Nous aimons tous voir de belles choses. Que serait notre vie si la beauté n’existait pas ? Pourtant, il y a toujours un risque que la beauté habille et accompagne des choses nuisibles. Comment discerner si quelque chose est vraiment beau ou si la beauté ne fait que masquer ce qui est nuisible ?
Dans cette avant-dernière partie de notre série, nous poursuivons notre quête de sagesse en étudiant l’interprétation que Milton propose de l’histoire biblique d’Adam et Ève. Nous venons de quitter Satan, qui s’est transformé en serpent et cherche un moyen de blesser Dieu par l’intermédiaire d’Adam et d’Ève. Adam et Ève jouissaient avec bonheur du jardin d’Éden, inconscients de la présence de Satan, malgré l’avertissement de l’archange Raphaël à son sujet.
L’union de la sagesse et de la beauté
Au réveil, Adam et Ève souhaitent s’occuper du jardin de Dieu, ils veulent le façonner et le remodeler pour lui conférer une beauté digne de Dieu, mais il y a tant de choses à faire. Ève suggère qu’ils se séparent, mais Adam craint que Satan ne réussisse à les blesser s’ils se séparent :
Mais une autre inquiétude m’obsède : j’ai peur qu’il ne t’arrive quelque mal quand tu seras sevrée de moi ; car tu sais de quoi nous avons été avertis, tu sais quel malicieux ennemi, enviant notre bonheur et désespérant du sien, cherche à opérer notre honte et notre misère par une attaque artificieuse ; il veille sans doute quelque part près d’ici, dans l’avide espérance de trouver l’objet de son désir et son plus grand avantage, nous étant séparés ; il est sans espoir de nous circonvenir réunis, parce qu’au besoin nous pourrions nous prêter l’un à l’autre un rapide secours.
(Livre IX. 251, 260)
Adam révèle un aspect important de la relation entre le masculin et le féminin : Ils doivent travailler ensemble et s’entraider pour faire face aux assauts du mal. Milton fait également référence à plusieurs reprises à la sagesse d’Adam et à la beauté d’Ève dans ses écrits, suggérant que ces deux éléments – la sagesse et la beauté – doivent travailler ensemble pour résister à la tentation et obéir à Dieu.
Dans « Le serpent s’approchait ; il franchit mainte avenue », Doré montre Adam et Ève assis au loin. Ils sont assis sous le dais d’un jardin envahi par la végétation et grouillant de vie. Une lumière les éclaire comme pour montrer leur union dans la lumière et l’amour de Dieu. Satan, déguisé en serpent, les observe sournoisement et attend son heure.
Le danger de l’excursion de la beauté
Malgré les avertissements d’Adam, Ève le convainc que tout ira bien et qu’elle peut se débrouiller toute seule. Elle part seule et Satan ne tarde pas à la suivre pret à lancer son attaque. La beauté céleste d’Eve le prend au dépourvu et il oublie presque la haine qui l’habite :
Le serpent prenait un pareil plaisir à voir ce plateau fleuri, doux abri d’Eve ainsi matineuse, ainsi solitaire ! Sa forme angélique et céleste, mais plus suave et plus féminine, sa gracieuse innocence, toute la façon de ses gestes ou de ses moindres mouvements, intimident la malice de Satan, et par un doux larcin dépouillent sa violence de l’intention violente qu’il apportait. Dans cet intervalle le mal unique demeure abstrait de son propre mal, et pendant ce temps demeura stupidement bon, désarmé qu’il était d’inimitié, de fourberie, de haine, d’envie, de vengeance.
(Livre IX. 455, 466)
Milton suggère ici que la beauté céleste d’Ève a le pouvoir de transformer ce qui est péché et haineux en ce qui est bon. La beauté possède intrinsèquement un potentiel de transformation. Cependant, le fait de voir cette beauté qu’il ne peut pas posséder ravive sa colère et il s’approche d’elle et commence à la tenter.
