ENTRETIEN – Emmanuel Macron a surpris ses partenaires européens et internationaux en invoquant en début de semaine, la possibilité de l’envoi de troupes occidentales en Ukraine. Ils ont très rapidement répondu qu’aucun de leurs soldats ne sera envoyé sur le front ukrainien. Le géopolitologue et fondateur du média web Le Monde Décrypté, Gérard Vespierre, regrette que seulement une partie des propos du chef de l’État ait été analysée.
Epoch Times – À l’issue d’une conférence internationale en soutien à Kiev qui s’est tenue lundi soir, Emmanuel Macron a déclaré que l’envoi de troupes occidentales en Ukraine « ne pouvait pas être exclu ». Des propos qui ont fait réagir nos voisins européens, le secrétaire général de l’OTAN et les États-Unis, mais aussi les oppositions politiques en France qui ont tous désavoué la position du chef de l’État. Moscou a, de son côté, mis en garde contre un risque de « Troisième guerre mondiale ». Quel était l’intérêt d’Emmanuel Macron de faire cette déclaration ? Des commentateurs parlent d’une diversion vis-à-vis des affaires internes.
Gérard Vespierre – Dans cette affaire, nous sommes en plein dans la politique avec un petit « p ». Le drame étant que certains s’emparent d’une partie des déclarations du président de la République sans réfléchir à l’ensemble de son analyse. N’oublions pas que le 16 février dernier, la France et l’Ukraine ont signé un accord de coopération en matière sécurité, et si on se reporte à ce document qui est fondamental pour toute personne qui s’intéresse à ce sujet, on découvre dans un paragraphe, qu’en cas d’une nouvelle opération massive de Moscou sur le sol ukrainien, les deux parties se consulteront, pour envisager toute possibilité. C’est dans ce cadre-là que pourrait être envisagé l’envoi de troupes françaises sur le sol ukrainien.
Deuxièmement, dans le flou stratégique dont le président a parlé à de nombreuses reprises, il a également rappelé qu’il n’y avait actuellement pas de troupes de quelque pays que ce soit, de façon « formelle et endossée » en Ukraine.
Cependant, nous sommes en guerre, il y a 500.000 hommes qui s’affrontent en Ukraine. À l’évidence, dans un conflit aussi conséquent il y a des forces spéciales de différents pays, à commencer par les États-Unis, qui sont présentes pour mener des opérations de renseignement et d’identification.
Sur le front ukrainien de 1000 km, les affrontements font toujours rage entre les troupes de Kiev et de Moscou, notamment du côté de Bakhmout. Les Russes ont gagné des territoires dans les environs d’Adviika. Faut-il craindre que les Russes reprennent l’avantage ?
Cette guerre a connu deux volets : le volet 2022 et celui correspondant à la période 2023-2024.
2022, c’était la période de guerre de mouvement liée à la dynamique d’invasion des troupes russes, et cette invasion s’est déroulée sur quatre fronts : Kiev, Kharkiv, le sud du Donbass et la Crimée, avec des effectifs très réduits d’environ 180.000 hommes pour prendre le contrôle d’un pays d’environ 44 millions d’habitants.
Cela s’est déroulé de cette manière à cause de l’aveuglement idéologique des Russes ; ils s’étaient convaincus eux-mêmes que l’Ukraine était gouvernée par des nazis et que la population allait les accueillir à bras ouverts, ce qui n’a évidemment pas été le cas. Ce sous-dimensionnement des effectifs est aussi lié à une préparation dans un cercle très limité de militaires, de généraux et d’officiers supérieurs ayant la même vision du conflit.
À partir du moment où vous réduisez le nombre d’experts et que vous choisissez des affidés au système, personne ne va avoir un avis critique pour ne pas risquer sa position ou même sa vie. Cette absence de pensée critique a lourdement impacté l’invasion russe. Cette année 2022, s’est poursuivie avec une guerre de mouvement ukrainien puisque les troupes ukrainiennes ont repris les alentours de Kharkov et les Russes se sont retirés de Kyiv et de Kherson.
Ensuite, à partir de l’hiver 2022-2023, les deux armées ont campé sur leur position. Aujourd’hui les Russes concentrent leurs forces sur un seul front et ont renforcé leurs effectifs. Nous sommes à l’opposé de la situation de 2022, les troupes ne sont plus en mouvement et il n’y a plus qu’un seul front.
La guerre est également entrée dans un nouveau paradigme, les Ukrainiens ayant la responsabilité de l’offensive, alors qu’initialement, ils étaient dans la défensive.
