« Malgré mon âge, je ne tremble pas encore pour tenir les ciseaux ! » À 90 ans, pas question de ranger brosses et peignes pour Roger Amilhastre : ce coiffeur de Saint-Girons, en Ariège, travaille toujours, par nécessité mais aussi par passion.
« J’aurais aimé prendre ma retraite à 60 ans, confie-t-il. Mais ma femme était malade et il a fallu payer la maison de retraite à 2000 euros par mois… »
Après le décès de son épouse Thérèse en janvier, il a continué à exercer pour s’occuper, avoir « moins de pensées » nostalgiques. « Et quand je me lève, je ne fais pas la gueule », confie-t-il. S’ajoute l’« amour du métier » : je ne peux pas trop l’expliquer, je l’ai dans tout mon corps ».
Concentré, Roger Amilhastre manie ciseaux et rasoir du mardi au samedi, debout toute la journée en dépit de ses « bobos d’arthrose ». « On a quelques coiffeurs qui continuent jusqu’à un certain âge, mais 90 ans, c’est exceptionnel », confirme Christophe Doré, président de l’Union nationale des entreprises de coiffure. « Je ne sais pas s’il est le coiffeur le plus âgé de France, mais si ce n’est pas le cas, il ne doit pas en être loin ! », commente-t-il.
La réglementation ne prévoit pas d’âge limite d’activité pour les non-salariés, tels les artisans et commerçants. Mais il est difficile de connaître le nombre exact de personnes très âgées travaillant encore. L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) dénombre seulement 525.600 personnes de plus de 65 ans « en emploi », soit 1,9% du total de la population active. L’Occitanie compte pour sa part 1,65% des personnes de 70 ans ou plus encore en activité, dont 190 à 79 ans, les statistiques n’allant pas au-delà de ce âge, selon la même source citant des chiffres de 2020.
Salon « Achille » ouvert depuis 1932
Roger Amilhastre, qui appartient donc à une infime minorité, est surnommé Achille, du prénom de son père, qui a ouvert le salon en 1932 et lui a appris le métier. La devanture indique toujours chez « Achille ».
« Pendant la guerre, la police allemande était venue chercher mon père pour coiffer un capitaine qui s’était cassé une jambe. On avait peur, parce qu’on disait que tous ceux qui montaient à Beauregard (maison bourgeoise où s’était installée la douane allemande, ndlr) ne redescendaient jamais à Saint-Girons », se souvient Roger. « Heureusement, il est redescendu. »
Après la fin de la guerre, Roger Amilhastre se souvient d’une période « difficile » pour les commerces, puis des années fastes des Trente Glorieuses. De la gomina aux coupes au bol, le coiffeur a vu les tendances défiler jusqu’aux années 1980, début selon lui du « marasme commercial » de la ville. Les usines à papier, principaux employeurs dans cette zone au pied des Pyrénées, ferment, les grandes surfaces remplacent les petits commerces. « Les gens partaient chercher du travail ailleurs, on a dû s’accrocher et travailler plus tard dans la soirée », raconte Roger.
Avant la pandémie de Covid-19 et ses confinements, il y a eu en outre l’impact de l’épidémie du Sida : « Les gens avaient peur, ils ne se faisaient plus raser et quand on le faisait, on avait toujours peur d’une coupure, que quelqu’un saigne un peu et de transmettre le virus au client suivant ».
Des amitiés se sont nouées
Peu à peu, les commerçants restants ont laissé la place aux générations suivantes, tel Jean-Louis Surre, 67 ans : il a repris le bistrot de ses parents, où le coiffeur lui a appris à jouer au billard. De cette époque, il garde aussi le souvenir du siège rehausseur pour les enfants « et de l’eau de Cologne après la tondeuse ».
Dans le salon de coiffure, où les fauteuils en fonte sont les mêmes depuis la première coupe effectuée par Roger en 1947, certains habitants passent régulièrement, pour lire le journal et bavarder. « Vu ce qu’il me reste, je ne viens plus que par amitié », plaisante Jean Laffitte, 84 ans, au crâne presque chauve.
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