ENTRETIEN – Wilfried Kloepfer est avocat au barreau de Toulouse et auteur de Le droit à la continuité historique (Vérone, 2023). Dans cet entretien accordé à Epoch Times, il revient sur la classification du Rassemblement national à l’extrême droite du spectre politique français par le Conseil d’État.
Epoch Times : Le Conseil d’État classe le RN à l’extrême droite de l’échiquier politique français. Pour vous, le Rassemblement national est-il un parti d’extrême droite ?
Wilfried Kloepfer : Si nous nous plaçons du point de vue de l’idéologie politique véhiculée par ce parti, cela nous conduit préalablement à nous interroger sur ce qu’est l’extrême droite. L’extrême droite fait référence à l’histoire et notamment à certaines ligues dans l’entre-deux-guerres, et au régime de Vichy en 1943 en France, quand celui-ci se durcit. À l’époque, l’extrême droite était caractérisée par la prise de pouvoir par la force, l’antisémitisme, l’antiparlementarisme et l’impérialisme.
Voilà les expériences d’extrême droite qui ont sévi en France dans l’entre-deux-guerres et pendant l’occupation.
Si on considère que tout ceci est d’extrême droite, il n’y a, à l’évidence, pas de parti politique en France à l’heure actuelle qui se rattache à ce courant. Le Rassemblement national n’est donc pas d’extrême droite.
Vous dîtes qu’il n’est pas un parti d’extrême droite. Comment le classez-vous sur l’échiquier politique ? Le RN rejette le clivage droite-gauche.
Ce n’est pas le premier parti à vouloir s’affranchir du clivage droite-gauche. Le gaullisme le faisait. Pour autant, il n’était pas d’extrême droite. Le centre veut également dépasser ce clivage, et par définition, il n’est pas un courant extrémiste. Le critère de la volonté de dépasser ce clivage ne suffit donc pas pour le classer à l’extrême droite.
En outre, si on retient la définition juridique que moi-même, en tant qu’avocat, est tout à fait incapable de poser, je ne peux que me référer à la décision du Conseil d’État qui a rappelé à l’occasion des élections sénatoriales de 2023, que le RN devait être classé dans le groupe de clivage « extrême droite ».
On peut analyser cette décision de deux manières.
Si le classement juridique consiste à qualifier d’extrême droite un parti en le situant par rapport à d’autres formations politiques, de dire par exemple que le RN est plus à droite que LR, cela s’entend d’un point de vue purement juridique.
Seulement, le Conseil d’État donne une réponse qui n’est pas très claire. Et donc, il faut aller voir les conclusions de la rapporteure publique qui, elle, n’hésite pas à rentrer dans le socle idéologique.
Elle dit, non seulement que le RN est situé plus à droite par rapport aux autres partis, et que par conséquent, il se trouve à l’extrême droite, mais aussi qu’il est d’extrême droite parce qu’il a un discours sur l’immigration, sur la préférence nationale et parce qu’au niveau européen, il est rattaché à des groupes politiques qui sont également classés à l’extrême droite. Voilà la réponse juridique qui est donnée, mais qui est en fait un condensé juridico-politique.
Pour ma part, j’estime que quand un parti prône une politique migratoire plus restrictive que les autres, ce n’est pas suffisant pour la classer à l’extrême droite. Chaque pays souverain, et ce n’est pas l’apanage de la France, a le droit de définir une politique migratoire, en fonction d’un contexte, de ses besoins en termes de travail et de ses capacités d’accueil. Cela peut varier en fonction des époques, mais c’est un attribut de la souveraineté nationale.
Le discours sur l’immigration serait d’extrême droite, s’il était accompagné d’un discours raciste. Or, ce n’est absolument pas le cas du RN. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de gens racistes, parmi les militants ou les adhérents du Rassemblement national, mais ce n’est pas le discours qui est tenu par le parti.
Ensuite, la question est de savoir à quelle conception de la nation se réfère le RN. Ernest Renan considère, par exemple, que la nation est fondée, non pas sur des critères objectifs, mais subjectifs, c’est-à-dire une volonté d’adhésion à une culture, et cela impose donc les critères de l’intégration et de l’assimilation.
