La liberté est un thème qui traverse la vie et l’œuvre de Ludwig van Beethoven. Né en 1770, il était un enfant prodige, maladroitement présenté comme le nouveau Mozart par son père alcoolique et violent. En 1792, après la mort de sa mère bien-aimée, il quitte sa ville natale de Bonn, en Allemagne, pour ne plus jamais y revenir.
Beethoven s’installe à Vienne, la capitale musicale de l’Europe, la ville de Mozart et de Haydn. Il se fait rapidement un nom en tant que virtuose du clavier doué pour l’improvisation. Son talent et ses premières compositions attirent de riches mécènes comme le prince Lichnowsky, qui le soutient et le promeut, l’hébergeant même dans son palais.
La fin du XVIIIe siècle est une période de troubles politiques en Europe. Lorsque Beethoven a 19 ans, la prise de la Bastille déclenche la Révolution française. Le continent est gouverné depuis des siècles par des familles royales et des sangs bleus. En 1793, lorsque le roi Louis XVI et Marie-Antoinette sont exécutés, le bruit sourd de la guillotine sème l’effroi dans le cœur de tous les monarques et aristocrates.
Dans sa jeunesse, Beethoven était, selon l’historien Alexander Lee, attiré par les idéaux de la Révolution française. Il « émaillait ses écrits de sentiments révolutionnaires ». En 1793, le compositeur écrit qu’il aime « la liberté par-dessus tout ».
Bien que Beethoven ait recherché la faveur et le patronage des ducs et des princes, il a refusé d’être soumis. Il aurait écrit à Lichnowsky : « Prince, vous êtes ce que vous êtes par le hasard de la naissance ; ce que je suis, je le suis par moi-même. Il y a eu et il y aura des milliers de princes ; il n’y a qu’un seul Beethoven ».
Le biographe Lewis Lockwood écrit : « L’attitude de Beethoven à l’égard de la plupart de ses mécènes […] oscillait ouvertement entre l’ambition brûlante de réussir […] et l’indépendance farouche et revêche ».
Une personne difficile
Beethoven a eu de la chance d’être un génie ; il n’aurait jamais pu s’en sortir grâce à sa personnalité. D’humeur changeante, maladroit, négligé et sujet à des accès de colère, il parvenait à insulter et à s’aliéner amis et mécènes.
Son désordre était légendaire. Les visiteurs étaient choqués par la vue de vêtements et de manuscrits sales éparpillés sur le sol, de repas à moitié mangés sur des chaises poussiéreuses, et même d’un pot de chambre non vidé sous le piano.
La vie amoureuse de Beethoven n’était pas meilleure. Il s’est épris de femmes qui n’étaient pas de son niveau social ou qui n’étaient pas disponibles pour d’autres raisons. À notre connaissance, il a demandé trois femmes en mariage. Elles ont toutes refusé.
Alors que ses revenus et sa réputation augmentent et que sa musique se vend comme des petits pains, les crises de dépression de Beethoven s’aggravent. Pendant des années, il a gardé un terrible secret, le pire cauchemar d’un musicien : il perdait l’ouïe. Cela a commencé par des acouphènes, avant qu’il n’atteigne l’âge de 30 ans, et s’est accentué avec l’âge.
Un homme plus faible aurait pu céder au désespoir, mais le handicap de Beethoven a stimulé son génie et son besoin de réaliser tout ce dont il était capable avant de devenir complètement sourd.
L’amour (et la haine) de Beethoven pour Bonaparte
En 1799, après des années de chaos et d’effusions de sang, un coup d’État renverse le gouvernement français. Napoléon Bonaparte, un général sortant d’une série de victoires militaires stupéfiantes, prend le pouvoir.
Beethoven a dû se sentir proche de Napoléon. Nés à un an d’intervalle, ils sont tous deux passés, à force de travail et de courage, d’origines modestes au succès et à la célébrité. Le jeune compositeur espérait que Napoléon répandrait le républicanisme et les idéaux des Lumières dans toute l’Europe.
Beethoven dédie sa troisième symphonie à Napoléon, mais lorsqu’il apprend en 1804 que Bonaparte s’est couronné empereur, le compositeur entre dans une colère noire. C’en est fini de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ! Il arrache la page de titre de sa partition et raye le nom de Napoléon avec une telle rage qu’il déchire le papier. Il rebaptise alors le morceau Eroica .
