Analyse des informations
Le Parti communiste chinois (PCC) a une longue liste de jours « sensibles », ou des dates d’événements que le régime considère comme représentant une menace politique. À l’approche et pendant ces jours « sensibles », l’appareil de sécurité du PCC devient particulièrement vigilant et effectue souvent des rafles et d’autres représailles contre ceux qui sont associés à ces événements.
Le 4 juin et le 25 avril sont deux de ces anniversaires « sensibles ». Le premier est la date du massacre survenu en 1989 à Pékin, lorsque les chars ont écrasé les étudiants qui militaient pour la démocratie sur la place Tiananmen. Le second est la date de l’appel pacifique devant le Bureau des appels du gouvernement central de Pékin, en 1999, par les pratiquants de Falun Gong. Toutefois, cette année, le dirigeant du PCC Xi Jinping n’a pas exactement suivi le scénario habituel.
À travers un certain nombre de gestes politiques inhabituels, Xi Jinping a semblé faire allusion au possible changement de la politique de son prédécesseur envers la discipline spirituelle Falun Gong, qui était pratiquée par des dizaines de millions de Chinois et qui a été la cible d’une campagne d’éradication en 1999, peu après leur appel au gouvernement central.
Parmi les récentes démarches de Xi Jinping, on pourrait noter ses remarques modérées sur la façon de traiter les pétitionnaires, la purge de plusieurs responsables de la sécurité particulièrement violents, l’exigence du comportement honnête de la part des forces de sécurité ou ses remarques conciliantes au sujet de la religion en Chine. Même en étant subtiles, ces démarches, surtout entreprises autour de la date anniversaire « sensible » du 25 avril, témoigne d’un potentiel changement dans l’approche et les priorités de la politique du Parti.
Pékin, 1999
Le 23 avril 1999, 45 pratiquants de Falun Gong sont agressés et arrêtés par la police à Tianjin, une ville située à environ 150 km de Pékin, alors qu’ils manifestaient pacifiquement devant l’Université de Tianjin. Les pratiquants demandaient que l’académicien He Zuoxiu rétracte son article diffamant le Falun Gong, une discipline traditionnelle chinoise de développement physique et spirituel comprenant des exercices et des enseignements basés sur les principes d’authenticité, bienveillance et tolérance.
He Zuoxiu, un ennemi déterminé du Falun Gong, est le beau-frère de Luo Gan, alors patron de la sécurité publique, qui avait pendant des années cherché à discréditer le Falun Gong. La pratique s’était librement et largement répandue en Chine dans les années 1990, la plupart du temps avec le soutien tacite ou explicite des différents organes de l’État ; un grand nombre de membres du PCC pratiquaient en effet cette méthode, favorisant avec enthousiasme la renaissance des anciennes traditions dans la Chine moderne.
Tout cela a été vu par certains partisans de la ligne « dure » du Parti, y compris par Luo Gan, comme une menace pour la sécurité idéologique et politique du régime.
Après la propagation des informations sur les arrestations du 23 avril, un grand nombre de pratiquants de Falun Gong ont décidé de demander justice auprès des autorités centrales de Pékin, c’est-à-dire au Bureau central des lettres et visites situé à côté de Zhongnanhai, cet endroit « sensible » de Pékin comprenant le complexe résidentiel et le siège officiel de hauts dirigeants du PCC. Le 25 avril 1999, la police de Pékin bloque la route vers le Bureau, en dirigeant les près de 10 000 pratiquants de telle façon qu’ils entourent Zhongnanhai.
Au début de l’après midi, le Premier ministre Zhu Rongji arrive sur place et accepte de parler aux représentants des manifestants. La question semble avoir été réglée après la tombée de la nuit.
Cependant Jiang Zemin, alors dirigeant du PCC, s’est mis en colère et a étiqueté l’appel des pratiquants d’un « incident politique le plus grave depuis le 4 juin ».
Dans une lettre adressée au Politburo la même nuit, Jiang Zemin déclare : « Serait-il possible que les membres du Parti communiste, armés du marxisme et d’une foi dans le matérialisme et l’athéisme, ne pourront pas vaincre ce truc du Falun Gong ? Si c’est le cas, ne serait-il pas la plus grande blague sur terre ? »
Un peu plus tard, le 20 juillet 1999, Jiang ordonne aux forces de sécurité et à l’appareil judiciaire du régime d’écraser le Falun Gong. Selon les témoignages de nombreux pratiquants de Falun Gong qui l’ont entendu des policiers, la police a reçu l’ordre suivant : « Ruinez leur réputation, ruinez-les financièrement et détruisez-les physiquement. »
Selon Minghui.org, un site recueillant des informations sur la persécution du Falun Gong en Chine, plus de 3 900 pratiquants ont été persécutés à mort et des centaines de milliers d’autres ont été mis en détention depuis le 20 juillet 1999. Les chercheurs estiment que des dizaines de milliers de pratiquants ont été tués pour leurs organes, vendus par la suite dans le cadre d’un lucratif programme de prélèvement d’organes effectué par le régime chinois.
