ENTRETIEN – Depuis le 1er janvier 2025, les véhicules avec la vignette Crit’Air 3 sont interdits à la circulation dans certaines Zones à faibles émissions (ZFE), notamment la métropole du Grand Paris, Montpellier, Grenoble et Lyon. On compte 14,3 millions de véhicules Crit’Air 3 en France. Pour Yves Carra, porte-parole de Mobilité Club France, ces zones sont « inacceptables » sur le plan social et inutiles d’un point de vue environnemental. Entretien.
Epoch Times – Yves Carra, quelle est la position de Mobilité Club France sur l’interdiction de circulation des véhicules Crit’Air 3 dans les ZFE de certaines villes ?
Yves Carra – Dès le départ, Mobilité club France s’est opposé à l’instauration des ZFE en France. Nous connaissons bien le parc automobile français, et on se doutait que l’agenda originel qui consistait à interdire la circulation des véhicules Crit’Air 3 dans toutes les villes de plus de 150.000 habitants sans distinction de pollution ou autre en 2025, était impossible à mettre en œuvre.
Les faits nous ont donné raison puisqu’on voit aujourd’hui se multiplier les réglementations et les dérogations dans certaines villes. Nous nous sommes également opposés à ces ZFE parce qu’elles sont inacceptables sur le plan social : quand on achète une voiture, on passe le contrôle technique qu’elle soit Crit’Air 3 ou 4 ou 5, mais on ne peut pas rouler n’importe où avec. C’est quand même surréaliste !
Puis, il n’est pas concevable, toujours socialement que tout le monde change de voiture pour acheter des Crit’Air 1 ou 2. Les prix de ces véhicules sont bien trop élevés pour la plupart des gens. D’ailleurs, c’est complètement contre-productif au niveau écologique : changer de matériel signifie en fabriquer un nouveau, donc produire plus de CO2…
Ensuite, en matière de lutte contre la pollution, les ZFE n’apportent absolument rien. Par exemple, dans la métropole de Lyon, il y a 11 % des voitures Crit’Air 3, c’est-à-dire une voiture sur dix. Pour qu’il y ait une augmentation mesurable de la pollution due uniquement aux voitures Crit’Air 3, il faudrait que le matin, en période d’embouteillage, tous ces véhicules soient rassemblés au même endroit. Ce qui n’arrive jamais.
On voit donc bien que ça ne tient pas. Et une voiture Crit’Air 3 allait-elle polluer tellement plus au milieu de ces voitures au point de créer une situation insupportable ? À l’évidence non. De plus, un véhicule Crit’Air 1 ou 2 mal entretenu peut avoir des gaz d’échappements plus polluants qu’un Crit’Air 3 bien entretenu.
Néanmoins, nous ne sommes pas dans une opposition de principe et n’affirmons pas que la voiture doit être utilisée en toute circonstance. Si des alternatives s’offrent à nous, notamment à Paris, comme le métro, nous nous en servons, sans attendre que le gouvernement nous interdise de rouler avec une voiture pour le faire.
Vous rejoignez donc l’écrivain Alexandre Jardin, très engagé sur la question, qui estime que les ZFE vont fortement impacter les classes populaires ? Il parle de « loi anti-gueux ».
Tout à fait. Les plus modestes sont effectivement les plus impactés par ces ZFE.
En plus, beaucoup de dérogations ont été créées pour les professionnels, etc. Ce qui rend le gain de ces zones nul et non-mesurable. Alexandre Jardin a tout à fait raison de souligner le caractère anti-social des ZFE, mais en plus l’objectif d’origine qui est la lutte contre la pollution n’est même pas rempli !
S’il avait vraiment été prouvé, à grand renfort de mesures précises d’organismes indépendants que l’interdiction de circulation des véhicules Crit’Air 3 permettait de réduire par deux la pollution et de sauver des vies, je ne tiendrais pas le même discours aujourd’hui. Mais ce n’est malheureusement pas le cas.
Sur le plateau de Cnews le 3 janvier, vous avez affirmé que « nous n’avons jamais aussi bien respiré dans les villes françaises ». Pourriez-vous développer ?
