Un avenir incertain, alors que trois pays d’Afrique de l’Ouest dirigés par une junte quittent le bloc régional

Par Ekpali Saint
1 février 2025 21:14 Mis à jour: 1 février 2025 21:14

Trois pays d’Afrique de l’Ouest dirigés par une junte – le Mali, le Niger et le Burkina Faso – se sont officiellement retirés de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui compte 15 membres.

La sortie du bloc régional des trois pays du Sahel est intervenue un an après qu’ils ont formellement notifié au groupe leur désir de se retirer, alors que le CEDEAO exigeait la restauration d’un régime démocratique au Niger après un coup d’État militaire qui a signé le sixième renversement de pouvoir en trois ans en Afrique de l’Ouest.

Annonçant ce retrait dans un communiqué du 29 janvier, la CEDEAO, créée en 1975 pour promouvoir la « coopération économique » entre ses États membres, affirme qu’elle gardera ses « portes ouvertes » dans « un esprit de solidarité régionale et dans l’intérêt des populations ».

Le bloc a demandé aux autres États membres de continuer à permettre aux citoyens des trois pays dirigés par la junte de bénéficier d’avantages et de privilèges tels que la libre circulation des biens et des personnes dans la région avec un passeport de la CEDEAO, bien que les trois pays dirigés par la junte aient lancé leur propre passeport commun.

« La déclaration [de la CEDEAO] est réconciliatrice. Elle ouvre la voie à davantage de dialogue entre la CEDEAO et les trois États du Sahel », a déclaré Chris Kwaja, directeur national pour le Nigeria à l’Institut américain pour la paix (United States Institute of Peace).

« Nous attendons donc leur réponse afin de comprendre la position de l’Afrique de l’Ouest sur la relation entre la CEDEAO et ces trois États du Sahel. »

Mais il est difficile de prédire à ce stade si ces trois pays reviendront dans l’union économique.

Les chefs militaires avaient précédemment accusé la CEDEAO d’avoir imposé des sanctions « inhumaines, illégales et illégitimes » à leur encontre après les différents coups d’État qui les ont portés au pouvoir.

En outre, les dirigeants militaires estiment que la CEDEAO ne leur a pas apporté un soutien suffisant pour les aider à combattre les violences djihadistes qui secouent le Sahel depuis des années.

Pour M. Kwaja, les trois gouvernements militaires devront élaborer de nouvelles stratégies pour les aider à lutter contre le terrorisme dans la région, puisque les trois pays du Sahel pourraient ne pas bénéficier des renseignements que la CEDEAO partage avec ses États membres.

« Cette décision de quitter la CEDEAO signifie qu’ils ne feront plus partie de la stratégie de lutte contre le terrorisme de la CEDEAO », a-t-il souligné à Epoch Times. « Ils doivent maintenant concevoir leurs propres méthodes et de nouveaux modes de relation seront élaborés. »

D’ores et déjà, les trois pays ont créé l’Alliance des États du Sahel (AES).

Formée en septembre 2023, l’alliance est un pacte de défense mutuelle visant à se prémunir contre les menaces extérieures.

Ils ont également annoncé la création d’une armée unifiée de 5000 hommes pour combattre les djihadistes au Sahel.

Un avenir incertain pour la CEDEAO

Le départ des pays du Sahel du bloc ouest-africain a suscité des réactions mitigées, ainsi que les conséquences économiques, sécuritaires, politiques et diplomatiques qui en découlent.

Toutefois, alors que ce retrait crée un vide dans les décennies d’intégration régionale, on craint de plus en plus qu’il n’affecte les efforts déployés pour relever collectivement les défis régionaux.

Certains experts estiment que l’avenir du bloc régional est incertain et que le retrait de trois membres fondateurs « affaiblira la capacité de la CEDEAO à réguler les crises politiques dans l’espace régional », a déclaré Gilles Yabi, fondateur du groupe de réflexion ouest-africain Wathi.

Mais M. Kwaja n’est pas de cet avis.

