Qu’est-ce que le plaisir ? Qu’est-ce qui cause la douleur et comment l’éviter ?
Ces questions éternelles fascinaient le philosophe grec Épicure. Alors que des philosophes, avant lui, avaient pensé et parlé du bonheur, Épicure a été le premier à le définir exclusivement en termes de douleur et de plaisir. Seules trois lettres et deux recueils de citations ont survécu à sa prolifique carrière. Parmi eux, la Lettre à Ménécée, qui contient des recommandations intemporelles pour une vie simple et heureuse.
Le jardin d’Épicure
Épicure (341 av. J.-C.-270 av. J.-C.), dont le nom signifie « compagnon », a longtemps été un personnage controversé. Les partisans de sa philosophie l’ont qualifié de génie aux idées pénétrantes sur la nature du bonheur, tandis que ses opposants lui ont reproché d’encourager la poursuite de plaisirs ruineux au détriment de la modération. Ce débat a commencé du vivant d’Épicure, mais il se poursuit encore aujourd’hui.
Épicure est né en 341 av. J.-C. à Samos, une île située sur la côte occidentale de la Turquie actuelle. Ses deux parents étaient citoyens athéniens, ce qui faisait de lui un Athénien de par la loi. Il passe les 35 premières années de sa vie à étudier, à servir dans l’armée et à enseigner dans diverses villes de la Grèce orientale.
Épicure décide finalement d’ouvrir une école à l’extérieur de la capitale grecque. Il achète une maison avec un jardin, où lui et ses élèves travaillent, enseignent et se reposent. Fait inhabituel à l’époque, il autorise les femmes et les esclaves à participer aux activités de son école. Il pensait que tout le monde pouvait tirer profit de la pratique de la philosophie. Le jardin est finalement devenu le symbole de l’épicurisme, qui privilégie avant tout la simplicité, la tranquillité et la communauté.
L’ataraxie
Le dictionnaire de Merriam-Webster définit un « épicurien » comme « quelqu’un qui a des goûts sensibles et avertis, en particulier en matière de nourriture ou de vin ». L’hypothèse est que les épicuriens savourent les plaisirs basiques et charnels de la nourriture, de la boisson et du sexe. Est-ce là ce que prêchait Épicure ?
Épicure considérait l’ « ataraxie » comme le bien suprême. Ataraxie signifie « l’absence de tout trouble ou douleur ». Pour être satisfaits, nous devons être tranquilles. Pour les épicuriens, la tranquillité est le bonheur. Mais cette tranquillité, cette sérénité n’avait pas grand-chose à voir avec les plaisirs corporels. En fait, Épicure encourageait la prudence en ce qui concernait la chair : « Ce ne sont pas les beuveries et les réjouissances continuelles, ni la satisfaction des désirs, ni la jouissance du poisson et des autres luxes de la table riche, qui produisent une vie agréable. » En fait, l’épicurisme professe que, pour éviter la souffrance, il faut éviter les sources de plaisir qui ne sont ni naturelles ni nécessaires. Il ne prône donc nullement la recherche effrénée du plaisir.
La prudence, écrit-il, « est une chose plus précieuse que la philosophie » ; elle est la source de « toutes les autres vertus ». Si l’on demandait à Épicure s’il faut ou non rejeter complètement les plaisirs physiques, il répondrait non, car c’est la modération qui nous guide.
Dans sa lettre à Ménécée, le philosophe définit la tranquillité comme « l’absence de douleur dans le corps et de trouble dans l’esprit ». Pour éliminer les douleurs corporelles, Épicure pensait que les gens devaient se concentrer uniquement sur les plaisirs nécessaires. Prenons l’exemple de la nourriture. La lettre explique que les « saveurs simples » permettent de se débarrasser de la faim aussi efficacement qu’un « régime copieux », qui peut en fait causer un plus grand malaise en encourageant le désir de manger plus et mieux.
Pour Épicure, la nourriture simple procure du plaisir parce qu’elle satisfait la faim et assure la survie. Tout ce qui dépasse cette satisfaction de base est inutile. Réaliser que nous n’en avons pas besoin était la première étape d’Épicure pour éliminer les envies superflues qui rendent notre vie plus compliquée que ne l’exige le bonheur. Plus c’est simple, mieux c’est.
La peur de la mort
Un esprit troublé nécessitait une approche légèrement différente. Comme la plupart des philosophes de l’Antiquité, Épicure pensait que l’esprit pouvait s’apaiser en philosophant. Pour lui, la philosophie était avant tout un outil permettant de comprendre les phénomènes naturels, de la génération des plantes au mouvement des étoiles. Plus généralement, cependant, la philosophie signifiait simplement l’exercice attentif de la raison pour poser les « grandes questions » de la vie et y répondre.