Alors que ses contemporains italiens, Rossini et Donizetti, écrivaient des opéras à la douzaine, Beethoven n’en a écrit qu’un seul : Fidelio. Après l’échec de la première en 1805, Beethoven l’a réécrit de manière obsessionnelle jusqu’à ce qu’il parvienne enfin à l’écrire correctement en 1814. Depuis, Fidelio a été produit et admiré.
Fidelio a été qualifié d’ « hymne à la liberté et à la dignité humaine ». Beethoven, profondément désillusionné par la révolution, Napoléon et la politique en général, a créé une œuvre qui célèbre la liberté et la justice à un niveau personnel.
Le décor de l’opéra est à l’opposé de la liberté : une prison. Une jeune femme courageuse, Leonore, se déguise en homme pour infiltrer le donjon où son mari est injustement retenu captif, et le secourir. Il est poignant de réaliser que cet hommage sincère à l’amour conjugal et à la loyauté a été composé par un célibataire solitaire qui n’a jamais trouvé d’épouse.
La neuvième symphonie
En 1824, Beethoven devient totalement sourd, lorsqu’il termine sa neuvième et dernière symphonie. Tous les mélomanes qui ont pu se procurer un billet sont venus assister à la première du 7 mai. Le compositeur a mis tout son cœur, son esprit et son âme dans cette œuvre, mais il sait qu’il prend un risque. La symphonie est extrêmement longue, plus d’une heure. La musique est compliquée et avant-gardiste, les parties difficiles à jouer, et l’ajout de chanteurs et d’un chœur complet est inédit. Tout cela était très nouveau. Était-ce trop nouveau ?
Beethoven adorait Ode à la joie du poète allemand Friedrich Schiller, un vibrant hommage à la fraternité universelle et au Créateur. Il essaie de la mettre en musique depuis l’âge de 20 ans, et il lui trouve finalement une place dans sa neuvième symphonie.
Beethoven tente de diriger la première, mais les musiciens acceptent en privé de suivre la baguette d’un autre chef d’orchestre qui se tenait à proximité. Le compositeur ne pouvait pas entendre la musique, mais chaque note était présente dans son esprit, jusqu’au point culminant où l’orchestre a retenti et où le chœur a entonné les paroles inspirantes de Schiller.
La symphonie s’achève et le silence se fait. Les pires craintes de Beethoven se réalisent. Le public n’a pas compris. Il déteste cette symphonie. Toutes les années qu’il a passées à écrire et à réécrire sont gâchées. Il a mis tout son savoir et son génie dans une œuvre que personne ne comprendra ou n’appréciera jamais.
Ses lèvres tremblent. Une larme coule sur sa joue. À ce moment-là, un musicien lui prend doucement la main et le fait se retourner. Il n’en revient pas. Tout le public est debout, applaudissant à tout rompre. Il n’avait pas pu les entendre.
Un héritage
Depuis 200 ans, les ovations se poursuivent. La Neuvième Symphonie de Beethoven est devenue un symbole de liberté et d’unité, jouée lors de grandes occasions publiques. L’Ode/Hymne à la joie du quatrième mouvement est omniprésente, depuis les Jeux olympiques jusqu’aux publicités télévisées. Chaque année, en décembre, 10.000 chanteurs se réunissent au Japon pour l’interpréter.
L’Ode à la joie est devenue l’hymne national de la Rhodésie dans les années 1970. En 1985, elle a été adoptée comme hymne officiel de l’Union européenne.
Leonard Bernstein en a dirigé une interprétation particulièrement mémorable à Berlin en 1989. Composé d’un orchestre et d’un chœur provenant d’Allemagne de l’Ouest et de l’Est, l’événement célébrait la chute du mur de Berlin et la fin du communisme du rideau de fer.
Pour ce concert historique, Léonard Bernstein a changé un mot de L’Ode à la joie . Il a remplacé « Freude » (joie) par « Freiheit » (liberté). L’immense chœur chantant avec exaltation « Liberté, belle étincelle de Dieu ! belle étincelle de Dieu », a fait pleurer les téléspectateurs et les auditeurs du monde entier.
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