Initialement conçu pour des applications militaires, le Global Positioning System est un système de positionnement par satellites appartenant au Pentagone, également utilisé pour de très nombreuses applications civiles.
Que ce soit en matière de logistique, de transport, d’agriculture, de finance, d’industrie, de défense ou de sécurité, le GPS garantit aujourd’hui un positionnement et un horodatage précis n’importe où dans le monde.
Dans le contexte actuel, marqué par des menaces sans cesse croissantes de la part de la Russie à l’égard des Occidentaux, ces infrastructures cruciales sont-elles en danger ?
Qu’est-ce que le GPS ?
Le premier satellite GPS fut mis en orbite en 1978 et la couverture mondiale fut achevée en janvier 1995. Le système GPS repose aujourd’hui sur une constellation de 31 satellites qui permet à un utilisateur situé en n’importe quel point du globe d’avoir en permanence au minimum quatre satellites à sa portée. Les satellites GPS évoluent en orbites circulaires à une altitude de 20 200 km.
Le système est avant tout connu du grand public pour ses applications de géolocalisation, telles Waze ; mais ses usages sont en réalité très variés.
Un satellite comprend en effet quatre horloges atomiques, synchronisées et traçables, qui servent de référence pour des milliards d’utilisateurs. La synchronisation GPS est tellement précise qu’elle joue désormais un rôle essentiel dans l’industrie mondiale. Par exemple, les centrales électriques modernes reposent sur cette synchronisation dans le but de modifier, adapter et suivre les demandes de puissance électrique et ajuster la production d’énergie.
Par ailleurs, les marchés financiers mondiaux s’appuient également sur l’heure GPS afin d’enregistrer en quelques millisecondes seulement des milliards de transactions quotidiennes.
Notre infrastructure la plus vulnérable
Les signaux GPS constituent donc une infrastructure essentielle… mais éminemment vulnérable. D’abord du fait de menaces naturelles, telles les éruptions solaires de l’été 2022, qui ont perturbé la ionosphère en empêchant les signaux GPS de passer. Ces tempêtes sont de plus en plus fréquentes. Notre soleil est en effet entré dans un nouveau cycle, dont le pic d’activité est prévu pour 2025-2026. Une éruption solaire d’envergure pourrait mettre hors service plusieurs satellites, temporairement ou définitivement.
Au-delà, le GPS est exposé à toutes sortes de menaces d’origine humaine, allant du brouillage au piratage, aux cyberattaques, voire aux attaques physiques.
Les menaces d’attaque physique des satellites GPS n’ont pas été mises à exécution à ce jour (mais un tel scénario n’est pas à exclure, au vu du développement rapide des armes anti-satellites). En revanche, on constate déjà une augmentation rapide d’incidents, intentionnels ou involontaires. Selon le projet Strike3, initiative européenne visant à limiter l’exposition du continent au « risque GPS », plus de 21 000 événements d’interférence aux communications aéroportuaires ont été détectés pendant le seul mois d’avril 2018, sur les huit principaux aéroports européens. Parmi ceux-ci, 1 141 ont été identifiés comme des interférences délibérées.
Une cyberattaque spatiale peut générer des perturbations, entraîner une perte de données voire mener à la perte d’un satellite ou d’un réseau complet de satellites. En prenant la main sur le système de commande et contrôle d’un satellite, un attaquant pourrait en modifier l’orbite, couper les communications, ou encore désactiver son électronique. Comme dans la plupart des cyberattaques terrestres, l’attaquant pourrait utiliser des serveurs détournés sans laisser de traces.
Conscients de la fragilité du système, la Russie, puis l’UE et enfin le Japon et la Chine ont mis en place leurs propres constellations de satellites : respectivement Glonass en 1993, Galileo en 2011, QZSS et Beidou en 2018.
L’appellation GPS, spécifique au système américain, tend donc à être remplacée par « Système mondial de navigation par satellites » (SMNS), en anglais : Global Navigation Satellites System.
Le risque géostratégique
Les forces armées contemporaines, particulièrement en Occident, ont développé une dépendance aiguë au système GPS, que ce soit pour la géolocalisation, le guidage des missiles, ou encore la navigation en mer ou dans les airs. Les obus d’artillerie « intelligents », ainsi que les roquettes des Himars, grâce à leur guidage GPS sophistiqué, sont capables de frapper avec une précision de moins de 2 mètres une cible située à plusieurs dizaines, voire centaines de kilomètres, comme démontré avec succès par l’artillerie ukrainienne ces dernières semaines.
Dès lors, bon nombre d’acteurs ont intérêt à développer des systèmes de brouillage.
Le brouillage vise à transmettre un signal plus puissant dans la même bande de fréquence que le GPS pour perturber ses signaux. Disponibles pour quelques dizaines d’euros, les dispositifs de brouillage sont fréquemment utilisés dans le vol de véhicules par des malfrats. Les dispositifs civils ont une portée de quelques dizaines de mètres, alors que les dispositifs militaires permettent de brouiller voire d’interrompre les signaux GPS sur plusieurs centaines de kilomètres à la ronde.
