvent tourné court, comme lorsque la représentante de TikTok a laissé entendre que les sénateurs avaient un biais raciste.
« J’ai du mal avec l’idée qu’on puisse mettre en cause un collaborateur par son origine ou son pays. Je ne trouve pas ça choquant d’avoir un ingénieur d’origine chinoise », a lancé Marlène Masure à Claude Malhuret, qui lui demandait si l’algorithme de TikTok était géré par des ingénieurs chinois.
« Je ne fais pas cette question par racisme anti-chinois », a répliqué calmement le sénateur. « Le problème n’est pas qu’ils sont chinois mais que la loi chinoise impose à tout ingénieur chinois et toute société chinoise d’obéir. »
« Nous avons de très grandes équipes de modérateurs des contenus, qui interviennent dans plus de 70 langues, et nous avons 600 modérateurs en langue française », a par ailleurs indiqué Éric Garandeau. « Ils ne sont pas en France mais dans plusieurs pays européens », a précisé Marlène Masure.
Des questions restées sans réponses
Les sénateurs ont aussi tenté, sans grand résultat, d’entrer dans des détails techniques sur la collecte de données par l’appli. Sur les accusations de transfert de données rapportées par plusieurs médias, pas de commentaires. Idem sur les enquêtes du régulateur irlandais sur le sujet.
Agacé, Claude Malhuret a fini par interroger la dirigeante sur la censure de TikTok en Chine et même sur le sort des Ouïghours, dans un échange sans issue. « Vous condamnez la censure de l’internet chinois ? » « Je ne suis pas experte du sujet ». « Vous connaissez la censure massive de Douyin (jumeau de TikTok en Chine, ndlr), sur le sujet des Ouïghours ? » « Je n’ai jamais ouvert cette application Douyin ». « Vous condamnez le génocide des Ouïghours ? » « Oui, en tant que citoyenne et en tant que personne », a-t-elle encore lâché.
Créée à la demande du groupe Les Indépendants, la commission d’enquête sénatoriale sur l’utilisation du réseau social, son « exploitation des données » et sa « stratégie d’influence » devrait rendre ses conclusions avant la pause estivale du Parlement. Après avoir déjà entendu de nombreux experts, la commission a également prévu d’entendre le ministre chargé de la Transition numérique, Jean-Noël Barrot, le 19 juin.
Invoquant les risques en matière de cybersécurité, le gouvernement français a interdit en mars le téléchargement et l’utilisation du réseau social (entre autres applications « récréatives ») sur les téléphones professionnels des 2,5 millions de fonctionnaires d’État, emboîtant le pas à de nombreux exécutifs et parlements occidentaux.
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