Rares sont les coins du monde encore laissés intacts par l’humain. Une étude récente a ainsi mis en lumière que seuls 23 % de la surface terrestre de la planète – en dehors de l’Antarctique – et 13 % de l’océan peuvent aujourd’hui être considérés comme « sauvages » ; cela représente un déclin d’environ 10 % sur les vingt dernières années.
Et 70 % des espaces encore sauvages sont concentrés dans seulement cinq zones, comme l’ont montré des chercheurs américains et australiens en mettant au point une carte du monde pour illustrer ce déclin (voir ci-dessous).
Pour ce faire, ils ont combiné plusieurs types de données : densité de population, lumière artificielle de nuit, types de végétation. Il y a cependant une limite à cette démarche : savoir où débute et où prend fin la nature sauvage n’est pas une mince affaire !
Une question d’échelle
Les données utilisées pour cartographier la nature sauvage sont souvent récoltées de différentes manières dans les différentes parties du monde. Certains jeux de données, par exemple, recensent toutes les routes, jusqu’aux moindres chemins forestiers ou fermiers, quand d’autres n’incluent que les principaux réseaux routiers.
Définir à quelle distance de ces routes on doit se situer pour considérer un espace comme sauvage peut aussi largement varier à l’échelle mondiale. Ainsi, tricoter toutes ces données dans une carte unique exige souvent des compromis – par exemple, exclure certains espaces sauvages en-dessous d’une taille minimum. Cela aura pour effet d’amoindrir la pertinence d’une telle représentation.
Si les cartes mondiales ont le mérite d’interpeller sur l’érosion des zones restées sauvages, seules des cartographies plus détaillées – aux échelles nationale et locale – peuvent véritablement nous permettre de comprendre et faire face aux menaces qui pèsent sur les derniers espaces sauvages.
La preuve en trois exemples concrets.
En France
À l’image de l’Écosse, qui dispose probablement des cartographies d’espaces sauvages les plus précises au monde, nous avons récemment initié un travail similaire de grande ampleur en France, en partenariat avec le comité hexagonal de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
En adaptant la méthodologie et les critères utilisés à l’échelle mondiale, il s’agit ici de mobiliser les données homogènes les plus précises dont nous disposons pour restituer localement tout un gradient spatial de « naturalité ».
À l’échelle mondiale, la France apparaît comme totalement dépourvue d’espaces sauvages. Mais lorsque l’on resserre l’emprise et que l’on affine l’échelle spatiale, on peut mettre en lumière tout un continuum de « naturalité ». Le travail préliminaire réalisé sur deux secteurs – en Loire-Atlantique et dans les Hautes-Pyrénées – illustre cette variabilité du « sauvage », même sur des espaces de taille restreinte.
On voit ainsi clairement, sur le site d’étude de Loire-Atlantique, des zones qui se distinguent par un niveau plus élevé de « naturalité », telles que le lac de Grand-Lieu, le marais de Brière ou encore le secteur de Notre-Dame-des-Landes. Ces zones à fort enjeu de conservation échappent pourtant aux cartographies européennes et mondiales.
On le voit, ce changement d’échelle et d’analyse apparaît fondamental pour une meilleure prise en compte de la protection de la nature dans les territoires.
En Chine
Sur le même modèle, nous nous sommes intéressés à la Chine en utilisant une cartographie à l’échelle nationale, afin de définir les contrées sauvages et aider à imaginer un nouveau réseau de parcs nationaux.
On peut nettement diviser le pays en deux, grâce à la ligne imaginaire dite « Heihe-Tengchong », qui lie Ai-hui dans le Nord-Est à Teng-Chong dans le Sud-Est. À l’est de cette ligne, le pays est densément peuplé et intensément cultivé. À l’ouest, la population humaine est plus éparse et les espaces demeurent très sauvages.
Les géographes chinois développent actuellement des méthodes pour faire face à cette polarité marquée dans la répartition des étendues sauvages du pays. Il leur faut identifier les petites poches d’écosystèmes sauvages encore présents au cœur des paysages fragmentés et développés de l’est.
En Amazonie
La cartographie nous montre particulièrement bien la façon dont les terres sauvages sont peu à peu grignotées pour satisfaire les besoins en nourriture, carburant, eau, bois et autres ressources ; une demande croissante à mesure que la population humaine augmente.
Les cartes montrent que cela se produit principalement via la construction de routes relative à l’exploitation du bois, du pétrole, du gaz ou des minerais. Les images de la fragmentation dont témoigne la forêt amazonienne fournissent un exemple parlant de la manière dont les routes, une fois construites, ouvrent le paysage à l’agriculture et autres interventions humaines sur l’environnement.
Regarder de plus près
Malgré les problèmes inhérents aux cartographies globales, il y a eu quelques tentatives prometteuses pour faire face à l’hétérogénéité des données transfrontalières.
Dans le cadre d’un projet visant à recenser les zones sauvages au sein de l’Union européenne, conduit il y a quelques années, un degré de « nature sauvage » a été cartographié de manière homogène à travers l’Europe.
Le résultat montre notamment qu’il est bien plus fréquent de trouver des espaces sauvages en hautes latitudes – trop froides et trop sèches pour l’agriculture et l’exploitation forestière – ou à haute altitude, où les terres sont trop rudes pour être travaillées. Il ne serait donc pas surprenant de constater des phénomènes similaires à l’échelle mondiale.
L’échelle de ce type de cartes affecte à la fois les formes que nous voyons et la manière dont nous comprenons la destruction des espaces sauvages. Cela influence ensuite la manière dont nous devrions répondre et gérer les menaces qui pèsent sur les derniers espaces sauvages.
Si les cartes globales attirent immanquablement l’œil, elles risquent de masquer les causes sous-jacentes et de n’avoir au final qu’un intérêt limité. Elles peuvent être très pertinentes pour pointer le problème général, mais elles restent un point de départ. Elles doivent donc nous inciter à aller plus loin pour comprendre les multiples pressions qui mènent à la disparition des espaces sauvages.
Adrien Guetté (Université de Nantes) a participé à la rédaction de cet article.
Steve Carver, Senior Lecturer in Geography, University of Leeds et Jonathan Carruthers-Jones, Marie Skłodowska Curie Doctoral Research Fellow, University of Leeds
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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