Magnus Lindgren, ancien chef de la police et secrétaire général de la fondation suédoise Safer, a déclaré que le pays comptait 15.000 « criminels très dangereux ».
Le 12 mars, des sanctions ont été imposées à Rawa Majid, un gangster suédois connu sous le nom du Renard kurde par le département du Trésor des États-Unis, via l’Office de Contrôle des Avoirs Étrangers (Office of Foreign Assets Control, OFAC).
Rawa Majid, 38 ans, né en Iran, est le chef du réseau Foxtrot, l’un des groupes de crime organisé les plus puissants de Suède.
L’OFAC, qui relève du département du Trésor des États-Unis, a indiqué que ce réseau trafiquait des drogues illégales et menait des attaques contre des Israéliens et des Juifs en Europe pour le compte du gouvernement iranien.
La veille, le 11 mars, le service de sécurité suédois, le Säkerhetspolisen ou Sapo, a publié un rapport incluant un avertissement alarmant : « La Suède traverse une grave situation de sécurité, et il existe un risque substantiel que cette situation se dégrade. »
Pourquoi des criminels comme le Renard kurde ont-ils prospéré en Suède, et pourquoi les crimes violents, y compris les attentats à la bombe et les fusillades, ont-ils autant augmenté ces dernières années ?
Magnus Lindgren, ancien chef de la police du comté d’Uppsala et secrétaire général de la Safer Sweden Foundation, une organisation à but non lucratif visant à améliorer la sécurité publique en Suède, a confié que le pays comptait environ 15.000 « criminels très dangereux », répartis équitablement entre les gangs de motards, les hooligans de football et les criminels issus d’environ 60 quartiers à forte criminalité.
Dans un rapport récent sur la problématique de la criminalité, la Safer Sweden Foundation a déclaré : « En fin de compte, la situation est le résultat de nos propres actions, avec plusieurs facteurs ou « points de basculement » au cours des 50 dernières années qui ont contribué à la situation grave actuelle. »
Le rapport indique que la législation suédoise n’a pas évolué au même rythme que les développements sociaux.
« La politique pénale a longtemps été marquée par des idéaux humanistes issus des années 1970, avec l’idée que si un crime est commis, c’est la société qui en est responsable, et non l’individu », indique le rapport.
« En conséquence, le traitement a souvent primé sur la punition et les sanctions non privatives de liberté sur l’emprisonnement. »
Aron Flam, auteur et satiriste, a souligné que la Suède avait connu « 32 attentats à la bombe rien qu’en janvier, ainsi que 16 meurtres par arme à feu. »
« Cela fait beaucoup. C’est pratiquement un tous les deux jours », a-t-il déclaré.
En janvier 2025, Aftonbladet a rapporté que le Premier ministre suédois Ulf Kristersson avait déclaré lors d’une conférence de presse : « La Suède est en pleine nouvelle vague de violence. Il est évident que nous n’avons pas le contrôle de cette vague, sinon nous ne serions pas ici. »
Aron Flam a utilisé l’analogie de la grenouille dans l’eau bouillante pour illustrer la situation.
« L’eau ici bout, et les grenouilles se disent : oh, c’est agréable, c’est chaud, ça se réchauffe. Mais vous savez, ce n’est pas encore bouillant. Et cela va continuer jusqu’à ce que l’eau déborde, » a-t-il expliqué.
Il a ajouté que les personnes ayant quitté la Suède il y a 10 ou 15 ans et y revenant récemment « ne la reconnaissent pas ».
Des ados tueurs et des lois « bien trop laxistes »
Hugo Kaaman, chercheur qui surveille la violence des gangs en Suède, a déclaré que le crime organisé en Suède était « hors de contrôle » et que de jeunes adolescents étaient embauchés anonymement pour commettre des meurtres et d’autres crimes.
« La plupart des commanditaires se cachent à l’étranger et font de la publicité sur les réseaux sociaux pour tuer quelqu’un pour 5000 à 20.000 dollars, et il y a même de jeunes enfants prêts à le faire gratuitement, juste pour la gloire », ajoute-il.
« Les chefs de la police aiment beaucoup proclamer qu’ils ont endigué la violence dès que les périodes intenses se calment, mais cela ne dure jamais. Le système judiciaire ne prononce pas assez de condamnations, et les directives en matière de condamnation sont beaucoup trop indulgentes. »
Selon lui, il y a trop peu de policiers, et ceux-ci sont par ailleurs « infiltrés activement par les gangs ».
La criminalité a été un enjeu majeur lors des élections de 2022 en Suède, qui ont conduit la Première ministre sociale-démocrate Magdalena Andersson à quitter ses fonctions.
En mai de cette même année, trois jeunes hommes avaient été abattus en à epine huit jours dans un quartier de la ville d’Örebro.
C’était l’un des 60 quartiers en Suède avec de grandes communautés immigrées, que la police classe parmi les zones à risque pour la violence des gangs.
En juin 2022, les Démocrates de Suède, un parti de droite anti-immigration, ont déposé une motion de censure contre le ministre de la Justice de l’époque, Morgan Johansson.
Selon eux, celui-ci estimait que les fusillades étaient « acceptables parce qu’elles ne visaient que les gangsters ».