Lors de l’opération Iraqi Freedom en 2003, la société russe Aviaconversiya avait fourni aux forces armées irakiennes des dispositifs de brouillage GPS, d’un poids de moins de 8kg et d’une portée de 200 km. La menace avait été jugée suffisamment sérieuse pour que les frappes de la coalition visent en priorité ces dispositifs.
Plus proche de chez nous, à Nantes en 2017, un ingénieur commercial avait omis d’éteindre son brouilleur GPS grand public laissé dans son véhicule, garé à l’aéroport. Le brouilleur perturba sérieusement le fonctionnement de l’aéroport, et le risque d’une collision aérienne entraîna l’intervention de la gendarmerie qui géolocalisa puis neutralisa le brouilleur.
À l’autre bout du continent, la Corée du Nord se livre régulièrement, dans un but obscur, à des campagnes de brouillage visant les aéronefs, civils ou militaires, sud-coréens. Plusieurs centaines d’avions civils peuvent être visés chaque mois, selon l’autorité de l’aviation civile coréenne.
Le brouillage est, à la base, une opération relativement aisée, tant les signaux des GNSS – GPS comme Galileo – sont faibles en comparaison de ceux émis par les brouilleurs. Le signal d’un GPS peut être comparé au bruit émis par une cigale, alors que son brouillage par interférence se rapproche à celui d’un avion à réaction.
Dans ces conditions, pourquoi la Russie, qui a massivement investi dans des systèmes de guerre électronique capables de couper les communications et les signaux sur un large spectre, n’a-t-elle pas encore « coupé » le GPS ?
Pourquoi Poutine attend avant d’aveugler l’Occident
La Russie dispose d’équipements de brouillage anti-GPS et d’armes anti-satellites extrêmement sophistiquées. Elle a déjà, par le passé, brouillé les signaux GPS de l’OTAN sur une vaste région, à savoir l’Arctique, lors des exercices militaires de l’OTAN de l’automne 2018.
En 2021, alors que la Russie venait de détruire un de ses satellites dans l’espace, un commentateur de la télévision russe avait déclaré en 2021 que la nation pourrait « aveugler l’OTAN » en abattant tous les satellites GPS. Aujourd’hui, en Ukraine, les forces russes brouillent régulièrement les signaux GPS sur une partie du théâtre d’opérations. Pour autant, ce brouillage n’est pas aussi complet que certains observateurs l’avaient prévu.
La principale raison est que les forces russes ont elles-mêmes cruellement besoin du GPS. En effet, les récepteurs GPS sont très répandus, bien meilleur marché et plus faciles à utiliser que les récepteurs Glonass. Pour preuve, les avions de chasse russes abattus dont on a découvert qu’ils avaient des récepteurs GPS civils scotchés sur leur tableau de bord.
Par ailleurs, l’Ukraine utilise toujours d’importants stocks d’armes datant de l’ère soviétique, qui sont peu susceptibles d’être affectés par les formes de guerre électronique.
Le scénario « GPS blackout » et le retour du sextant
Il n’en reste pas moins que, depuis plusieurs années, les forces armées occidentales se préparent à un scénario d’interruption complète et prolongée des systèmes de positionnement et navigation par satellite : le « GPS Blackout ».
Les exercices de l’OTAN simulent désormais un conflit à haute intensité, fulgurant et simultané, dans un environnement aux communications fortement dégradées et au sein duquel une panne GPS majeure se produit sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Les armées occidentales envisagent des solutions alternatives pour maintenir leurs capacités de combat à un niveau adéquat : tirs de missiles sans GPS, et… utilisation du sextant comme instrument de navigation en mer.
Parmi les solutions plus techniques, les armées occidentales se tournent vers la mise en place de réseaux de pseudo-satellites, ou pseudolites, via les antennes terrestres, afin de créer un système de localisation « de théâtre », par opposition au GPS qui est de nature globale. Ce type de système permet une meilleure résilience, et est par ailleurs nettement moins coûteux à déployer.
Des systèmes assez anciens, tels l’Astro-inertial navigation system (ANS, en français : système de navigation inertiel recalé par visée stellaire) sont ressortis des cartons, afin d’assurer une redondance au GPS. L’ANS équipe certains aéronefs américains, dont l’avion-espion BlackBird SR71. Bien que moins précis que le GPS, l’ANS permet une géolocalisation et un géopositionnement à 100 mètres près.
Enfin, l’agence publique américaine DARPA – génitrice d’Internet dans les années 1960 – planche en ce moment sur une autre technologie jugée « très prometteuse », l’ASPN : All-Source Positioning and Navigation. Il s’agit ici d’utiliser des signaux d’opportunité, tels la radio, les antennes relais et la télévision, pour se positionner.
Son homologue britannique, l’ARIA, travaille pour sa part sur un système de navigation baptisé NAVSOP, pour Navigation via Signals of Opportunity, basé sur des principes identiques.
Serge Besanger, Professeur à l’ESCE École internationale de commerce, INSEEC U Centre de recherche, OMNES Éducation
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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