Vous avez de l’inspiration ? Remettre le mérite à qui de droit : une vision ancienne

Première partie

Par Matthew John
22 avril 2022 22:42 Mis à jour: 22 avril 2022 22:42

Porté par les Muses, Homère a laissé à la postérité deux œuvres poétiques monumentales, l’Iliade et l’Odyssée, lesquelles commencent en invoquant les Muses.

Dans les diverses mosaïques à son effigie, on peut voir les Muses accompagner Virgile, le grand poète romain.

Des philosophes tels que Socrates et Platon accomplissaient de longs pèlerinages pour se rendre jusque dans leurs sanctuaires et leur rendre hommage.

Voilà donc quelle était la place occupée par les Muses, grecques initialement, puis romaines. C’est vers ces créatures éthérées, filles de Zeus et Mnémosyne, que se tournaient, les plus grands esprits, poètes et artistes du monde classique.

Car les Muses, neuf déesses en tout dont Clio, Thalie, Erato, Euterpe, Polyhymnie, Calliope, Terpsichore, Uranie et Melpomène, étaient reconnues comme porteuses de l’étincelle divine de la créativité.

Elles étaient à l’origine de tous les élans d’originalité, qu’il s’agisse d’écriture historique, de musique, de comédie ou bien de géométrie et d’astronomie. Chaque nouveau sommet atteint dans les arts et les sciences était à mettre au crédit de ces figures de grâce, de beauté et de talent.

Comme il se doit, elles ornaient souvent les vases grecques et bien des fêtes étaient organisées en leur honneur.

Pour les anciens, les idées ne surgissaient pas simplement de l’inconscient comme le prétend notre monde postfreudien, les idées n’étaient pas les fruits de nos propres efforts cognitifs. Une main supérieure était à l’œuvre, la main des dieux, il va sans dire. Les idées nous étaient, si ce n’est réellement transmises, du moins accordées.

Bien qu’elles soient souvent qualifiées de « personnifications » de nos jours (comme si le fait de les proclamer sacrées était en quelque sorte indigne de nos ancêtres) les Muses étaient en vérité très réelles et primordiales. Nous pouvons sans peine les qualifier d’« êtres angéliques » ou de « figures célestes ». Après tout, n’étaient‑elles pas les filles de Zeus ?

Quelle que soit la terminologie, réfléchir aux Muses et à leur importance culturelle dans le monde antique permet de concevoir avec humilité, notre propre place dans l’univers, en particulier en ces temps d’orgueil démesuré et de rejet de tout ce qui était autrefois sacré.

Aujourd’hui, nous attribuons nos talents et nos capacités à un mélange de « nature », de génétique et d’éducation, bref à nos propres efforts et à ceux de notre famille. Mais, pour le citoyen gréco‑romain, le talent était une bénédiction. C’était un présent accordé, octroyé.

En tant que tel, il fallait être digne de ce don. Pour le poète, en plus de l’étude de son art, il fallait édifier un sanctuaire pour Calliope ‑ la Muse de la poésie épique et de la rhétorique ‑ et offrir ses prières.

« Terpsichore » de Jean-Marc Nattier (1739), Musée des beaux-arts de San Francisco (Domaine public)

Pour la danse, il fallait rendre hommage à Terpsichore, souvent représentée avec une couronne de laurier sur la tête et tenant une lyre au son de laquelle elle dirigea en cadence tous ses pas.

Dans cette vision du monde, un éclair de créativité était un cadeau plutôt qu’un accomplissement personnel. Toute inspiration provenait d’une source supérieure, divine.

Bien des histoires, rarement transmises aujourd’hui, mettaient en garde sur les conséquences terribles que pouvaient entraîner un tel oubli.

L’histoire de Thamyris est une des plus mémorables en raison de sa terrible fin. Chanteur accompli de Thrace, Thamyris était si fier de ses propres capacités qu’il se vantait de pouvoir surpasser les Muses, qu’il défia dans un concours.

Le destin a voulu que Thamyris perde et paie chèrement son impiété : les Muses le rendirent aveugle et le privèrent à jamais de ses capacités musicales et poétiques. Sa glorieuse carrière pris fin en un instant. Ce que les Muses donnent, les Muses peuvent reprendre.

La rétribution de Thamyris était tout à fait à sa place dans les récits mythologiques et le théâtre grecs, car invariablement le déclencheur du tragique n’était autre que l’orgueil démesuré, soit un excès de fierté et de confiance en soi mal placée. Dans cette vision du monde, l’orgueil est essentiellement un oubli de reconnaissance, une ingratitude envers l’aide supérieure dont naît l’inspiration et ses réalisations.

Au fil des siècles, les Muses ont presque disparu, tout comme, peut‑être, leurs leçons avisées.

Force est de constater qu’elles ont continué à influencer les siècles chrétiens qui ont suivi la chute de Rome.

Dans le présent, cependant, elles perdurent principalement comme des références parmi les personnages littéraires et les figures en marbre qui bordent les salles des palais d’autrefois.

Il est toutefois surprenant de constater que leur omniprésence antérieure est encore évoquée dans au moins deux mots que vous et moi utilisons très souvent : la musique ‑ depuis toujours associée aux Muses ‑ et, moins évident, le musée signifiant en grec « siège des Muses ».

Face à la beauté créative exposée dans une galerie d’art, ou surpris par l’originalité d’une idée, qu’on se souvienne des Muses et de la bénédiction d’en haut.

« Que les Muses soient avec nous ! »

Matthew John est un enseignant et un écrivain chevronné qui se passionne pour l’histoire, la culture et la littérature. Il vit à New York.

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