« Si elles [les trois nations] faisaient partie de la CEDEAO, la CEDEAO serait plus forte. Mais si elles n’y sont pas, c’est comme une chaise à quatre pieds dont l’un est cassé. Il existe des moyens de s’asseoir sur la chaise à trois pieds et d’être à l’aise », a-t-il souligné.

« La CEDEAO ressentira leur absence, mais pas au point de se sentir affaiblie. »

Quoi qu’il en soit, M. Kwaja estime que la CEDEAO a encore du travail à faire pour unir ses États membres et gagner leur confiance pour ainsi éviter qu’ils s’en aillent.

Le nouveau président élu du Ghana, John Dramani Mahama, s’est déjà engagé auprès de l’AES et a annoncé qu’il nommerait un envoyé auprès du nouveau bloc.

« Le nouveau président n’a pas la même position de principe face aux coups d’État que ses prédécesseurs », a expliqué Rinaldo Depagne, directeur adjoint du projet Afrique pour l’International Crisis Group (ICG).

« La question qui se pose maintenant est de savoir si nous pouvons être à la fois avec l’AES et la CEDEAO. »

En attendant, on ne sait pas très bien comment les gouvernements dirigés par les militaires entendent entretenir des relations avec les autres États membres de la CEDEAO.

Par exemple, le Niger a refusé de rouvrir sa frontière avec le Bénin, l’accusant d’abriter des camps d’entraînement djihadistes.

Il a également accusé le Nigeria voisin de servir de « base arrière » aux efforts visant à le « déstabiliser », allégations que les deux pays ont démenties.

Collaboration avec la Russie

Bien que les trois pays aient donné l’impression de pouvoir survivre sans le soutien de la CEDEAO, M. Kwaja a indiqué : « Je ne les vois pas comme des économies dynamiques capables de relever efficacement leurs défis de survie et de gouvernance. »

Avant de se retirer formellement de la CEDEAO, les trois pays ont pris leurs distances avec la France, ancienne puissance coloniale, et collaborent désormais avec la Russie.

Mais M. Kwaja a expliqué que le renforcement des liens avec la Russie n’était peut-être pas la meilleure solution, du fait de l’implication historique de ce pays et de ses liens avec l’Afrique.

Il a noté que « la Russie n’a pas d’antécédents quant à la consolidation de la paix et à l’aide au développement en Afrique ».

La Russie a eu trois histoires connues en Afrique, a fait valoir M. Kwaja.

L’une d’entre elles est le commerce des armes, notamment la fourniture d’armes à l’Afrique.

La seconde est l’achat de ressources naturelles à l’Afrique.

La troisième porte sur l’accord bilatéral sur l’éducation entre le Nigeria et la Russie, qui a permis à des milliers de Nigérians d’étudier dans les universités russes.

« Ainsi, les pays dirigés par la junte doivent prendre le temps de comprendre avec qui ils ont affaire afin de ne pas [perdre] l’attention de la Russie et de la CEDEAO », a souligné M. Kwaja.

Un avenir commun

Malgré ses lacunes, le bloc régional est devenu une autorité politique de premier plan en Afrique de l’Ouest.

Toutefois, les critiques ont fait valoir qu’il était urgent de réformer la CEDEAO afin d’apaiser les craintes des citoyens, d’unifier et de stabiliser la région, et de prévenir les coups d’État.

« La CEDEAO doit se réévaluer en termes d’identité, de force et de bonne volonté afin de garantir que ce genre d’erreur ne se reproduise pas », a poursuivi M. Kwaja.

Elle doit être « plus stratégique, plus consciente et plus réfléchie quant à la voie crédible à suivre pour avoir une région qui fonctionne pour tous », a-t-il ajouté.

L’un des moyens d’y parvenir, suggère M. Kwaja, est que la CEDEAO place la sécurité humaine au premier plan des politiques du bloc et communique constamment sa vision aux populations.

« Certaines personnes estiment que la CEDEAO est devenue un club de chefs d’État et de gouvernements au lieu de promouvoir les intérêts de leurs citoyens. La CEDEAO devrait porter la vision d’un avenir uni de l’Afrique de l’Ouest à un niveau supérieur », a souligné M. Kwaja.

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