« On me détruisait en tant qu’être humain et j’ai dû créer ma nouvelle identité »: née avec une malformation en URSS et devenue performeuse star après une amputation libératrice, Viktoria Modesta s’apprête à danser avec des prothèses au cabaret parisien Crazy Horse.
Regard intense, habits et cheveux noirs en chignon, longs ongles couleur métal, la performeuse britannique de 31 ans, raconte à l’AFP l’histoire de sa transformation dans un des salons privés aux murs rouges et lumière tamisée du temple du « nu chic ».
Avec une nouvelle prothèse pour chaque tableau, entourée de danseuses habillées seulement de jeux de lumière, elle se produira du 3 au 16 juin au Crazy, qui a déjà accueilli par le passé des artistes au profils atypiques comme Dita Von Teese, Pamela Anderson ou Conchita Wurst.
« Chaque prothèse artistique est créée pour un projet spécifique, elle raconte toute une histoire » comme le pic qui brise la glace dans son clip « Prototype » visionné plus de 12 millions de fois sur YouTube et qu’elle arborera au Crazy Horse. Née en Lettonie, alors république soviétique, avec une malformation de la hanche et d’une jambe, Viktoria Modesta fait à 20 ans le choix d’une amputation « pour des raisons médicales et psychologiques ».
Une façon de reprendre le contrôle sur son corps et couper les ponts avec un passé douloureux. « La société faisait tout pour me détruire en tant qu’être humain. Quand je suis née, on n’a pas laissé ma mère me voir pendant cinq jours, en l’incitant à m’envoyer dans un orphelinat. Elle m’a sauvée », raconte-t-elle.
« Trop de gens me jugeaient alors que cela ne les regardait pas : des vendeuses, des femmes âgées qui disaient Oh! mon Dieu, comment tu vas survivre, qui va t’épouser? ». « J’ai grandi dans un environnement extrême, avec une mentalité brutale qui considérait ceux qui n’étaient pas biologiquement corrects comme des citoyens de seconde zone. Je me sentais tellement exclue que je devais créer ma nouvelle identité », poursuit l’artiste.
« Mon esprit créateur n’était pas en phase avec ma condition physique et je voulais vraiment réparer cela. Le corps est la seule chose qui nous appartient, je voulais me le réapproprier, c’était une question de survie », poursuit Viktoria, qui dit s’être inspirée des performances avant-gardistes du créateur de mode britannique Alexander McQueen et de l’artiste américain Matthew Barney.
Avec une prothèse faite entièrement de diamants, Viktoria Modesta avait fait un show en 2012 à la clôture des Jeux paralympiques de Londres devant 90.000 personnes. « Je me suis alors dit que le fait d’avoir été amputée ne me rendait pas différente, il y a des millions de personnes dans cette situation. C’est ma vision du monde qui fait la différence ».
Elle a passé une bonne partie de sa vie en Grande-Bretagne, habite actuellement aux Etats-Unis et se sent « citoyenne du monde ». L’artiste retourne pour le travail en Europe de l’Est, en Russie, « pas trop en Lettonie », mais ne parle plus ni le russe, ni le letton. Toutes ces épreuves semblent être maintenant derrière elle, mais Viktoria baptisée Modesta par son arrière grande-mère catholique polonaise admet garder une part de cette culture soviétique, qu’elle juge faite à la fois d’endurance et de combativité.
Pour elle, l’expérience avec le Crazy Horse, « qui représente parfaitement l’essence féminine » sera « un voyage très personnel », dans lequel elle veut trouver « un bel équilibre entre la force et la vulnérabilité ». « Avant je pensais que je devais laisser ma sexualité de côté pour devenir une femme artiste respectée. Ici j’ai décidé de faire le contraire, c’est vraiment important d’apporter notre identité sexuelle dans la création », souligne-t-elle.
« Je voudrais faire passer le message que la femme moderne est quelqu’un qui choisit ce qu’elle veut être, sans aucune limite. Tendre ou dure? Il faut créer son propre cocktail. Je vais explorer plusieurs facettes de moi dans ce spectacle ».
D.C avec AFP
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