ENTRETIEN – Anne-Charlène Bezzina est constitutionnaliste et maître de conférence en droit public à l’université de Rouen. Elle a récemment publié Cette Constitution qui nous protège, le texte intégral de la Constitution commenté (XO éditions). Dans un entretien accordé à Epoch Times, elle analyse l’impopularité de François Bayrou ainsi que la crise politique que la France traverse.
Epoch Times : Une dizaine de jours après sa nomination, le Premier ministre François Bayrou enregistre une cote de popularité historiquement basse. Selon le baromètre IFOP-Journal du Dimanche, 64 % des Français sont mécontents de la nomination du maire de Pau à Matignon. Comment analysez-vous ce chiffre ? Une autre personnalité aurait-elle dû être choisie à sa place ?
Anne-Charlène Bezzina – J’ignore ce qui justifie cet immédiat « désamour ». L’opinion se désintéresse de la situation politique et constitutionnelle que la France traverse actuellement. L’image des élus est dégradée. Le choix de François Bayrou correspond à un moment de conciliation et de compromis nécessaire dans la vie parlementaire, mais qui inspire aux Français le sentiment d’une même fragilité que celle du Gouvernement Barnier, ce qui alimente la crainte de déstabilisation et de défiance.
Il est difficile de savoir si une personnalité aurait fait mieux ou aurait dû être choisie. Au vu de la fracturation de l’Assemblée nationale en trois blocs, aucun leader naturel de parti de coalition n’émerge. La ligne de gauche consistant à ne vouloir estimer légitime qu’un leader du NFP et la ligne du RN consistant à ne participer à aucun gouvernement ne laissent la possibilité de constituer un gouvernement qu’avec une ligne centrale qui doit également donner le sentiment de ne pas privilégier les « battus » de l’ex-majorité macroniste. François Bayrou est un choix qui était l’un des plus compatibles avec un élargissement à gauche au vu du positionnement, notamment dans le budget, du groupe MODEM à l’Assemblée nationale.
Toujours selon la même étude, 67 % des Français estiment que le gouvernement sera rapidement censuré. Qu’en pensez-vous ?
La répétition des erreurs de notre histoire m’inquiète. Si toutefois nous avions à nouveau une Assemblée si puissante qu’il faille démissionner ou être renversé à la moindre querelle pour tout Premier ministre, nous aurions perdu tous les acquis de stabilité de la Ve République.
Pour éviter la censure, une seule voie est possible : celle du compromis que n’a pas eu le temps de mener Michel Barnier. Il faut accepter de gouverner avec les voix d’autres groupes parlementaires. Aucune réforme ambitieuse ne sera possible qui ne soit portée par un large consensus. Il faudrait moins de lois, moins d’initiatives réformistes pour se pencher sur les urgences : les territoires, le pouvoir d’achat, l’environnement, la crise budgétaire devraient pouvoir réunir un socle ; c’est la tâche que s’est assignée François Bayrou.
La culture de la motion de censure comme arme d’opposition n’est saine ni pour la continuité de la gouvernance (aucun dossier ne peut aboutir dans cette incertitude), ni pour la confiance de l’opinion dans ses élus, ni pour l’opposition qui ne propose aucune alternative que la défiance.
Pensez-vous, comme certains experts, que la Ve République soit la cause de la crise politique que nous traversons ?
Je ne le crois profondément pas. J’ignore quel régime serait mieux adapté à une tripartition du cénacle parlementaire. Un régime d’assemblée ? Sans culture du compromis et recherche d’accord, c’est impossible. Un régime à exécutif plus fort ? Les Français en ont peur à juste titre. Il me semble que nous avons le régime le plus flexible et adaptable qui soit pour absorber cette crise politique difficile.
En réalité, les partis politiques refusent de voir que c’est leur responsabilité en tant qu’organes de discussions et de négociations qui sont en cause et pas nos institutions. La page politique nous offre plus que jamais la possibilité de montrer le « visage parlementaire de la Ve République ».
Une Sixième République ne serait donc pas une solution ?
Il faudrait essayer d’évaluer ce qu’elle nous apporterait plutôt que d’être séduit uniquement pour son appellation et l’idée même de faire table rase. Dans les programmes politiques des différents partis, la Sixième République décrit un régime parlementaire où le Président est diminué dans ses pouvoirs et où l’Assemblée nationale et le peuple en ont plus.
L’Assemblée nationale a plus que jamais aujourd’hui l’occasion de transformer l’essai et de prendre les pouvoirs parlementaires qui sont les siens en changeant de culture ; quant au pouvoir du peuple, aux modes de scrutin, à la responsabilité pénale des gouvernants, tous ces éléments pourraient être modifiés dans le texte de la Constitution de la Ve République pour l’adapter à son temps sans nécessairement changer l’équilibre général de l’édifice auquel je suis attachée pour la grande souplesse qu’il offre à tous les caps politiques.
La situation actuelle le prouve, la Ve République, née des crises, sait les surmonter.
Qu’est-ce qui pourrait sortir la France de l’instabilité politique ?
Il faut compter sur un abandon de posture, une fin des « égos constitutionnels » qui amènent les partis à rechercher dans la Constitution toutes les armes qui les favorisent, pour parvenir à travailler ensemble sur les urgences. C’est ce que faisaient les présidents du Conseil qui tenaient le plus longtemps sous la IVe République, rechercher des alliages, du consensus, du soutien dans l’opinion.
Je crois que la seule solution qui soit stable serait de proposer un travail sur les thèmes et non seulement sur les hommes, en se mettant en accord autour de 5 à 6 lois maximum qui fassent consensus, de manière à éviter l’instabilité mais surtout de manière à retrouver le concept de majorité autour de projets politiques.
Il faudrait donc que le gouvernement gouverne avec la conscience d’une ligne de consensus à aller chercher sur chaque dossier ; il faudrait que les parlementaires d’oppositions ne cherchent pas à instiller leur propre programme politique dans le projet d’autres groupes, mais « amendent » au plus beau sens du terme, c’est à dire modifient pour améliorer.
Les Français y sont prêts, c’est à la classe politique de sauter le pas.
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