Ce que la fermeture de C8 dit de la santé de notre démocratie

Par Germain de Lupiac
18 février 2025 06:39 Mis à jour: 18 février 2025 14:52

En juillet 2024, l’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel français, signait la disparition de C8 sur la TNT, en fondant sa décision « au regard de l’impératif prioritaire de pluralisme ».

La chaîne de télévision C8, appartenant au groupe Canal+, a pourtant réalisé les meilleurs scores d’audience de la TNT avec une part d’audience de 3,1 %, notamment grâce à son émission de divertissement « Touche pas à mon poste » (TPMP), animée par Cyril Hanouna. Une pétition de soutien à C8, lancée fin 2024, a recueilli plus d’1 million de signatures, montrant l’engouement des Français pour conserver leur chaîne.

Invitant des personnalités de tous bords, l’émission souvent grivoise balaie l’actualité en faisant réagir le public et ses chroniqueurs. Elle a fait intervenir, par exemple, des représentants des gilets jaunes, des médecins et avocats parlant des effets secondaires du vaccin contre le Covid-19, ou encore des responsables du Rassemblement national, que les autres médias boudent ou critiquent.

La plus haute juridiction administrative, le Conseil d’État, doit rendre sa décision dans la semaine du 17 février, alors que C8 et NRJ12 doivent cesser d’émettre le 28, date d’échéance de leur autorisation. Mais le rapporteur public, qui dit le droit et dont l’avis est généralement suivi, a déjà demandé le rejet du recours des deux chaînes, lors d’une séance le 14 février.

L’avenir de TPMP et de C8

Avec l’arrêt de C8, Cyril Hanouna pourrait rejoindre la saison prochaine la chaîne W9 et la station Fun Radio, appartenant toutes deux au groupe M6. De son côté, le président de Canal+, Maxime Saada, a déclaré la semaine dernière que son groupe « continu[ait] à discuter » avec M. Hanouna.

La direction de Canal+ a déjà annoncé quelque 250 suppressions de postes, dont 150 en lien avec la fin de C8, selon l’intersyndicale du groupe.

Dans la sélection définitive de l’Arcom, deux nouveaux venus ont été préférés à C8 et NRJ12 : la chaîne T18 de CMI France, du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, et OFTV (groupe Ouest-France).

Au bout de cette séquence TNT « particulièrement lourde », Roch-Olivier Maistre a cédé début février son poste à Martin Ajdari, ancien directeur général adjoint de l’Opéra de Paris.

Les réactions sur la suppression de C8 

Pour Laurence Trochu, eurodéputée Les Patriotes pour l’Europe, « la suspension de C8 est une atteinte grave à la liberté d’expression et à l’état de droit. Cette censure signe la soumission à la gauche qui ne tolère que ceux qui pensent comme elle ».

« Jamais je ne me réjouirai de la fermeture d’une chaîne. Une chaîne, ce n’est pas un seul animateur, mais des centaines de personnes ! J’ai une pensée sincère pour tous les salariés de C8 et du groupe Canal+, auquel j’ai appartenu. Ça me fait mal au cœur », a déclaré Yann Barthès dans La Tribune dimanche, chaîne concurrente de TPMP sur le même créneau horaire.

Le rapporteur (LFI) de la Commission d’enquête Aurélien Saintoul, qui avait auditionné Cyril Hanouna au printemps dernier, a écrit dans un communiqué « constater avec satisfaction que la chaîne C8 a été écartée ». Même écho pour le nouveau directeur général de Reporters sans frontières (RSF), Thibaut Bruttin : « Avec cette décision, l’Arcom tire les premières conséquences logiques des dérives des antennes contrôlées par Vincent Bolloré » – RSF étant à l’origine d’une saisine de l’Arcom concernant Cnews auprès du Conseil d’État en février 2024.

L’ancien député et secrétaire d’État au Commerce extérieur, Pierre Lellouche, s’indignait le 16 février sur Europe 1 que « dans notre pays, on ferme une chaîne comme C8, on n’a même plus le droit de débattre », ajoutant que le vice-président américain J.D. Vance venait de conseiller aux dirigeants européens qu’il fallait écouter leur peuple.

