Ce devait être la locomotive de la reconversion du territoire de Fessenheim (Haut-Rhin), c’est devenu un fiasco : la société Novarhena, créée à l’initiative des pouvoirs publics, s’autodissout vendredi, sans avoir mené un seul projet mais en ayant gaspillé un demi-million d’euros.
Février 2019 : deux ans après la décision présidentielle de fermer la plus ancienne centrale nucléaire du pays, « un projet de territoire » est signé en grande pompe en présence du ministre de la Transition écologique, François de Rugy, des collectivités locales et même de certaines autorités allemandes.
Tous affirment une ambition commune : développer l’activité pour faire du territoire de Fessenheim la « référence à l’échelle européenne en matière d’économie bas carbone », et compenser la perte des 2000 emplois, directs et indirects, qu’engendre l’arrêt des deux réacteurs nucléaires.
Pour y parvenir, et conformément à la décision de Sébastien Lecornu, l’ex-secrétaire d’État à l’Écologie, une société d’économie mixte (SEM) sera créée : une société privée dont le capital est majoritairement détenu par des organismes publics. Baptisée Novarhena, elle aura pour mission « de conduire les projets d’aménagement et de développement économique » et de « mettre en œuvre concrètement » les 40 actions présentées dans le projet de territoire.
Des objectifs compromis
La première de ces actions, et l’objectif principal de la SEM Novarhena, est l’aménagement d’un nouveau parc d’activité, baptisé EcoRhena, qui doit « attirer des entreprises créatrices d’emploi », « sur une superficie potentielle de 220 hectares », le long du Grand Canal d’Alsace, parallèle au Rhin.
Mais dès 2020, la surface de la future zone est divisée par quatre. En raison de « réservoirs de biodiversité » et de « corridors écologiques », le périmètre dédié à l’accueil des entreprises passe de 220 à 56 hectares.
À l’époque, les élus locaux s’indignent de voir que l’État n’accorde aucune dérogation aux règles environnementales pour favoriser la reprise économique locale. « Avec la fermeture de la centrale, on espérait un regard bienveillant de l’État pour aménager cette zone, mais on ne nous a pas fait de cadeaux », regrette le maire de Fessenheim, Claude Brender.
Avril 2021: la société Novarhena est finalement créée, dotée d’un million d’euros de capital, dont 80% d’argent public, apporté par la Région Grand-Est, la Caisse des dépôts, le Département, EDF, la Chambre de commerce et l’Agglomération de Mulhouse. Les 20% restants proviennent de banques françaises et de collectivités allemandes.
« Rien de concret »
Un an et demi plus tard, Novarhena ne compte aucune réalisation à son actif. « Rien de concret », concède Lara Million, conseillère départementale et régionale, propulsée malgré elle présidente de cette société fin 2021. Novarhena a cependant dépensé près de la moitié de son capital, soit 480.000 euros, en frais de fonctionnement. « C’est à 70% environ le salaire du directeur général », Xavier Marques, admet Lara Million.
Le recrutement, pour 5500 euros net mensuels, de cet ancien directeur marketing chez Adidas, et ex-dirigeant de Pataugas (chaussures), avait pourtant fait tiquer certains responsables. « Il a sans doute des compétences, mais en termes d’aménagement… Est-ce qu’il sait ce qu’est une concession d’aménagement ? Ça ne met pas en confiance », souligne une source proche du dossier. Xavier Marques n’a pas souhaité répondre aux questions de l’AFP.
Consciente du gâchis, Lara Million découvre aussi que, pour 56 hectares et non 220, les élus locaux n’ont pas l’intention de faire appel à une société pour aménager la zone. « Dès que j’ai compris l’issue, j’ai informé les partenaires, nous avons décidé de dissoudre la SEM » Novarhena, explique-t-elle. C’est à cette fin qu’une assemblée générale extraordinaire est convoquée vendredi.
Les élus locaux perplexes
Localement, ce fiasco irrite. « Quand la SEM a été créée, on savait déjà qu’il n’y aurait qu’une soixantaine d’hectares à aménager », pointe le député local, Raphaël Schellenberger (LR). « Il y a ce chantage du gouvernement de dire : c’est l’outil de la requalification de Fessenheim, on s’est engagé, il faut le faire. Tout dans l’histoire de Fessenheim est du même ordre : on s’est engagé ? Il faut le faire. On s’est engagé à fermer (la centrale) ? Il faut fermer. On s’est engagé à créer une SEM ? Il faut la créer. Est-ce que ça a du sens ? Là n’est pas la question », analyse-t-il.
Seule source de satisfaction pour le territoire : même réduite, la zone d’activité EcoRhena va bientôt voir le jour. Signe de la qualité du travail préparatoire accompli par les élus locaux en lien avec les services déconcentrés de l’État, l’autorisation environnementale accordée par le préfet, indispensable pour entamer les travaux, n’a pas été attaquée par les associations écologistes.
Sur place, les fouilles préventives et les premières opérations de défrichage ont débuté. « Je suis optimiste, nous avons des contacts avec des entreprises » intéressées, précise Gérard Hug, président de la communauté de communes Pays Rhin-Brisach, qui comprend Fessenheim. « Nous n’avons jamais été aussi proches des bonnes nouvelles ».
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