Début avril, la rupture de la digue d’un bassin de rétention de l’usine Tereos d’Escaudœuvres (Nord), troisième sucrier mondial qui commercialise la marque Beghin Say, a entraîné le déversement de 100 000 m³ d’eau de lavage de betteraves dans l’Escaut. Les répercussions sur la faune aquatique sont dramatiques, causant la mort de dizaines de tonnes de poissons. Les Belges accusent les Français de n’avoir pas donné cette information suffisamment tôt, ce qui aurait pu réduire les pertes.
Les faits se sont produits le 9 avril. Christina Calciano, une infirmière de Thun-Saint-Martin (Nord), raconte à France Info qu’elle a entendu un bruit d’eau aux environs de minuit. Elle a constaté qu’à ce moment-là, « il y avait 30 cm d’eau dans la buanderie. C’était très noir, comme du pétrole ». La digue d’un bassin de la sucrerie Tereos, à 200 mètres de chez elle, venait de céder. Les 100 000 m³ d’eau de lavage de betteraves se sont déversées à travers les champs puis dans l’Escaut.
Des dizaines d’habitations ont été touchées, nécessitant l’intervention immédiate des pompiers. Puis, les jours suivants, des poissons morts ont été retrouvés. L’Office français de la biodiversité établit le lien entre les eaux déversées et la mort des poissons. Elle annonce l’ouverture d’une enquête judiciaire le 15 avril pour « pollution des eaux superficielles ». Les poissons sont morts par asphyxie et aussi en raison d’une présence d’ammoniac et de nitrites soudainement développés par la dégradation des matières organiques. Une pollution qui n’est pas chimique, mais néanmoins redoutable pour les organismes aquatiques.
Tout le monde sait très bien que #Tereos n’entretient pas/plus ses infrastructures… https://t.co/IkUJjdCXe4
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C’est le 20 avril que Fabrice Breyne, agent du Service de pêche de la Wallonie, constate les dégâts, après qu’un pêcheur l’a avertit. « Quand je suis arrivé à la darse d’Antoing, j’ai vu des tonnes et des tonnes de poissons agglutinés pour essayer d’avoir de l’oxygène », a-t-il expliqué. Les relevés wallons révèlent que le taux d’oxygène dans l’eau était proche de 0 pendant deux jours et demi alors que les poissons ont normalement besoin de 5 mg/L au minimum pour survivre.
Xavier Rollin, directeur du Service de la pêche wallon, a ajouté pour France Info que « le préjudice est considérable dans la partie wallone. On estime entre 50 et 70 tonnes le nombre d’animaux morts », dont des espèces menacées. Sans compter que d’autres habitants aquatiques tels que les amphibiens et les libellules ont également été décimés dans ce carnage. Seulement sept tonnes de poissons ont pu être sauvés.
Les Belges sont indignés par le fait que les autorités françaises ne les aient pas avertis plus tôt. Nicolas Yernaux, porte-parole du service public de Wallonie, précise à France Info : « Il y a une procédure qui dépend de la commission internationale Escaut, qui prévoit qu’en cas d’incidents de ce type, les régions et pays limitrophes soient prévenus. Personne ne l’a été. »
☢ La CATASTROPHE ÉCOLOGIQUE causée par @Tereos jusqu’en Belgique, et le silence des autorités Françaises, sont scandaleux.@EmmanuelMacron La Belgique attend des réponses ! ??#escaut #pollution #wallonie #belgique @Sophie_Wilmes @SanteBelgique https://t.co/IooMiAwTn4
— Avis Dmoi (@AvisDmoi) May 5, 2020
La préfecture du Nord ne s’est pas exprimée publiquement avant ce 24 avril dans un communiqué intitulé : « Pollution de l’Escaut : le préfet s’engage à la transparence ». Elle a expliqué : « Bien qu’une diminution d’oxygène avec l’apparition d’une mortalité piscicole ait pu être constatée dans les jours suivant l’accident, un retour progressif à un taux d’oxygène plus normal a été mesuré. » Malgré cette volonté de transparence, les services de la préfecture ont refusé de répondre aux questions des journalistes de France Info.
Pour l’entreprise Tereos, contactée par mail, « il est à ce stade impossible d’établir un lien de causalité avéré entre l’incident survenu à Escaudœuvres en France et ce qui est rapporté de la situation en Belgique avec une mortalité des poissons d’ampleur. […] En tant qu’entreprise citoyenne, [Tereos] assumera sa responsabilité si elle venait à être établie ».
L’entreprise, qui avait déjà pollué l’Oise en 2018 et qui a connu des incidents en février, se défend en disant que « le risque environnemental est au cœur de nos préoccupations, et des contrôles de nos process industriels sont appliqués au quotidien. Malgré notre vigilance et notre rigueur, il arrive néanmoins que des incidents soient à déplorer ».
Pollution de l’Oise en 2018 par #Tereos: jamais condamné pour cet autre désastre écologique !!! #escaut #Belgique #systèmetereos #usineszombies #polluerpluspourperdremoins https://t.co/a9LmNhTO0L via @rtbfinfo
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Pour Fabrice Breyne, cela ne fait aucun doute que cette catastrophe écologique provient de cette usine. Le parquet de Cambrai a ouvert deux enquêtes judiciaires pour « déversement de substances nuisibles au milieu aquatique ». Elles sont confiées à l’Office française de la biodiversité et aux gendarmes d’Iwuy. Le procureur Rémi Schartz estime qu’il est « prématuré d’envisager la mise en cause de la responsabilité pénale d’une ou plusieurs personnes ».
Xavier Rollin pense « retrouver la même biomasse d’ici cinq ans. Maintenant, les espèces protégées, nous allons peut-être les perdre à jamais ». De plus, un risque de pollution à moyen et long terme découlant de cette catastrophe est à prévoir, selon lui. « Il faut arrêter de penser qu’avec des catastrophes pareilles, il suffit de rempoissonner avec des poissons achetés en pisciculture. Ce n’est pas comme ça que ça se passe dans la nature, on a de toute façon perdu en biodiversité génétique, et ce n’est pas remplaçable », conclut-il.
L’entreprise Tereos risque jusqu’à 75 000 euros d’amende en France et un million d’euros en Belgique.
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