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Ulrich Pfeil : « Si le SPD a remporté, de justesse, le scrutin face à l’AfD, Olaf Scholz en ressort, lui, affaibli »

septembre 25, 2024 17:59, Last Updated: septembre 25, 2024 17:59
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ENTRETIEN – Trois semaines après deux succès électoraux, en Thuringe et en Saxe, le parti allemand Alternativ für Deutschland (AfD) poursuit son essor, devancé, dimanche 22 septembre, seulement d’une courte tête par le parti du chancelier Olaf Scholz lors des élections régionales dans le Brandebourg. Ulrich Pfeil, historien allemand et professeur de civilisation allemande à l’université de Lorraine à Metz, dresse le bilan de ce scrutin.

Epoch Times : Le Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD) a obtenu 30,9 % des suffrages, l’emportant de justesse face à l’AfD, qui a réalisé un score de 29,2 %. Comment interprétez-vous cette percée de l’AfD, déjà observable lors des dernières élections régionales en Thuringe et en Saxe ?

Ulrich Pfeil : La popularité de l’AfD a véritablement décollé en 2015, avec l’afflux de réfugiés en Allemagne sous Angela Merkel. Ce parti a particulièrement ciblé sa politique anti-immigration sur les Länder de l’Est, où le rejet des étrangers était déjà marqué, notamment en raison du très faible nombre d’immigrés à l’époque de la RDA. La politique migratoire du gouvernement fédéral, associée à l’idée que Berlin soutenait financièrement ces nouveaux arrivants davantage que les Allemands de l’Est, n’a fait qu’accentuer un sentiment d’injustice chez ces habitants, qui se considèrent souvent comme les perdants de la réunification. Certains allant même jusqu’à se voir comme annexés et traités en citoyens de seconde zone par rapport à l’Ouest.

En combinant une politique anti-immigration et des propositions sociales, l’AfD a donc capitalisé sur ce terrain électoral fertile, jouant sur un discours selon lequel les migrants dépossèdent les Allemands de leurs emplois ou perçoivent des aides sociales au détriment de la population locale. Elle s’est ainsi attirée jusqu’aux faveurs même des électeurs de l’extrême gauche, également hostile à la politique migratoire du gouvernement fédéral. C’est ce cocktail politique qui explique en grande partie le succès croissant de l’AfD ces dernières années.

Hans-Christoph Berndt, tête d’affiche de l’AfD dans le Brandebourg, a déclaré dimanche sur ZDF que l’avenir appartient à son mouvement, puisque l’AfD est désormais « le parti de la jeunesse ». Quelle analyse faites-vous de ce clivage croissant entre les jeunes et les générations plus âgées en Allemagne ?

Le premier parti chez les jeunes est désormais l’AfD, une évolution notable. Chez cette génération, le rejet des politiques migratoires s’accompagne d’une vision nostalgique du passé et même d’une réinterprétation fantasmée de la RDA. Le fait qu’ils n’aient pas vécu sous la dictature communiste les amène à construire une image idéalisée d’une RDA sociale n’ayant jamais existé.

Il faut noter que ce sont principalement de jeunes hommes qui votent pour l’AfD. Cela semble être lié, en partie, à la montée du wokisme et à une remise en question d’une vision de la société traditionnelle, ainsi que de la place de l’homme dans la cité.

De plus, de nombreuses femmes d’Allemagne de l’Est ont quitté l’Est pour l’Ouest, où elles poursuivent des études, trouvent du travail et s’installent. Ce phénomène a créé un déficit démographique qui renforce chez les habitants de l’ex-RDA ce sentiment d’être les grands perdants de la réunification.

Ces jeunes hommes, souvent en début de carrière, sont par ailleurs particulièrement anxieux face à la menace du chômage et craignent que les étrangers ne prennent leurs emplois. Dans le Brandebourg, cette inquiétude s’est illustrée avec le cas de l’usine Tesla, qui a recruté de nombreux travailleurs étrangers, pourtant en raison de la pénurie de main-d’œuvre. Toutefois, cet aspect de la réalité n’est pas reflété dans le discours de l’AfD.

Le 16 septembre, sur décision du chancelier Olaf Scholz, l’Allemagne a réintroduit des contrôles à l’ensemble de ses frontières. Cela a-t-il selon vous joué en faveur du SPD ? 

Il n’est pas certain que le retour des contrôles aux frontières, très récent, explique ces résultats électoraux. Les autres partis calquent leur discours sur celui de l’AfD, pensant pouvoir en tirer profit, mais cela ne fonctionne pas : au final, les électeurs préfèrent toujours la version originale. On le voit avec la CDU, par exemple, qui n’a pas bénéficié d’un virage à droite assumé. Pour l’emporter, le SPD et la CDU doivent donc proposer une offre politique alternative à celle de l’AfD.

Lors de ces régionales, le parti chrétien-démocrate (CDU) s’est effondré à 12 %. Selon Bild, de nombreux électeurs de ce parti, en constatant un duel opposant principalement le SPD à l’AfD, ont choisi de « voter utile » en se tournant vers le SPD. Si bien que devant ce résultat, le secrétaire général de la CDU, Carsten Linnemann, a évoqué une « défaite amère ». Faut-il y voir une situation similaire à celle de la France, où le centre-droit se retrouve dépassé et écartelé entre sa gauche et sa droite ?

Je ne pense pas que ce soit le cas pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le vainqueur des dernières élections régionales en Saxe reste un ministre-président issu de la CDU, Michael Kretschmer.