Une nation est un principe spirituel, une âme et pas simplement un territoire dans lequel on se situe. Donc on ne peut pas dire qu’Ernest Renan soit d’extrême droite. Il a simplement cette conception de la nation et que je défends pour ma part ardemment. Si le RN défend cette conception de la nation, alors il n’est pas idéologiquement classable à l’extrême droite. Sous la IIIe République, le discours d’Ernest Renan était en odeur de sainteté à gauche. C’est la volonté d’adhérer à un destin national, indépendamment de sa race et de sa religion.
Et je ne crois pas qu’aujourd’hui la droite dise autre chose. Ce qui serait raciste, ce serait de dire que l’agrégation au destin national ne peut se faire que si vous avez la bonne ethnie, la bonne religion ou la bonne couleur de peau. Fort heureusement, personne ne dit ça en France.
Auriez-vous qualifié le RN de parti d’extrême droite à l’époque de Jean-Marie le Pen ?
Oui, parce qu’il y avait quand même les dérives négationnistes, un fondement poujadiste, des accointances avec l’OAS, des partisans de l’Algérie française et probablement ceux du régime de Vichy. Donc là, il ne faut avoir la voix tremble.
Cette question est intéressante parce qu’il y a un grand historien du nom de René Rémond qui a travaillé sur la thématique des droites. Il a écrit dans les années 1950 son fameux ouvrage sur « Les Droites en France », réédité dans les années 1980, dans lequel il distingue la droite légitimiste, orléaniste et bonapartiste.
Cependant, il y avait un défaut dans ce classement parce que la droite légitimiste n’existe plus puisqu’il n’y a plus de contre-révolutionnaires voulant restaurer la monarchie. Et puis il y avait la difficulté de classer le Front National dans cette trilogie. On ne pouvait pas le mettre dans le bonapartisme. On y retrouve plutôt le gaullisme que l’extrême droite.
Il ne faut donc pas hésiter à dire que le FN des années 1980 se rattache aisément à l’extrême droite pour les raisons indiquées. Mais, à mon sens, le RN n’a plus rien à voir sur le plan idéologique avec le FN. L’électorat n’est également plus le même. Tout a changé et je ne crois pas que ce soit seulement stratégique. Le changement idéologique et stratégique est déjà un peu ancien, et il est irrévocable et difficilement contestable.
C’est pour cette raison que tout le théâtre antifasciste qui se met en place ne fonctionne pas. Il ne correspond pas à la réalité. Quand on dit que le fascisme arrive au pouvoir, en réalité, personne ne le croit, ni même ceux qui le professent.
Vous relevez dans une tribune publiée le 20 juin dans le Figaro que le Conseil d’État attribue la nuance « gauche » à LFI et au PCF. Selon vous, l’institution aurait-elle du attribuer une autre nuance à ces formations politiques ?
Vous allez sans doute me trouver pas suffisamment objectif, mais je crois que LFI est un parti d’extrême gauche. Il correspond à la définition politique de l’extrême gauche parce qu’il véhicule une idéologie qui peine à dissimuler son antisémitisme. Michel Onfray l’a très bien montré dans une tribune il y a quelques semaines dans le Figaro Magazine.
La France Insoumise est aussi autoritariste. On le voit dans l’attitude des députés LFI depuis deux ans. Mais ce qui m’inquiète le plus dans ce parti, c’est, comme le dirait Luc Ferry, la cohorte de wokistes et d’islamo-gauchistes qu’il y a derrière. Il est là le danger de sédition et de rupture nationale.
Concernant le PCF, j’avoue avoir du mal à le classer. On a tendance à dire que c’est un parti d’extrême gauche, mais c’est une extrême gauche qui est institutionnalisée, un peu comme la CGT dans le monde syndical. Et puis, on le connaît le PCF. Ce n’est plus celui des années 1960 qui faisait encore allégeance à l’Union soviétique malgré le totalitarisme qui y sévissait. J’ai du mal à le qualifier à proprement parler d’extrême gauche. Mais il reste quand même à la traîne de LFI.
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