À Bordeaux, neuf associations œuvrent depuis six ans pour créer un « Ikea » du réemploi mais malgré le soutien des collectivités locales, le projet ïkos peine à boucler son financement. Un cas d’école des difficultés de l’économie sociale et solidaire (ESS) à changer d’échelle.
Vêtements, électroménager, livres, décoration… On devrait trouver de tout dans ce projet « assez pionnier », sans équivalent hors d’Île-de-France, selon Antoine Détourné, délégué général d’ESS France, qui représente les entreprises de ce secteur où le profit individuel est proscrit et où travaille un salarié sur dix.
Porté par des acteurs historiques du réemploi, comme Le Relais ou Envie, ïkos réunira une galerie marchande, des espaces de collecte d’objets et de réparation, un centre de tri ou encore une cuisine anti-gaspi près du lac de Bordeaux.
Marion Besse, directrice générale du projet lancé en 2017 pour traiter 12.000 tonnes de biens par an, en créant 100 emplois, dont au moins 40 en insertion, promet « quelque chose de l’ordre d’Ikea, qu’on ne trouvera pas ailleurs. Si l’on veut consommer de la seconde main, on viendra chez ïkos ».
Réduction des déchets, emploi, insertion : « On répond à au moins trois politiques publiques », souligne-t-elle. Mais l’ouverture prévue cette année est désormais envisagée en 2026 après déjà deux changements de lieu d’implantation.
Le collectif n’a réuni que 13 des 19 millions d’euros nécessaires, entre subventions (Métropole et Région), fonds propres et emprunt, malgré les objectifs tenus (800.000 euros de chiffre d’affaires) d’une boutique témoin au centre de Bordeaux.
« Réguler le marché » pour « lutter à armes égales »
« On manque d’outils pour financer ce type de projets innovants, dont la rentabilité n’est pas comparable à celle du CAC 40 ou de certaines start-up, y compris dans le réemploi », considère Antoine Détourné.
Timothée Duverger, chargé de mission ESS à Sciences Po Bordeaux, évoque « un vrai sujet d’arbitrage politique, à la fois d’allocation de l’argent public » – il cite les 150 milliards d’euros d’aides aux entreprises – « mais aussi de régulation des financements privés pour les orienter davantage vers ce type de projets ».
Il prend pour exemple la taxonomie européenne adoptée l’an dernier pour aiguiller la finance vers des projets « verts », qui pourrait inclure bientôt un volet social.
Antoine Détourné appelle aussi à « réguler le marché » pour que l’ESS puisse « lutter à armes égales » avec ses concurrents… surtout les nouveaux « financés avec de grosses injections de capitaux ». Décathlon, Leroy Merlin, Boulanger ou Vinted ont récemment investi le marché de l’occasion et captent les « meilleurs gisements de déchets ».
Pour y arriver, ïkos doit notamment proposer « des loyers moitié moins cher que le prix du marché », indique Marion Besse, et pour cela « il faut des subventions ».
Pour trouver les six millions d’euros manquants, le collectif a sollicité l’État qui l’a renvoyé vers les filières de responsabilité élargie du producteur (REP), tenues de financer le réemploi depuis peu.
« Réduire la facture et l’adapter aux financements déjà obtenus »
Or, ces filières sont organisées par secteurs comme le textile, les meubles ou les jouets : soit sept interlocuteurs différents pour ïkos et autant de cahiers des charges.
L’Agence de la transition écologique (Ademe), qui finançait auparavant le réemploi, a indiqué au collectif qu’elle pouvait l’accompagner dans ses discussions avec ces filières, à défaut de pouvoir s’y substituer.
Créer un « guichet unique » ? Pour le ministère de la Transition écologique, la question « reste ouverte compte tenu de l’augmentation du nombre de filières REP », même si elle n’est pas « prévue par la loi ». Le montant annuel des fonds réemploi des différentes filières s’élève à 40 millions d’euros et il est « susceptible d’évoluer ».
Pour ne pas étirer encore le calendrier, ïkos va « surtout retravailler le projet pour réduire la facture et l’adapter aux financements déjà obtenus », explique Marion Besse, qui envisage de réduire de 20% la superficie prévue (15.000 m2) et espère un geste des collectivités et des investisseurs impliqués.
« On a vraiment besoin de ce projet très abouti, estime Pierre Hurmic, maire écologiste de Bordeaux, qui s’est porté garant à 50% d’un prêt auprès de la Caisse des dépôts. Ce serait vraiment du gâchis qu’il ne voie pas le jour. »
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