Ensuite, lors de ces régionales dans le Brandebourg, le ministre-président Dietmar Woidke a pu compter sur le soutien du ministre-président de Saxe, Michael Kretschmer, membre de la CDU. Ce dernier a explicitement appelé les électeurs de son parti à donner leur suffrage au SPD en vue de prévenir l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement AfD. Pris de peur par les scores réalisés par l’AfD lors des récentes élections en Saxe et en Thuringe, les électeurs de la CDU ont donc accepté de « voter utile » en soutenant le président sortant.

Enfin, les sondages nationaux indiquent une bonne stabilité du parti démocrate-chrétien. Reste à voir comment la situation évoluera d’ici les élections fédérales de l’année prochaine.

Si un parti doit s’inquiéter, c’est plutôt le SPD. Au niveau national, celui-ci plafonne autour de 15 % des voix, un score très décevant par rapport à son histoire.

Quelle analyse faites-vous de la performance réalisée par l’Alliance Sahra Wagenknecht, arrivée à la troisième place de ce scrutin ?

La montée du nouveau parti fondé seulement en janvier dernier par Sahra Wagenknecht a presque fait disparaître la gauche radicale Die Linke. Ce parti a même réussi à capter des électeurs de l’AfD et du SPD, atteignant déjà 13 % des voix, bien qu’il manque encore d’une véritable infrastructure et d’un programme clair.

On classe souvent ce parti à gauche, mais son positionnement à la fois national et social le rend difficile à catégoriser, puisque revendiquer un caractère national tout en se réclamant de gauche complique les choses au regard de l’histoire de l’Allemagne. De plus, ce parti rejoint l’AfD sur l’opposition à la livraison d’armes à l’Ukraine.

Beaucoup d’Allemands de l’Est ne comprennent pas pourquoi des milliards d’euros sont dépensés pour soutenir Zelensky, estiment que cet argent serait mieux dépensé dans les infrastructures en Allemagne, et rejettent l’idée d’une escalade qui pourrait mener à une Troisième Guerre mondiale. Aussi, les discours opposés au soutien à l’Ukraine, voire favorables à la Russie, résonnent favorablement dans ces régions de l’Est.

Membre de la coalition « feu tricolore », le Parti libéral-démocrate (FDP) s’est effondré à 0,8 %, un niveau historiquement bas. Wolfgang Kubicki, vice-président fédéral du FDP, a lancé dimanche un ultimatum sur Welt : « Soit nous parvenons à trouver un dénominateur commun raisonnable dans les deux ou trois prochaines semaines, soit il n’y aura plus de raison pour que le FDP reste dans cette coalition. » Pourriez-vous rappeler comment cette coalition hétéroclite s’est formée, et pensez-vous que l’éventualité d’une rupture était prévisible ?

C’est la première fois dans l’histoire de la République fédérale d’Allemagne qu’une coalition de trois partis forme un gouvernement, réunissant le SPD, les Verts et le FDP. Traditionnellement, les gouvernements allemands étaient formés par des coalitions de deux partis avec des divergences limitées.

À l’époque du chancelier Gerhard Schröder, la coalition formée entre le SPD et les Verts fonctionnaient sans trop d’accrocs en raison de leurs nombreux points de convergence. Cependant, la participation du FDP à la coalition actuelle, en raison d’une absence de points communs, complique la conduite d’une politique cohérente, car leurs positions sont souvent en opposition, comme cela a été particulièrement visible pendant la pandémie de Covid-19.

Cela étant dit, malgré les divergences affichées en public, à mon avis, aucun des trois partis n’a intérêt à mettre fin à la coalition tricolore et à convoquer des élections anticipées. Dans un tel cas de figure, le FDP risquerait de disparaître du paysage politique fédéral, le SPD se situe, lui, à seulement 15 % dans les sondages, et les Verts ont également perdu des points au cours des derniers mois. De plus, le chaos politique engendré à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale en France les dissuadera sans doute de s’engager sur un chemin similaire.

Concernant le chancelier Olaf Scholz, sa cote de popularité s’élève à seulement 18 %, selon les sondages. À titre de comparaison, le taux de popularité le plus bas de Gerhard Schröder durant son mandat avait chuté à 24 %, tandis qu’Angela Merkel n’était jamais tombée en dessous de 40 %. Quelles sont les causes de ce désamour ?

En dehors des griefs contre sa politique, je pense que notre chancelier a de réels problèmes de communication. À l’époque, Gerhard Schröder savait comment s’adresser aux Allemands, mais aussi aux Français et aux autres partenaires internationaux. On peut dire qu’Olaf Scholz manque de charisme et de clarté dans sa manière de gouverner.

Quand Scholz se déplace en Allemagne, il ne parvient pas à captiver son auditoire, contrairement à Emmanuel Macron, qui sait comment s’adresser à la foule. En mai dernier à Dresde, le président français a fait des discours très appréciés, incarnant ce que Scholz n’est pas : un dirigeant qui sait communiquer.

En outre, il s’agit d’un chancelier qui peine à guider son gouvernement, et cela se voit. Le FDP fait souvent cavalier seul, tandis que Scholz, impuissant, ne parvient pas à unir ces trois partis pour mener une politique cohérente.

Son impopularité est d’ailleurs telle qu’avant les régionales dans le Brandebourg, le ministre-président sortant Dietmar Woidke a explicitement demandé à Olaf Scholz de rester à l’écart de sa campagne électorale pour ne pas nuire à ses chances de victoire. Si le SPD a finalement remporté ces élections, le chancelier, lui, en ressort affaibli.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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