Depuis 1999, les anniversaires du 25 avril et du 20 juillet ont été souvent marqués dans toute la Chine par des perquisitions des domiciles des pratiquants et leur arrestation par la police.
La présentation de pétitions et le système de sécurité
C’est dans ce contexte que les récentes démarches de Xi Jinping sont importantes, aussi subtiles soient-elles.
La présentation de pétitions – c’est-à-dire la déposition de plaintes aux niveaux supérieurs des autorités – est rapidement devenue pour les pratiquants de Falun Gong le principal moyen de faire appel au régime. Une fois qu’il est devenu évident que ce moyen n’amenait qu’à des représailles violentes, il n’est devenu presque plus utilisé. Toutefois, les pétitionnaires représentent toujours un grand nombre de Chinois, privés de leurs droits et souvent maltraités par les forces de sécurité du Parti.
Selon le communiqué de l’agence officielle Xinhua, le 21 avril dernier, Xi Jinping a déclaré qu’il était dans les intérêts du régime chinois de « régler à l’amiable les appels raisonnables et légitimes des masses » qui soumettent des pétitions. Le Premier ministre chinois Li Keqiang a ajouté que le régime devrait « s’efforcer pour résoudre les conflits et protéger les droits juridiques » des pétitionnaires.
Plus proche de l’anniversaire du 25 avril, Xi Jinping a ciblé l’appareil de sécurité du régime.
Sous l’ancien patron de la sécurité Luo Gan, la Commission des affaires politiques et juridiques (CAPJ) – un petit mais puissant organe du PCC qui contrôlait la police, les prisons et les tribunaux – a joué un rôle crucial dans la mise en scène du soi-disant « siège de Zhongnanhai » et dans la persécution du Falun Gong. La police de Pékin a délibérément dirigé les pratiquants de Falun Gong dans les rues autour de Zhongnanhai et par la suite le Bureau 610, une organisation extrajudiciaire créée spécialement pour appliquer la persécution, a été placée sous la direction du CAPJ.
À la veille du 25 avril dernier, quatre hauts responsables de la sécurité, y compris Zhang Yue, secrétaire du Parti du bureau du CAPJ du Hebei, ont été soumis à une purge. Zhang Yue serait responsable de la torture du pratiquant de Falun Gong Liu Yongwang, qui a été attaché à une planche, fouetté avec des ceintures en cuir et électrocuté avec des matraques électriques. Le lendemain, l’actuel patron du CAPJ Meng Jianzhu a rappelé au responsable de la sécurité publique, au juge principal, au procureur général et à d’autres apparatchiks de sécurité rassemblés lors d’une réunion nationale, que Xi Jinping exigeait une fois de plus que l’appareil de sécurité reste une organisation professionnelle et disciplinée – en contraste implicite au fief personnel corrompu des rivaux politiques de Xi Jinping.
La religion
Ce qui a été probablement le geste le plus remarquable de Xi Jinping, c’est sa présidence d’une conférence sur la religion tenue les 22 et 23 avril – la première réunion de haut niveau consacrée à ce sujet depuis 15 ans et organisée à l’anniversaire des premières arrestations à grande échelle des pratiquants de Falun Gong.
Les dirigeants du PCC président habituellement les réunions de travail qui établissent ou modifient la direction politique. Les messages principaux sont souvent ensevelis sous les lourdes phrases du jargon obligatoire du Parti, mais ils peuvent être tracés suite à une analyse du langage et du ton utilisé.
En présidant la conférence sur la religion en 2001, Jiang Zemin a clairement indiqué que le régime devait complètement dominer les groupes religieux, qui représentaient alors une menace existentielle pour la « stabilité » du régime communiste. Jiang a ajouté que « les religions déviées » devaient être supprimées. Une conclusion logique de ses efforts entrepris plus tôt dans l’année de réunir les cinq religions officiellement reconnues en Chine pour combattre le Falun Gong, ainsi que la mise en scène d’une auto-immolation sur la place Tiananmen pour diaboliser la discipline spirituelle.