Je me réfère aux organismes qui mesurent la qualité de l’air que ce soit à Paris, Lyon ou dans les autres villes. Depuis vingt ans, la qualité de l’air s’améliore considérablement, et la courbe de tous les polluants est en baisse constante. Nous n’avons pas attendu le gouvernement pour que les constructeurs baissent les émissions polluantes des voitures.
Nous respirons bien mieux qu’avant, même par rapport au XIXe siècle. À l’époque le chauffage au bois a causé la mort de dizaines de milliers de personnes. Et quand vous vous rendez dans la vallée de l’Arve, près de Grenoble, la première source de pollution et de problèmes respiratoires, c’est le chauffage au bois.
Rappelons également qu’il y a en ville, quatre émissions de polluants : la voiture, l’industrie, l’agriculture et le chauffage. La voiture n’est qu’une partie. Je ne parle même pas des travaux qui émettent énormément de particules fines.
Bien entendu, la voiture doit prendre sa part et elle la prend largement depuis longtemps.
La métropole de Toulon a d’ailleurs repoussé l’arrivée de la ZFE à une date ultérieure en raison de la bonne qualité de l’air.
Oui, c’est un très bon exemple. Mais dès le départ, la plupart des élus locaux ont dit que les ZFE n’étaient pas tenables puisqu’ils connaissent bien le parc automobile, et ils ont bien vu que leurs électeurs n’allaient plus pouvoir circuler.
D’ailleurs, le maire de Nice, Christian Estrosi a instauré une ZFE étant donné qu’il était obligé de le faire. Mais il a précisé que la mairie ne procéderait à aucun contrôle.
Vous avez également affirmé que le bannissement des véhicules de Crit’Air 3 ne sert qu’à « énerver et à avoir ce sentiment de harcèlement de ceux qui ont besoin de se déplacer en voiture ». Pour vous, l’écologie n’est qu’un prétexte pour masquer un rejet de l’automobile et des automobilistes ?
Un prétexte, je ne sais pas, mais en tout cas aujourd’hui, il y a beaucoup d’incantations. Il y a un côté presque irrationnel avec l’automobile aujourd’hui. Historiquement, la France est un pays très lié à l’automobile. Nous sommes le pays berceau de la voiture. Et pour certains, On s’est tellement aimé qu’on se déteste aujourd’hui.
Néanmoins, il faut tout de même reconnaître que nous sommes allés trop loin avec le diesel notamment pour les petites voitures citadines qui circulaient en ville.
Par ailleurs, nous sommes tous écologistes. J’ai des petits enfants et je veux qu’ils respirent le meilleur air possible. Mais, il y a des choses réalisables et irréalisables. J’entends régulièrement certains affirmer qu’il faut moins de voitures dans les villes. Sauf que tout le monde n’a pas le luxe de pouvoir prendre le métro ou d’autres transports en commun comme à Paris.
De plus, une étude a récemment démontré que malgré tout ce qui est fait contre la voiture, le nombre d’embouteillages augmente dans presque toutes les villes françaises. Il faut donc sortir du déni et offrir aux Français d’autres solutions.
À Bordeaux par exemple, les pouvoirs publics ont mis en place une ZFE dans laquelle sont désormais interdits de circuler les véhicules non classés, c’est-à-dire les voitures des particuliers immatriculées avant le 31 décembre 1996. Mais ils ont surtout construit onze parcs-relais autour de la ville où les gens peuvent se garer, et prendre les transports en commun. Ce n’est pas toujours une solution idéale, mais au moins, c’en est une.
Ce qui n’est pas le cas à Lyon puisqu’ils suppriment de nombreux parcs relais.
Le nombre de ZFE va inéluctablement augmenter. Il est déjà passé de 12 à 42 le 1er janvier. Quelles actions entend mener Mobilité Club France à l’avenir ?
Tout ceci a été voté dans le cadre de la loi d’orientation des mobilités. Maintenant, tout ce que nous pouvons faire, c’est en parler dans les médias. Bien sûr, nous continuons de rencontrer des politiques et des élus locaux pour leur faire part de nos inquiétudes.
N’oublions pas que nous sommes tous automobilistes, même ceux qui ne conduisent pas ou ne possèdent pas de voiture, ont, à un moment donné besoin d’un véhicule pour se déplacer.
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