Le recul de l’âge légal de départ à la retraite cristallise à nouveau les débats en ce début 2023, à quelques jours de la présentation du projet de réforme qui doit être présenté le 10 janvier. Une bonne occasion pour (re)parler de l’emploi des seniors, qui constitue l’un des enjeux clés de l’avenir de notre système !
Depuis la fin des années 1980, aussi, l’espérance de vie s’est allongée, le taux d’activité des seniors s’est élevé, les cotisations retraite ont augmenté, le rapport entre le nombre de cotisants et pensionnés a diminué et le niveau des pensions a baissé. Rappelons que nous comptons environ 17 millions de personnes à la retraite pour 28,8 millions de population active (en emploi ou non). En 2050, selon les estimations du Conseil d’orientation des retraites (COR) de septembre 2022, il y aura, à législation équivalente, 23 millions de retraités, pour une population active de 28,9 millions. Ce sont ces raisons démographiques qui poussent le gouvernement à proposer une réforme à laquelle une majorité de Français se dit opposée.
Mauvaise image
En effet, les Français se distinguent des Européens par leur refus de travailler plus longtemps. Une tendance plus marquée chez les plus modestes : 77 % des classes moyennes inférieures et 85 % des plus pauvres sont favorables à la retraite à 60 ans, contre seulement 35 % du côté des catégories aisées.
La période post-Covid a accouché d’une autre épidémie : la disparition de l’envie de travail ! En effet, le travail, dont le président de la République Emmanuel Macron a vanté les mérites lors de ses vœux du 31 décembre lorsqu’il a évoqué la réforme à venir, a perdu de sa centralité. Est-ce le travail qui a perdu de sa puissance comme élément de la définition de soi ou son sens qui s’étiole ? Quoi qu’il en soit, à la question « qu’est-ce qui est “très important dans votre vie” ? », le travail dégringole de 36 points en 21 ans ! Entre 1990 et 2021, on passe de 60 % des Français à 24 % qui l’affirment.
Et si l’image du travail est déficitaire, que dire de celle des seniors dans l’entreprise… Aujourd’hui, seulement 56,1 % des 55-64 ans sont en emploi. Or, changer les représentations des seniors et favoriser leur emploi constitue un préalable à toute réforme des retraites : sinon, le risque sera de renforcer et rallonger encore le chômage des plus de 50 ans.
Actuellement, pour une grande partie des dirigeants et des responsables de ressources humaines, l’image des seniors reste largement associée à une charge économique, un problème de cohésion interne, un risque de productivité… Sans compter qu’ils peuvent estimer que la présence en nombre de seniors dans leur organisation a un effet repoussoir sur les candidats plus jeunes…
De même, les entreprises, qui continuent de vouloir rajeunir leur clientèle et leur image, recherchent en priorité des jeunes, si possible hyper motivés, super disponibles et formidablement bien formés… Cependant, elles oublient que la consommation est aujourd’hui tirée par les seniors, tout comme elles négligent leur poids démographique de plus en plus important.
Un sens différent selon les âges
Il existe des pistes existent pour favoriser l’emploi des seniors et valoriser l’expérience de ceux qui prennent de l’âge dans le travail. Alors que l’idée d’instaurer des quotas de seniors dans l’entreprise fait son chemin, la notion de sens au travail reste plus largement à interroger dans son interaction entre l’entreprise et la personne. Comme le rappelle Caroline Arnoux-Nicolas, maîtresse de conférences en psychologie à l’Université Paris-Nanterre, ce sens intervient de « manière différente selon les âges de la vie, et de manière prégnante à l’occasion des différentes transitions tout au long des parcours professionnels ».
L’être humain a besoin de se sentir utile et reconnu. Quel que soit l’âge, mais plus encore pour les gens expérimentés, l’activité professionnelle se doit de porter du sens, en termes d’utilité, de revenus, de symbolique, de relations, etc. L’utilité sociale d’une personne ne se résume pas à son travail. Pour autant, se sentir estimé et considéré dans son activité manuelle et intellectuelle constitue une dimension majeure de la reconnaissance et de l’estime de soi. « Le sens est le mot clé d’une vie bonne », résume le professeur de psychiatrie et chef de service du centre psychiatrique de l’Université de Louvain, Dirck De Wacher.
Pensons aussi à une approche plus souple du départ à la retraite. Dans les années 1990, l’économiste Dominique Taddéi, proposait déjà une retraite à la carte où le salarié senior pourrait progressivement réduire son temps de travail. Cette approche serait aussi singulièrement bénéfique en termes de santé publique, car le passage brutal à la retraite reste un choc difficile à vivre pour quantité de personnes.
La fin de la vie professionnelle pourrait constituer aussi un temps utilisé pour la transmission de savoir-faire entre l’expérimenté et un salarié découvrant le métier. Le contrat de génération mis en place en 2013, qui permettait aux entreprises de bénéficier d’une aide pour recruter des jeunes en conservant des seniors à leur poste, fut un échec ? Relançons l’idée en la rendant plus simple et plus lisible pour les entreprises comme pour les salariés.
La piste du « care »
L’enjeu, c’est aussi de construire des politiques actives et adaptées de la prévention tout au long de la vie de travail. Elles peuvent aussi bien concerner sur la santé (dépistage, suivi) et la qualité de vie (mobilisation de médecines complémentaires adaptées, d’approches non médicamenteuses ou de mesures d’ergonomie) que le maintien de compétence et de capacité à saisir le monde et ses évolutions (formation technique, soutien à la culture générale et scientifique).
Une autre piste serait d’offrir la possibilité aux plus petites entreprises, qui n’ont pas toujours la nécessité, ni les moyens, d’employer à plein temps un expert, de se grouper à plusieurs employeurs pour offrir des conditions satisfaisantes d’activité à un salarié expérimenté.
Orienter l’emploi des seniors vers les professions d’utilité sociale et du « care » (accompagnement en formation des jeunes comme des seniors, soutien aux plus fragiles, métiers de la prévention…), forme une autre piste. Profiter de ses dernières années de vie professionnelle pour s’orienter vers des métiers où le sens est central peut apparaître comme une belle façon de poursuivre son parcours professionnel et de vie. Pour ce faire, sans doute serait-il opportun de donner plus de responsabilités aux régions pour qu’elles assurent au mieux l’orientation et la formation des seniors en prenant en compte les besoins spécifiques à leur territoire.
Mieux prendre en compte le sens du travail, favoriser les transmissions de compétence et de savoir-être entre les générations, valoriser l’expérience et changer le regard sur l’âge forment un ensemble qui peut contribuer à améliorer l’emploi des seniors. Et plus largement, la situation du pays et de ses habitants.
Serge Guérin est l’auteur de La société résiliente, avec Valérie Fournier (Fauves, 2022) et Les Quincados (Calmann-Levy, 2019).
Serge Guérin, Professeur INSEEC Grande École. Sociologue, directeur de MSc « Directeur des établissements de santé », INSEEC Grande École
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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