La raison nous permet de passer au crible les opinions erronées et de fonder nos choix sur des bases plus solides. C’est pourquoi Épicure la jugeait indispensable pour mener une bonne vie. Il pensait que l’effet bénéfique de la raison était le plus évident dans son remède à ce qu’il considérait comme la peur la plus universelle : la mort. La peur de la mort, expliquait-il à Ménécée, est la plus grande cause d’anxiété. Selon lui, la plupart des gens « fuient la mort comme le plus grand des maux » ou « y aspirent comme à un répit des maux de la vie ». Cependant, il explique à son élève que ces attitudes sont contre-productives.
Lorsque l’on se préoccupe de la mortalité, la douleur survient à la fois avec et après la mort. Pour remédier à cette angoisse, Épicure a opté pour une alternative radicale. Comme il l’a écrit, nous devrions « nous habituer à croire que la mort n’est rien pour nous. En effet, le bien et le mal consistent en une sensation, tandis que la mort est une privation de sensation ». Il assimile la mort à la fin de toute sensation, ce qui implique la fin de toute douleur. L’adoption de cette notion, pensait-il, rend « la mortalité de la vie agréable, non pas parce qu’elle lui ajoute une durée infinie, mais parce qu’elle supprime le désir d’immortalité ».
L’amitié
Ménécée était un contemporain d’Épicure, mais c’est tout ce que nous savons de lui. Il était probablement plus jeune que le philosophe et lui a sans doute demandé conseil à plusieurs reprises, comme le suggère le ton amical de la lettre. En effet, leur échange épistolaire révèle l’un des principes d’Épicure en action.
Bien que la lettre ne mentionne pas directement l’amitié, les autres écrits d’Épicure montrent clairement qu’il la considérait comme nécessaire au bonheur. L’un de ses fragments se lit comme suit : « L’homme noble se préoccupe avant tout de la sagesse et de l’amitié ; la première est un bien mortel, la seconde un bien immortel. » On ne sait pas exactement pourquoi il considérait l’amitié comme un « bien immortel », mais il la considérait certainement comme l’une des choses les plus importantes de la vie. L’amitié est finalement un des plaisirs du sage, de très loin supérieur à la passion amoureuse source de malheurs.
Mettant ses principes en pratique, Épicure écrit à Ménécée pour dissiper les inquiétudes de son ami. Il voulait donner des conseils à un ami dans le besoin, car c’est ce que font les amis. Les vrais amis nous rappellent nos engagements envers la vertu, si jamais nous nous trouvons dans des situations qui menacent de la mettre en péril.
Les amis nous aident également à pratiquer la raison. Ils nous offrent de nouvelles perspectives. Ils remettent en question nos opinions avec honnêteté et respect afin que nous puissions apprendre d’eux et faire de même en retour. L’école d’Épicure a été fondée pour que les enseignants transmettent leur sagesse et pour que les élèves contemplent et éventuellement, par la raison, signalent les erreurs dans cette façon de penser. Nous pouvons imaginer un pensionnat où les enseignants et les élèves vivraient, apprendraient et travailleraient dans un esprit d’amitié.
Comme le disait l’un des aphorismes les plus poétiques d’Épicure, « l’amitié danse autour du monde en nous invitant tous à nous éveiller à la reconnaissance du bonheur ». C’est ce genre de lien humain particulier qui transforme les notions abstraites en réalités.
Cette philosophie est-elle satisfaisante ?
L’accent mis par Épicure sur le plaisir modéré et l’absence de douleur semble incomplet. Nous voulons éviter la douleur et trouver le plaisir, mais nous aspirons également à un but et à un sens, ce qui implique souvent des conflits. Épicure a peut-être pensé que l’engagement envers les amis et la famille répondait à cette aspiration, mais les écrits qui nous sont parvenus nous laissent sur notre faim. L’absence de douleur et l’application cohérente de la philosophie suffisent-elles vraiment à vivre une bonne vie ?
Ils en font partie, mais le bonheur semble exiger plus que le confort et la simplicité. Comme le disait Viktor Frankl, psychanalyste et survivant de l’Holocauste, à ses amis du camp de concentration, « la vie humaine, quelles que soient les circonstances, ne cesse jamais d’avoir un sens » ; ce « sens infini de la vie inclut la souffrance et la mort, la privation et la mort ». La situation de Viktor Frankl était extrême. Cependant, son point de vue nous rappelle qu’une vie soutenue par un but, malgré des douleurs et des épreuves récurrentes, pourrait être meilleure et plus significative que l’existence sans douleur qu’Épicure s’efforçait de cultiver.
Qu’il ait eu raison ou non, les suggestions d’Épicure ont réconforté des millions de personnes. À l’ère de la surconsommation et de l’anxiété chronique où il n’y a plus d’amitiés, le conseil du philosophe jardinier de trouver le contentement dans la simplicité et les relations authentiques est une déclaration radicale, mais qui mérite d’être prise en compte dans notre quête d’une vie meilleure, plus paisible et sereine.
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.