Lors de la récente réunion sur les affaires religieuses, Xi Jinping a déclaré que les enseignements religieux peuvent « enrichir » la société et qu’ils doivent être « harmonisés » avec la culture chinoise. Il a ajouté que le Parti devrait activement « guider » les groupes religieux et que l’administration du travail religieux devrait être effectuée conformément à la loi. Le terme « religions déviées » ne figurait plus dans son discours, tandis que son ton général était beaucoup plus conciliant que l’attitude combative de Jiang Zemin en 2001.
Certaines remarques de Xi Jinping ne montraient cependant rien de nouveau. Par exemple, la phrase appelant à « rester en garde résolument contre les infiltrations étrangères par voie religieuse » a été interprété comme une autre preuve de sa ligne dure. Toutefois, des phrases de ce genre sont standards dans la rhétorique du Parti. Même dans le cadre athée de l’idéologie officielle du PCC, des degrés de tolérance sont toujours possibles.
L’article consacré à la réunion présidée par Xi Jinping a pris les trois quarts de la page de couverture du Quotidien du Peuple. En comparaison, il n’en avait pris qu’un tiers de page sous le règne de Jiang en 2001, une indication que Xi Jinping attend que ses remarques soient prises au sérieux.
Les titres du Quotidien du Peuple et Xinhua disaient : « Améliorer globalement les critères du travail religieux dans de nouvelles conditions ».
Une allusion au changement ?
Depuis son arrivée au pouvoir en 2012, une série de mesures entreprises par Xi Jinping a permis, qu’elles soient intentionnelles ou non, d’alléger le fardeau de la persécution endurée par les pratiquants de Falun Gong.
En tant que groupe le plus important de prisonniers de conscience en Chine et le seul groupe ciblé par un organe secret de haut niveau spécifiquement chargé de son élimination, les pratiquants de Falun Gong ont depuis de nombreuses années constitué la majorité des détenus dans les camps de travaux forcés et autres établissements pénitenciers. Selon le Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, ils ont également été victimes, dans la majorité des cas, de torture.
Cependant, en décembre 2013, le système de camps de travaux forcés, qui depuis longtemps s’approvisionnait largement en pratiquants de Falun Gong, a été officiellement aboli. Bien sûr, ces camps ont été remplacés par des « centres d’éducation juridique » (connus aussi comme des centres de lavage de cerveau) qui sont encore moins réglementés. Toutefois, l’un des principaux instruments de répression du Falun Gong a été mis de côté.
Xi Jinping a également supervisé l’application des réformes juridiques qui obligeaient les tribunaux chinois à être plus responsables dans le traitement des cas du Falun Gong et d’autres cas, tandis que dans toute la Chine les pratiquants ont pu déposer des plaintes pénales contre Jiang Zemin sans être exposés à des violences directes et systématiques. Alors que de nombreux plaignants ont été arrêtés et maltraités, d’autres n’ont subi aucune conséquence. Cela est en énorme contraste avec la mort brutale suite à la torture de ceux qui ont essayé de poursuivre Jiang Zemin il y a plus d’une décennie.
La campagne anti-corruption de Xi Jinping a également vu de nombreux hauts responsables du PCC, qui avaient bâti leur carrière sur la persécution du Falun Gong, être déshonorés et emprisonnés. Même les cadres d’élite du Parti autrefois considérés comme intouchables – le patron de la sécurité Zhou Yongkang, le directeur du Bureau 610 Li Dongsheng ou l’ ambitieux patron de Chongqing Bo Xilai – et qui avaient tous été impliqués dans la persécution du Falun Gong, ont été mis hors-jeu.
La persécution du Falun Gong a beaucoup coûté et endommagé l’image du Parti communiste – d’énormes ressources ont été dépensées, des dizaines de millions de citoyens chinois ont été privés de leurs droits, refusant d’abandonner leur croyance et insistant pour qu’elle soit réhabilitée – ont formé une circonscription sociale déterminée à influencer les décisions des fonctionnaires et des politiciens. Il y a aussi un grand groupe de Chinois éduqués qui habitent à l’étranger, qui pratiquent le Falun Gong et travaillent constamment pour faire la lumière sur la persécution ; ils ont un impact direct sur les cadres du Parti en charge de la persécution en Chine par voie de lettres, de fax, d’e-mails ou d’appels téléphoniques.
Bien que Xi Jinping n’a jamais fait de déclarations publiques au sujet du Falun Gong, on ne peut pas ignorer que la plupart de ses actions depuis son arrivée au pouvoir ont restreint – directement ou indirectement – la persécution. Ses démarches entreprises autour du 25 avril dernier permettent d’interpréter son message. Xi Jinping envoie un message fort, dont la teneur exacte et les conséquences restent à déterminer.
Version anglaise : Xi Jinping Hints at Shifting Regime Stance Towards Falun Gong
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