Ève est déconcertée par le serpent qui parle : Comment cet animal peut-il parler alors qu’aucun autre animal ne peut le faire ? Satan répond que l’arbre de la connaissance du bien et du mal lui a donné ses pouvoirs et qu’elle devrait elle aussi manger de cet arbre. Elle sait qu’elle ne peut pas manger de cet arbre. C’est la seule chose que Dieu lui a demandé de ne pas faire, ainsi qu’à Adam.
Satan, cependant, va directement à la source de son orgueil : sa beauté. Il lui dit qu’elle est si belle qu’elle devrait être adorée par tous comme si elle était une déesse. Or, seul Adam peut jouir de sa beauté, mais elle est trop belle pour un seul homme et pour les animaux indignes du jardin :
O la plus belle ressemblance de ton beau Créateur, toi toutes les choses vivantes t’admirent, toutes les choses, qui l’appartiennent en don, adorent ta beauté céleste contemplée avec ravissement. La beauté est considérée davantage là où elle est universellement admirée, mais ici, dans cet enclos sauvage, parmi ces bêtes (spectateurs grossiers et insuffisants pour discerner la moitié de ce qui en toi est beau), un homme excepté, qui te voit ? Et qu’est−ce qu’un seul à te voir, toi qui devrais être vue déesse parmi les dieux, adorée et servie des anges sans nombre, ta cour journalière?
(Livre IX. 538, 548)
Il lui assure qu’il n’y a rien de mal dans le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Si c’était le cas, pourquoi serait-il capable d’en manger et d’acquérir le pouvoir de parler comme un humain ? Si elle en mange, elle deviendra sûrement encore plus belle et plus divine, comme les êtres du ciel.
Elle réfléchit et se dit que le serpent a peut-être raison, qu’ils ont peut-être mal compris le commandement de Dieu, car pourquoi Dieu ne voudrait-il pas qu’ils mangent le fruit de cet arbre s’il les aimait vraiment ? Elle prend du fruit de l’arbre et mange. Elle s’enivre immédiatement et a l’impression d’être divine. Pendant son ivresse, Satan s’éloigne et retourne dans les broussailles du jardin.
Dans « Le serpent coupable s’enfuit dans un hallier », Doré montre le moment où Satan abandonne l’indulgente Ève, un fruit à la main. Contrairement à « Le serpent s’approchait ; il franchit mainte avenue », ici, Adam et Ève sont séparés.
Les projecteurs sont braqués sur Ève, éclairant sa beauté mais aussi la désobéissance qui accompagne désormais cette beauté, comme l’indique le fruit qu’elle tient dans sa main. Adam est assis dans l’ombre en arrière-plan, la tête posée sur sa main, comme s’il était en proie à une profonde inquiétude contemplative. Cette scène pourrait-elle représenter la discorde intérieure qui se produit lorsque la beauté et la sagesse sont séparées, lorsque la beauté orne avec complaisance des choses autres que le divin ?
L’union de la sagesse et de la beauté
Tout au long de l’histoire de la civilisation occidentale, la beauté a fait l’objet de mises en garde. Platon a mis en garde contre les dangers de la beauté, suggérant même que les poètes devraient être exilés de la République parce qu’ils ont le pouvoir de rendre n’importe quoi séduisant. L’inquiétude de Platon est fondée : Tout peut être orné de beauté, même les choses qui pourraient s’avérer destructrices.
En quoi la beauté peut-elle nous être bénéfique ? La beauté peut intrinsèquement transformer ceux qui en font l’expérience, mais dans quel but ? Comment la transformation peut-elle être bénéfique ? La beauté doit-elle être unifiée avec l’intellect et obéir aux commandements de Dieu, comme le suggère Milton ? La beauté heureuse est-elle celle qui répond à ces exigences ?
Gustave Doré était un illustrateur prolifique du 19e siècle. Il a créé des images pour certaines des plus grandes œuvres de la littérature classique du monde occidental, notamment la Bible, « Le Paradis perdu » et « La Divine Comédie ». Dans cette série, nous allons nous plonger dans les pensées qui ont inspiré Doré et dans l’imagerie qu’elles ont suscitée. Le premier article de cette série est intitulé « Idées illustres et illustrations » : les images de Gustave Doré ».
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