Aujourd’hui, les forces de Kiev n’ont pas l’artillerie nécessaire pour percer les défenses russes et donc ils n’ont pas pu faire la percée vers Melitopol et la mer d’Azov. La situation est d’ailleurs très similaire à celle de la Première Guerre mondiale, avec des petits mouvements, mais qui n’ont pas de conséquences sur la stratégie globale. Nous sommes dans une guerre de positions des deux côtés et la rupture ne pourra se faire qu’avec une forte hausse de capacité d’artillerie ukrainienne et l’arrivée d’armements nouveaux et en nombre, notamment les missiles Scalp, Storm et Shadow et les chars américains.
Le changement d’équilibre sera soit le fait d’une percée russe avec 30 ou 40.000 hommes qui seront lancés à l’assaut, soit avec par des technologies occidentales utilisées massivement par les Ukrainiens ou encore par un coup de génie militaire. Quoiqu’il en soit, il faut un élément de rupture.
Les élections américaines vont avoir lieu en novembre prochain. Quelle serait la meilleure option pour l’Ukraine ? L’élection de Donald Trump ou une réélection de Joe Biden ? Vladimir Poutine a récemment déclaré qu’il préférait que ce soit l’actuel locataire de la Maison-Blanche.
Les mots dans la bouche de Monsieur Poutine ou des dirigeants russes de manière générale, sont des obus destinés à atteindre un objectif ponctuel dans l’opinion publique occidentale. On ne peut pas comprendre et interpréter les mots et les paroles sans savoir comment elles sont émises. Avec les Russes, on retrouve tous les paradigmes de l’ère soviétique : on est dans l’efficacité et le rationnel, peu importe la vérité du discours. On ne peut accorder aucun crédit ni aux chiffres ni aux mots prononcés par les Russes.
Souvenons-nous que le seul nombre de morts cité par la Russie dans le conflit est de 5.937 l’an dernier. En Occident, nous ne fonctionnons pas dans le même référentiel, donc arrêtons de donner du crédit à ce que dit Vladimir Poutine.
Maintenant, il faut faire une différence fondamentale entre ce que dit Donald Trump et ce que font les États Unis. Monsieur Trump est un ovni, c’est un homme ingérable. Même les gens qui ont travaillé avec lui comme l’ancien chef du Pentagone James Mattis ou l’ancien conseiller à la sécurité nationale John Bolton le disent. Cet homme n’est pas fait pour être président.
Rappelez-vous qu’en 2018, à la suite d’un échange téléphonique avec le président Turc Erdogan, il décide de retirer les soldats américains de Syrie, ce qui a provoqué un scandale et a entrainé la démission de Mattis. Qu’une décision de ce niveau soit prise de cette manière, est assez ahurissant. On parle ici de stratégies qui découlent directement de nombreux comités du Pentagone et d’aussi nombreux comités du département d’État. Il s’agit de la politique étrangère américaine. Un homme seul, même président, ne peut pas la changer en un instant.
Pour l’Ukraine, il vaudrait mieux que Joe Biden soit réélu. Depuis le début, il a fait ce qu’il fallait, tout est arrivé pendant sa présidence et aujourd’hui il demande encore une enveloppe de 60 milliards de dollars pour participer à l’approvisionnement militaire et économique de l’Ukraine.
Le Parlement hongrois a donné son feu vert lundi à l’adhésion de la Suède à l’OTAN. Le fait que Stockholm rejoigne l’alliance atlantique constitue-t-il un tournant majeur pour la défense de l’Europe ?
Cela constitue surtout une défaite majeure pour la stratégie du pouvoir russe dans son entreprise d’invasion de l’Ukraine pour essayer de reconstituer le Grand Empire russe. C’est un échec puisque 145 millions de Russes n’arrivent pas à prendre le contrôle de 44 millions d’Ukrainiens.
Au bout de deux ans de combats, les gains territoriaux de la Russie sont à peu près de 10 % et Ils avaient déjà une présence forte, cachée, dans le Donbass et ils avaient déjà annexé la Crimée. C’est donc une défaite militaire, mais aussi une défaite politique à double volet: on a vu le 26 février que l’Europe s’organisait avec neuf programmes d’armement, 25 programmes d’assistance avec une volonté européenne d’émettre des emprunts pour financer 1 million d’obus par an. Il s’agit de quelque chose qui n’a jamais été fait, l’Union européenne est renforcée et non divisée ; de leur côté, les États-Unis ont créé l’an dernier un groupe de défense de l’Ukraine composé de 50 nations et entités – il n’y a jamais eu une telle mobilisation militaire.
Vient s’ajouter à cela, l’entrée dans l’OTAN de deux nouveaux pays, la Finlande et la Suède. C’est un triple échec pour la Russie, militaire et politique puisque contrairement à ce que souhaitait Vladimir Poutine, l’Europe n’est pas divisée et n’est pas séparée des États-Unis, et un échec en matière d’alliances militaires internationales puisque l’OTAN s’élargit et se renforce.
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