Pour éviter que la France ne devienne ingouvernable, l’hypothèse d’un gouvernement technique est évoquée depuis l’entre-deux-tours des législatives. Composé d’experts non affiliés à un parti politique, le gouvernement serait composé de hauts fonctionnaires, économistes, diplomates ou experts sans étiquette partisane et choisis à l’aune de leurs compétences.
Si l’idée est séduisante pour sortir de l’immobilisme parlementaire, elle n’est pourtant pas dans la tradition politique française et n’est pas soutenue par une majorité de Français.
Un tel gouvernement a déjà été testé plusieurs fois en Italie pour sortir de graves crises financières, avec succès mais au prix d’une perte de crédibilité politique pour le parti au pouvoir.
En quoi consiste un gouvernement technique ?
Selon un sondage Odoxa-Backbone pour Le Figaro paru avant le second tour des élections législatives, le scénario d’un gouvernement «technique», en cas d’absence de majorité absolue, est rejeté par les trois quarts des Français (74 %).
Un tel gouvernement de technocrates au profil transpartisan et peu clivant n’aurait pas de fonction politique mais assurerait une continuité économique du pays en s’accordant sur le budget à l’automne. Il faudra toujours trouver un Premier ministre consensuel qui pourrait être accepté par une majorité des parlementaires. Le patron des socialistes, Olivier Faure, proposait d’ailleurs en début de semaine d’élargir les recherches pour un Premier ministre à « une personnalité de la société civile » qui permettra « d’avancer ensemble », a-t-il estimé.
Cette solution permettrait aux partis politiques de s’engager à ne pas renverser le gouvernement, a expliqué au Figaro Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas, le message étant de ne pas rajouter du chaos au chaos. « C’est une solution de repli quand vous ne pouvez pas prendre le pouvoir » a-t-il précisé.
L’option d’un gouvernement technique, défendue comme solution à la confusion politique, a été plusieurs fois testée en Italie lors des trente dernières années, notamment en cas de crise grave, avec des conséquences indirectes sur la recomposition politique du pays.
L’exemple des gouvernements techniques italiens
Au total, quatre gouvernements techniques, dirigés par des économistes, ont participé à la gestion de la péninsule italienne depuis 1993. « À chaque fois, cela correspond à des situations de blocage politique », explique Marc Lazar, spécialiste de l’Italie enseignant à Sciences-Po et à l’université romaine Luiss.
« Ce sont des gouvernements qui ne durent pas longtemps, qui permettent aux politiques de confier à ces techniciens le ‘sale travail’ », comme par exemple l’assainissement des finances publiques pour rétablir la crédibilité de l’économie italienne sur la scène internationale, observe-t-il. Une politique généralement très impopulaire dont les partis politiques se déchargent fort volontiers. Ce qui explique que sur les quatre chefs de gouvernements à la tête de cabinets techniques, trois venaient de la Banque d’Italie et le quatrième était un économiste ex-commissaire européen.
Concernant le passage de Mario Draghi, « si on doit retenir une leçon, c’est que le seul parti resté dans l’opposition a raflé la mise en 2022 », en l’occurrence Fratelli d’Italia, le parti nationaliste de l’actuelle Première ministre Giorgia Meloni.
« S’il y a un gouvernement technique en France […] et qu’il y a deux partis qui refusent cela, on peut se demander si un tel gouvernement ne favoriserait pas le Rassemblement national et La France insoumise », observe Marc Lazar.
En l’absence de majorité, un gouvernement technique n’est donc pas à exclure, avec à sa tête « un haut fonctionnaire, très réputé, très sérieux […] pour tenir pendant un an, jusqu’à la prochaine dissolution », puisque la Constitution impose au président d’attendre un an avant de pouvoir convoquer de nouvelles élections.
Un gouvernement si facile à instaurer en France
Pour l’ancien dirigeant italien Mario Monti, un gouvernement technique comme celui qui avait sauvé l’Italie de la crise de la dette en 2011 serait plus « difficile » à instaurer en France. L’économiste et ancien commissaire européen avait été chargé par le président italien de l’époque, Giorgio Napolitano, de former un gouvernement technique pour succéder à Silvio Berlusconi, empêtré dans des scandales et la crise de l’euro.
Formé d’experts, dont plusieurs professeurs d’université comme lui, son gouvernement avait pour mandat de « sortir l’Italie de la crise » avant des élections prévues en 2013 : « Il y avait une énorme urgence à agir », a ajouté celui qui est aujourd’hui sénateur mais était alors un technocrate peu connu. Rapidement, le président du Conseil était parvenu à restaurer la crédibilité de l’Italie, mais au prix d’une dure réforme des retraites et d’un alourdissement de la fiscalité. Tous les partis l’ont soutenu, sauf la Ligue du Nord.
En France, pénalisée par un lourd endettement et des taux en hausse depuis la dissolution, la formation d’un gouvernement technique est l’un des scénarios évoqués pour l’après second tour des législatives dimanche, afin de rassurer jusqu’à la tenue de nouvelles élections. Mais la situation du pays, où le scrutin majoritaire à deux tours ne favorise pas les coalitions, diffère de celle de l’Italie, au scrutin partiellement proportionnel.
« Dans notre République parlementaire, qui est très semblable à celles de l’Allemagne, de la Belgique, des Pays-Bas, on peut faire appel à une grande coalition pour surmonter des phases graves – perçues comme telles par le pays », a analysé Mario Monti. « Mais c’est beaucoup plus difficile (…) de vouloir le faire et peut-être pouvoir le faire si vous êtes au sommet de la République française. »
« Il sera peut-être difficile pour [Emmanuel Macron] d’appeler à la coopération de vastes forces », a-t-il souligné, estimant toutefois qu’ « il y a de l’espace pour l’imagination ».
Des accords techniques plutôt qu’un gouvernement technique
Plutôt que des coalitions ou un gouvernement technique, la droite plaide pour des « accords techniques » dans le cadre d’un « pacte législatif ». Le nouveau président du groupe La Droite républicaine à l’Assemblée, Laurent Wauquiez, a présenté le 15 juillet les contours d’un tel « pacte législatif » permettant de sortir le pays du blocage institutionnel.
Ce projet de gouvernement a pour ambition de « débloquer la France dans les 100 jours » autour d’une dizaine de propositions de loi jugées prioritaires. Deux axes majeurs construisent ce pacte législatif, la revalorisation du travail par la baisse de l’assistanat et la restauration de l’autorité, notamment par le respect de la laïcité. Deux lignes rouges cependant, le laxisme budgétaire et la hausse des impôts.
Cette capacité à négocier entre les partis sur des accords a minima texte par texte, serait une nouveauté en Ve République basée principalement sur des majorités parlementaires. Elle permettrait de sortir lentement de l’immobilisme parlementaire sans pour autant mettre en place de réformes importantes pour la France, pour au moins un an.
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