Depuis les débuts de l’aviation commerciale, la sécurité aérienne n’a cessé de progresser. De nos jours, les accidents sont très rares comparativement au nombre de vols et sont dus pour 70 % du temps à des problèmes d’interactions entre hommes et systèmes. Aussi, la recherche en psychologie, sciences cognitives et plus récemment en neuroergonomie s’intéresse-t-elle à différentes problématiques comme la fatigue, le stress, l’attention, la charge de travail, la communication ou les biais de raisonnement. Étonnamment, les rapports sociaux dans le cockpit sont peu étudiés.
Un équipage est composé d’un ou deux copilotes et d’un leader désigné, le commandant. Bien que tous les pilotes aient les compétences nécessaires au pilotage de l’avion, le commandant est le responsable légal du vol. Il est plus expérimenté, mieux payé et souvent sensiblement plus âgé. C’est lui qui, avant le vol, attribue les rôles de pilot flying, en charge des commandes de l’avion, et de pilot monitoring, en charge de la surveillance des instruments de vol, des check-lists et des communications. Cette asymétrie de pouvoir entre les deux pilotes crée un système hiérarchique très marqué. Or, en fonction des situations et de la personnalité des pilotes, il peut arriver que cette forte asymétrie compromette la communication au sein du cockpit et affecte le raisonnement des pilotes.
Pouvoir et biais de raisonnement
Le fait de se trouver dans une position de pouvoir augmente le risque d’être victime de certains biais de raisonnement. L’effet de halo ˗ tendance à juger les autres sur la base d’évènements passés ou de caractéristiques (genre, origine ethnique, âge, appartenance à une caste, religion ou autre) sans lien apparent avec la situation dans laquelle on se trouve ˗ peut fortement affecter les commandants. Exemple en 2011, pendant l’approche du vol 6560 de First Air : le copilote, bien que peu expérimenté, avait détecté que l’avion déviait de sa trajectoire. Le commandant qui à la différence du copilote était habitué à voler dans le Grand Nord pensait que cette déviation était due à la proximité avec le nord magnétique qui faussait les instruments. Aveuglé par le fait que le copilote ait peu d’expérience, il n’a pas pris en compte ses mises en garde répétées et a refusé sa demande de remise de gaz. Cette erreur s’avérera fatale aux deux pilotes et à 10 autres passagers.
Les commandants peuvent aussi être touchés par le biais de faux consensus. De manière générale, nous avons tous tendance à penser que les personnes autour de nous approuvent bien plus nos idées et nos actes qu’elles ne le font en réalité : c’est le biais de faux consensus. Dans le même temps, plus une personne a un statut hiérarchique élevé, moins elle recevra de retours négatifs de ses subordonnés. Par conséquent, plus l’asymétrie hiérarchique entre le copilote et le commandant est importante, plus le risque de biais de faux consensus augmente au sein du cockpit.
Un copilote observateur
Les commandants ne sont pas les seuls à être touchés par l’asymétrie hiérarchique. Dans les années 1970, une étude en simulateur a montré que lorsque le commandant simulait un malaise au moment de l’atterrissage, près d’un copilote sur quatre ne reprenait pas les commandes. Il est probable que si l’on reproduisait cette étude de nos jours, les résultats seraient bien moins préoccupants, compte tenu des changements d’organisation du cockpit qui ont été opérés depuis les années 1970. Cependant, cette étude a le mérite de montrer que dans certaines conditions les copilotes peuvent se sentir moins impliqués, responsables et/ou légitimes que le commandant et ne pas réagir comme ils le devraient.
Un trop fort niveau d’autorité de la part du commandant peut fortement aggraver cette tendance et aller jusqu’à totalement paralyser le copilote qui devient alors simple spectateur. C’est ce qui s’est passé lors du crash du vol cargo 8509 de Korean Air. Le commandant, ancien pilote militaire et très autoritaire, a commis une erreur dramatique. Le copilote qui s’en était aperçu est resté muet et n’est pas intervenu de peur de représailles. L’avion a percuté le sol moins de 60 secondes après le décollage, tuant toutes les personnes à bord.
Enfin, l’effet de halo peut aussi toucher les copilotes qui perçoivent parfois le commandant comme un être omniscient et infaillible. Ils tendront à moins remettre en question les commandants et à se conformer à leurs décisions (biais de conformité) et cela peut potentiellement avoir des conséquences négatives sur la sécurité.
Que faire ?
Alors, pourquoi ne pas tout simplement abolir les statuts hiérarchiques dans le cockpit ? Des raisons solides existent pour s’en abstenir. Tout d’abord, cette organisation hiérarchique a maintes fois démontré sa grande efficacité en cas de problème, comme dans le cas de l’amerrissage de l’A320 d’US Airways sur le fleuve Hudson ou la gestion des 55 pannes provoquées par l’explosion d’un des réacteurs de l’A380 du vol Qantas 32. Par ailleurs, une carence hiérarchique peut s’avérer tout aussi désastreuse, comme dans le cas du vol du Rio-Paris où une structure hiérarchique a fait cruellement défaut aux deux copilotes aux commandes.
Supprimer la hiérarchie dans le cockpit n’apparaît donc pas comme une solution à ce problème. Il semble plus utile de s’intéresser à la formation des pilotes. Dans un premier temps, il serait important de mieux les sensibiliser aux problématiques liées à la hiérarchie. Ensuite, il est nécessaire d’intensifier la recherche, afin de mieux comprendre et appréhender ces phénomènes complexes. Cela devrait permettre à moyen et long terme de proposer des solutions innovantes à ces problèmes.
Notamment, il est crucial de développer des procédures permettant :
- De rétablir une bonne communication entre les pilotes quand elle a été dégradée par l’asymétrie hiérarchique ;
- De redonner leur place aux copilotes dans l’équipage quand ils l’ont perdu ou ne l’ont pas prise.
Cela est d’autant plus important que l’explosion du trafic aérien mondial amène les passagers à voyager avec des compagnies aériennes issues de pays où la hiérarchie est très prégnante comme dans certains pays d’Asie ou du Golfe par exemple, ce qui présente un risque plus important comparativement aux pays occidentaux. Par ailleurs, l’évolution des sociétés qui permettent aujourd’hui l’accès à la profession aérienne à des groupes sociaux qui n’y étaient pas auparavant autorisées (par exemple, les femmes ou les individus appartenant à des castes inférieures) risque dans certains cas d’exacerber les problématiques liées à la hiérarchie. L’étude approfondie de l’impact des facteurs sociaux sur le fonctionnement des équipages devrait permettre de faire encore progresser la sécurité aérienne.
Créé en 2007, Axa Research Fund soutient plus de 500 projets à travers le monde portés par des chercheurs de 51 nationalités. Pour en savoir plus sur les recherches de Eve Fabre, rendez-vous sur le site du Axa Research Fund.
Eve Fabre, Post-Doctorante ISAE SUPAERO – Institut Supérieur de l’Aéronautique et de l’Espace, AXA Research Fund
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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