Lavées, graissées et fumées, des peaux de caribou ou de bison sont éparpillées dans un camp de tannage. Au coeur de la ville de Yellowknife, dans le nord-ouest du Canada, de jeunes autochtones perpétuent les pratiques ancestrales des Amérindiens pour préserver leur identité.
Trois mots barrent le t-shirt de Mandee McDonald: « Forte, résiliente, autochtone ». Comme tous les membres de l’organisation Dene Nahjo (la jeunesse Déné), la jeune femme affiche sa fière appartenance à des peuples pour lesquels la transmission des coutumes et des traditions est gage de survie.
« Tout naturellement, quand il y a quelque part un animal, il faut apprendre comment tanner sa peau pour fabriquer des vêtements ou un abri », dit-elle, mèches gris métal et piercing à la lèvre inférieure.
« Nos ancêtres, certaines de nos grand-mères et arrière-grand-mères, connaissaient très bien cette pratique », relève Mandee qui, avec les autres membres de Dene Nahjo, compte populariser le tannage des peaux.
La colonisation a eu pour conséquence d’ériger « une barrière dans la transmission des connaissances », déplore-t-elle.
À Yellowknife, 20.000 habitants et capitale des Territoires-du-Nord-Ouest, le camp de tentes et de tipis a été installé en cette fin d’été à quelques encablures de Frame Lake, un lac contaminé à l’arsenic par d’anciennes mines d’or exploitées par de grandes entreprises.
Non loin du tipi où sèche une peau près d’un feu de bois, des femmes travaillent à retirer les poils d’une peau d’orignal, un élan d’Amérique du nord.
Leurs gestes sont sûrs, le rythme est cadencé. Les poils pourront orner des paniers locaux faits en écorce de bouleau. Dans la culture autochtone, toutes les parties de l’animal doivent être utilisées.
Dene Nahjo conçoit l’atelier de tannage comme un acte politique contre la longue pratique d’assimilation des gouvernements canadiens successifs.
Tanner des peaux, une à une, c’est réaffirmer l’identité des autochtones et transmettre aux jeunes de ces peuples un savoir-faire, loin des pensionnats où des cohortes d’enfants et adolescents furent envoyés de force, à des centaines de kilomètres de chez eux, pour y être scolarisés – et souvent maltraités.
L’organisation Dene Nahjo veut « promouvoir la justice sociale et environnementale des peuples du Nord », par le biais « d’une nouvelle génération de responsables ».
L’artiste Tania Larsson en fait partie. Elle est l’une des deux directrices du projet de tannage. D’origine à la fois suédoise et Gwich’in (peuple à cheval entre le Yukon canadien et l’Alaska), elle a grandi au pied des Alpes françaises.
« J’ai toujours trouvé difficile de poser des questions aux aînés », confie-t-elle. « Car on ne va pas voir quelqu’un en lui disant ‘hey, apprends-moi ma culture’! »
« Tanner des peaux, ce n’est pas seulement du tannage : c’est vraiment la transmission de connaissances (…), c’est aller dans la nature, récolter du bois, de la mousse. Tout ce dont on a besoin doit être récolté dans la nature », explique la jeune femme.
Travailler les peaux permet aussi de « construire des relations avec nos aînés et nos pairs ».
Un geste parmi d’autres pour tenter de refermer la profonde cicatrice portée par 1,4 million d’Amérindiens, Inuits et Métis, qui représentent 4,3% de la population canadienne.
Pour faire connaître la culture autochtone, les responsables de Dene Nahjo accueillent des groupes scolaires et des touristes, asiatiques notamment, venus avant tout admirer les aurores boréales mais ouverts à d’autres expériences.
À Yellowknife, faute d’un centre dédié, il n’y a « aucun endroit pour pouvoir pratiquer notre culture”, déplore Nina Larsson, la soeur de Tania, membre comme elle de l’organisation Dene Nahjo.
Des habitants des environs participent aussi aux ateliers de tannage. Comme Jennifer Skelton, qui vit à Yellowknife. Son mari lui a fait une belle surprise en rapportant un orignal de la chasse et elle se dit ravie « d’apprendre comment travailler les peaux ».
Nina Larsson explique aux visiteurs le fonctionnement horizontal de Dene Nahjo, une organisation née en 2013 et dont les jeunes fondateurs sont appuyés par des responsables reconnus de la communauté autochtone : « Il n’y a pas de hiérarchie, on est tous égaux », dit-elle.
Certes, « les décisions prennent un peu plus de temps (…), mais au moins on grandit tous ensemble, très soudés depuis 2013 », souligne Nina, qui a également créé une société spécialisée dans les énergies renouvelables.
L’objectif de Dene Nahjo est aussi de prendre position sur les questions de politiques publiques dans ces régions isolées du nord-ouest canadien, à quelque 5.000 km de la capitale fédérale Ottawa.
Sous le tipi, un homme accroche des poissons pour les cuire au feu de bois, avant de nourrir les visiteurs. Deux femmes s’acharnent sur une peau de caribou mal dégrossie, qui servira à vêtir les plus démunis. Les uns et les autres honorent la loi des anciens : « Aidez les autres » et « Partagez ce que vous avez ».
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