Le commissaire au marché intérieur, Thierry Breton, vient de lancer une consultation publique sur l’avenir des infrastructures télécoms en Europe.
Derrière cette initiative se cache un lobbying des opérateurs télécoms qui demandent à ce que les plateformes de streaming contribuent au financement des infrastructures. Essayons d’y voir clair dans les arguments utilisés pour imposer cette nouvelle taxe.
Le double jeu de la Commission européenne
Le commissaire Breton a affirmé que rien n’était décidé. La consultation a pour but de faire le point sur la question et ce n’est qu’après avoir recueilli « des points de vue sur l’évolution du paysage technologique et du marché », que les autorités bruxelloises proposeront des mesures.
La Commission affirme vouloir consulter « toutes les parties prenantes » (entreprises, associations, particuliers) sur « la nécessité potentielle pour tous les acteurs bénéficiant de la transformation numérique de contribuer équitablement aux investissements dans les infrastructures de connectivité ».
Il est permis de douter de la neutralité de la Commission. En effet, ne parle-t-elle pas de contribution financière équitable (fair share) de tous les acteurs, sous-entendant qu’aujourd’hui la répartition n’est pas « juste » ? Par ailleurs, Thierry Breton a clairement indiqué dans quel camp il se situait lors d’un déplacement en Finlande début février en déclarant : « À une époque où les entreprises technologiques utilisent la plupart de la bande passante et où les opérateurs de télécommunications voient leur retour sur investissement chuter, cela soulève la question de savoir qui paie pour la prochaine génération d’infrastructure de connectivité ». Là encore, le sous-entendu est clair : ceux qui profitent le plus de la bande passante – Google, Netflix, Amazon et consorts – doivent payer.
Le débat est donc biaisé et les jeux semblent déjà faits. Les opérateurs de télécommunications qui sont à l’origine de cette idée avancent quatre raisons principales pour la mise en place de cette « contribution ». Passons-les en revue.
Premier argument : quelques acteurs représentent la majorité du trafic
Selon l’Etno (European Telecommunications Network Operators’ Association) qui regroupe les opérateurs de télécoms européens, 55% de la bande passante sont utilisés par quelques grands acteurs, principalement à cause de la diffusion de vidéos.
Si cela est vrai, on ne voit pas en quoi c’est un argument valable. Que la bande passante soit utilisée par cinq acteurs ou par mille n’a aucune incidence sur le coût des infrastructures si ces dernières sont bien proportionnées, et cela est le travail des opérateurs qui font d’ores et déjà payer leurs clients pour cela. Cet argument a en réalité l’avantage de pointer du doigt quelques entreprises non-européennes, principalement américaines – Netflix, Amazon, Google, YouTube et consorts – et chinoises – TikTok – qui, on le sait, sont dans le collimateur de la Commission européenne depuis longtemps.
Deuxième argument : le trafic croît de manière exponentielle
C’est faux, le trafic internet ne croît plus de manière exponentielle. La croissance ralentit depuis maintenant cinq ans – avec cependant une reprise durant les confinements de 2020. En 2022, par exemple, le trafic internet mobile a crû de 7,9% par rapport à 2021, sachant que 92,1% des utilisateurs dans le monde accèdent à internet via leur mobile. En moyenne, sur les cinq dernières années, la croissance annuelle est de 10% sur le fixe et de 20% pour le mobile. Le plus probable est que le trafic internet arrivera bientôt à un plateau.
Troisième argument : l’augmentation du trafic a obligé les opérateurs à investir dans l’infrastructure
Si les opérateurs ont investi dans la fibre et surtout la 5G, ils ne l’ont pas fait parce que le trafic augmentait, mais pour accroître leurs revenus et leurs abonnés. Tous cherchaient à prendre des abonnés à leurs concurrents en leur promettant une meilleure couverture réseau et un débit plus important… pour qu’ils aient un meilleur accès aux contenus.
Vouloir s’attaquer aujourd’hui aux fournisseurs de ces contenus est pour le moins paradoxal.
Quatrième argument : une contribution des plateformes permettra de continuer à investir
L’investissement dans les infrastructures télécoms n’a pas vraiment besoin de davantage d’argent. En France, le rapport de France Stratégie sur le déploiement du très haut débit rappelle que les pouvoirs publics y ont consacré 13,3 milliards d’euros. Fin 2002, la couverture très haut débit concernait « 99% des locaux du territoire, avec un mix technologique allant des solutions filaires (fibre, ADSL, câble coaxial) à la couverture satellite, en passant par les technologies radio ». Bref, il reste encore des zones à couvrir, mais l’essentiel du réseau est déployé.
Il ne faut pas oublier non plus que les Gafam investissent massivement dans les infrastructures. Selon Alcatel Submarine Networks (ASN), premier fabricant européen de câbles sous-marins de fibre optique, 70% des projets mondiaux actuels, notamment transpacifiques et transatlantiques, sont supportés par les Gafam. Jean-Luc Vuillemin d’Orange l’affirmait même récemment au Monde : « Sur le transatlantique, il est impossible aujourd’hui de faire un câble sans un Gafam ».
Derrière cet argument se cache la dégradation de la rentabilité des opérateurs télécoms. En effet, le retour sur investissement des infrastructures se mesure sur le long terme tandis que celle des services se fait à court terme. Pour le dire autrement, en déployant des infrastructures, les opérateurs ont dégradé leur rentabilité de court terme qui était jusque là confortable. Ils souhaitent, tout simplement, augmenter leurs marges en taxant les plateformes.
Une mauvaise nouvelle pour les consommateurs européens
Matt Brittin, président de Google pour la région EMEA (Europe Middle East & Africa), a été clair : si la taxe était mise en place, il n’y aurait d’autre choix que de faire payer les clients « soit avec le prix, soit avec des services moins bons ».
La Computer & Communications Industry Association (CCIA) estime, de son côté, que « les Européens paient déjà les opérateurs télécoms pour l’accès à internet » et ne devraient pas avoir à payer « une seconde fois via des services de streaming et de cloud plus coûteux ».
On peut se demander si les opérateurs télécoms ne cherchent tout simplement pas à réduire la concurrence. Il ne faut, en effet, pas oublier qu’ils sont eux-mêmes producteurs de contenus, comme l’a été Orange avec OCS avant de le céder à Canal+.
Quoi qu’il en soit, le consommateur risque bien, d’une façon ou d’une autre, de faire les frais de cette nouvelle taxe. C’est ce qui s’est passé en Corée du Sud qui a mis en place une mesure similaire. Ses effets ont été les suivants :
– une fuite des investissements dans l’infrastructure numérique en dehors du pays ;
– une dégradation de la qualité de service des accès à très haut-débit ;
– pas d’amélioration de la rentabilité des opérateurs (l’investissement étant de toute façon imposé par le gouvernement).
Pour éviter l’instauration de cette nouvelle taxe, nous encourageons nos lecteurs à apporter leur contribution à la consultation en ligne jusqu’au 19 mai 2023. Et nous encourageons Thierry Breton à visiter la Corée du Sud pour qu’il se rende compte que son projet pénalisera les consommateurs, et aura des effets néfastes sur l’innovation et le rayonnement des entreprises européennes.
Article écrit par Philbert Carbon. Publié avec l’aimable autorisation de l’IREF.
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