Un avertissement américain sur la liberté d’expression 

Le 14 février, le vice-président américain, J.D. Vance, a fustigé ses alliés européens pour leur attitude à l’égard de la liberté d’expression. Le vice-président a déclaré que, même si l’administration Trump était préoccupée par la sécurité européenne, la menace qui pèse le plus sur l’Europe « n’est pas la Russie, ni la Chine, ni aucun autre acteur extérieur ».

« Ce qui m’inquiète, c’est la menace venant de l’intérieur, le retrait de l’Europe de certaines de ses valeurs les plus fondamentales, valeurs partagées avec les États-Unis d’Amérique », a déclaré M. Vance. « En Grande-Bretagne et dans toute l’Europe, la liberté d’expression, je le crains, est en recul », a-t-il ajouté.

Lors d’une interview au Shawn Ryan Show, en septembre 2024, le vice-président américain avançait déjà ses positions :  « Si vous touchez à la liberté d’expression, vous perdez l’appui des États-Unis. Si l’UE s’amuse à censurer X, si Bruxelles s’attaque à la liberté d’expression, l’OTAN devra dire adieu aux financements américains. Les États-Unis n’ont pas signé pour défendre une alliance qui méprise leurs valeurs fondamentales. »

L’état de la liberté d’expression dans les coulisses de la bureaucratie européenne 

Pourquoi J.D. Vance est-il si sévère avec la liberté d’expression sur le continent européen ? Peut être parce qu’en mai 2024, l’European Media Freedom Act (EMFA) ou « législation sur la liberté des médias » est entré en vigueur dans le but de réguler la liberté de la presse sur la base de principes et de pratiques applicables aux 27 pays de l’Union.

Dans une tribune parue en juin 2023, l’Alliance de la presse d’information générale, la FNPS et le SEPM estimaient que l’EMFA pourrait marquer une « véritable régression en matière de liberté de la presse ». D’après le collectif regroupant plus de 550 titres de groupes et presse quotidienne, hebdomadaire ou magazines français, « la tentation d’instaurer une régulation administrative du pluralisme sur le modèle de l’audiovisuel relève d’une régression par rapport à la liberté dont la presse écrite jouit aujourd’hui en France ».

Cette première législation européenne sur les médias s’appuie sur l’utilisation de la Journalism Trust Initiative (JTI), développée par RSF, ouvrant la porte à un étiquetage généralisé de la presse au niveau européen et s’appuyant sur la puissance algorithmique des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). La JTI conditionne la visibilité d’un média dans les moteurs de recherche et sur les médias sociaux, auprès des annonceurs, mais aussi son éligibilité à recevoir des subventions ou des dons, peut-on lire sur le site de RSF. La Journalism Trust Initiative a également été proposée pour assurer un étiquetage global des médias français au terme des États généraux de l’information (EGI), une mesure appuyée par la ministre de la Culture Rachida Dati.

La labellisation de la JTI a été intégrée en 2022 dans le Code de bonnes pratiques sur la désinformation de la Commission européenne. Elle y est définie comme « référence pour valoriser les sources d’information fiables et lutter contre la désinformation ». Le texte en question est l’un des codes de conduite préconisé par le Digital Services Act (DSA), le nouveau règlement encadrant les grandes plateformes numériques en Europe, appliqué depuis l’été 2023.

Une enquête publiée par Epoch Times expliquait que l’application à grande échelle d’une labellisation des médias aboutissait à un maillage idéologique biaisé des médias, penchant à gauche de l’échiquier politique.

Un principe fondamental en péril

Considérée comme un des principes fondamentaux des régimes démocratiques, la liberté de la presse est menacée par ces outils et organismes de régulation, alors qu’elle est inscrite dans les textes de la loi française, dont l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi sur la liberté de la presse de 1881 et la loi relative à la liberté de communication de 1986.

« À chaque fois qu’une démocratie est instaurée, cela s’est accompagné d’un développement des médias. À l’inverse, les sociétés non démocratiques se caractérisent presque systématiquement par un contrôle, une restriction des médias », expliquait l’historienne Isabelle Veyrat-Masson, dans La Croix.

La censure d’un média comme C8 pourrait devenir demain la règle en France. Les médias seront sous le régime d’une censure les contraignant à une autocensure, et devront passer sous les fourches caudines d’organismes de régulation comme l’Arcom et sous l’étiquetage idéologique de l’EMFA, favorables aux politiques du gouvernement en place et laissant peu de place au débat démocratique.

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