Encore en 1986, la Suède était considérée comme si exempte de criminalité et de terrorisme que le Premier ministre de l’époque Olof Palme se promenait dans le centre de Stockholm sans escorte sécuritaire.
Il a ensuite été assassiné, dans un crime qui reste non résolu.
Comment la Suède en est-elle arrivée là ?
Immigration
De nombreux membres de la gauche estiment que la pauvreté et d’autres problèmes au sein des communautés immigrées sont à l’origine des crimes.
Mais selon Johan Lindgren, une telle interprétation était insultante pour les résidents.
« C’est une insulte considérable envers tous les autres habitants de prétendre que c’est une question de pauvreté, » a-t-il affirmé.
« Quatre-vingt-dix pour cent des gens qui y vivent sont de braves personnes et veulent exactement la même chose que vous et moi. »
Aron Flam, de confession juive, a expliqué avoir grandi dans une « banlieue paisible » de Stockholm, peuplée de nombreux immigrants serbes et bosniaques.
Il a indiqué que la situation avait commencé à changer à la fin des années 1980 et au début des années 1990 avec l’arrivée de plus en plus d’immigrants nord-africains et arabes.
« Ils n’aimaient pas les Juifs, et il était évident que cette vague d’immigration était différente, » a expliqué Aron Flam.
Au milieu des années 1980, environ 600.000 immigrants arrivaient chaque année en Suède.
Ce chiffre a augmenté de manière spectaculaire et, en 2015, environ 1,6 million de personnes arrivaient chaque année, en provenance de pays comme la Syrie, la Somalie et l’Érythrée, jusqu’à récemment. En juillet dernier, le gouvernement suédois a annoncé que le pays enregistrait une migration nette négative pour la première fois en un demi-siècle et se dirigeait vers le nombre de demandes d’asile le plus bas depuis 1997.
Beaucoup d’immigrants arrivés dans les années 1990, 2000 et 2010 ont eu du mal à s’intégrer ou se sont retrouvés attirés par le crime organisé.
Rawa Majid — d’origine kurde irakienne, né en Iran et ayant grandi à Uppsala, en Suède centrale — et sa famille faisaient partie de ces vagues d’immigration.
Après avoir créé le réseau Foxtrot, Rawa Majid a quitté la Suède en 2018 pour s’installer en Turquie, tout en conservant des liens étroits avec le gouvernement iranien.
L’OFAC a déclaré le 12 mars : « En janvier 2024, le réseau Foxtrot a orchestré une attaque contre l’ambassade d’Israël à Stockholm, en Suède, pour le compte du gouvernement iranien. »
Aron Flam a affirmé que l’Iran avait utilisé des criminels pour tenter d’assassiner plusieurs personnalités juives suédoises, notamment Saskia Pantell, une activiste qui a depuis émigré en Israël, et Aron Verständig, président du Judiska Centralrådet (Conseil officiel des communautés juives de Suède).
Le 29 janvier de cette année, Salwan Momika, un critique de l’islam né dans une communauté chrétienne du nord de l’Irak, et qui avait publiquement brûlé le Coran, a été abattu à Södertälje, en banlieue de Stockholm, alors qu’il diffusait en direct sur TikTok.
L’Iran et le réseau Foxtrot de Rawa Majid sont déjà soupçonnés d’être derrière ce meurtre. Ulf Kristersson, le Premier ministre, avait déclaré à l’époque : « Il y a évidemment un risque qu’il y ait un lien avec une puissance étrangère. »
Hugo Kaaman a expliqué que Foxtrot était « un réseau de contrebande et de distribution en gros ayant des liens directs et des alliances avec de plus petits gangs dans les villes suédoises où ils opèrent. »
« Ils concluent une alliance, le petit gang bénéficie de protection et gagne de l’argent, tandis qu’il défend le territoire du « Renard » et peut être utilisé pour cibler d’autres gangs ou, comme dans le cas de l’ambassade d’Israël à Stockholm, être utilisé comme mandataire par l’Iran, » a-t-il ajouté.
Foxtrot contre Rumba
L’un des rivaux de Rawa Majid dans le milieu criminel suédois est Ismail Abdo, surnommé « Fraise» en raison de son penchant pour le blanchiment d’argent via des stands de fruits frais en bord de route.
Son réseau de trafiquants de drogue est connu sous le nom de Rumba.
Rawa Majid aurait engagé un tueur à gages pour assassiner la mère d’Ismail Abdo, à Uppsala, en septembre 2023.
Les médias turcs ont rapporté qu’Ismail Abdo avait été capturé à Adana l’année dernière suite à une notice rouge d’Interpol, avant d’être libéré sous caution.
Plusieurs meurtres de rappeurs ont aussi mis en lumière la culture rap florissante en Suède, souvent liée à la criminalité.
En octobre 2021, Nils Kurt Erik Einar Gronberg, mieux connu sous le nom d’Einar, a été abattu en banlieue de Stockholm.
En juin 2024, Karar Ali Salem Ramadan, alias C. Gambino, a été tué dans un parking à Göteborg.
Le 19 décembre 2024, Ninos Khouri, alias Gaboro, a été abattu à Norrköping par un tireur qui aurait diffusé le meurtre en direct.
Avec Aron Lamm et Reuters
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