Bruxelles a proposé mercredi d’accorder une dérogation partielle aux obligations de jachères dans l’UE et d’intervenir pour limiter toute hausse incontrôlable des importations agricoles ukrainiennes, offrant des gages aux agriculteurs qui manifestent à travers l’Europe. Mais Copa-Cogeca, organisation des syndicats agricoles majoritaires dans l’UE, a jugé ces mesures « insuffisantes ».
Alors que la grogne du secteur gagne plusieurs pays, de la Pologne à la France en passant par l’Allemagne et la Belgique, la Commission européenne lâche du lest sur deux revendications majeures cristallisant la colère contre l’UE.
« Les agriculteurs mettent notre nourriture sur la table. Dans la difficulté, nous trouvons des solutions communes », a assuré la présidente de l’exécutif européen, Ursula von der Leyen, qui s’entretiendra jeudi avec le Président français Emmanuel Macron.
« Mesures de sauvegarde »
Bruxelles propose certes de renouveler pour une année supplémentaire, entre juin 2024 et juin 2025, l’exemption de droits de douane accordée à l’Ukraine depuis le printemps 2022 pour soutenir le pays en guerre. Mais en l’assortissant de « mesures de sauvegarde » renforcées limitant l’impact des importations de produits agricoles ukrainiens, lesquelles ont bondi de 11% en valeur sur un an en janvier-septembre 2023.
Les agriculteurs accusent l’afflux de céréales, oeufs et poulets d’Ukraine de plomber les prix locaux, en particulier dans les pays riverains, et d’entretenir une concurrence « déloyale » faute de satisfaire certaines normes (volailles élevées en masse…), dénonçant « un fardeau insoutenable ».
« Nous sommes sensibles aux inquiétudes (…) Même si notre surveillance ne montre aucun impact négatif sur l’ensemble du marché européen, nous sommes conscients d’effets plus localisés », a reconnu le vice-président de la Commission, Margaritis Schinas.
Selon le texte soumis aux États et eurodéputés, « des mesures correctives rapides » pourront être adoptées en cas de « perturbations importantes » sur le marché, même si elles ne concernent qu’un ou plusieurs Etats.
Pour les produits « sensibles » – volaille, œufs et sucre – un « frein d’urgence » est prévu pour « stabiliser » les importations aux volumes moyens importés en 2022 et 2023, niveaux au-delà desquels des droits de douane seraient réimposés.
Les organisations agricoles ont aussitôt jugé « inacceptable » l’exclusion des autres produits d’un tel mécanisme, jugeant « insuffisants » les garde-fous prévus.
Un arsenal de restrictions qui resteront supervisées par Bruxelles, à rebours de l’embargo imposé unilatéralement courant 2023 par des États voisins de l’Ukraine au grand dam de la Commission, gendarme de la politique commerciale. « Ces mesures vont permettre de lever ces restrictions unilatérales illégales en Pologne, Slovaquie et Hongrie », a réagi le Premier ministre ukrainien Denis Chmygal, saluant une prolongation de l’exemption douanière à même de « renforcer » la précaire économie du pays.
Néanmoins, ces mesures ne règlent pas les différences de normes intra-européennes, la concurrence faussée qui s’en suit et la moindre qualité sanitaire des produits importés. Christiane Lambert, présidente du Copa-Cogeca, organisation des syndicats agricoles majoritaires européens, a souligné sur BFMTV qu’on est dans l’Europe et que c’est un marché unique. Il faut donc une « harmonisation ». « C’est comme si l’on faisait la coupe d’Europe de foot avec des règles différentes que pour la France. »
Les mesures prises pour limiter toute hausse incontrôlable des importations agricoles ukrainiennes, qui ont bondi après les exemptions de droits de douane accordées depuis le printemps 2022 pour soutenir le pays en guerre, sont « insuffisantes » pour les produits concernés (volaille, œufs et sucre), a réagi Copa-Cogeca suite à la publication des mesures proposées par l’UE. Il est par ailleurs « inacceptable » que les céréales et oléagineux soient exclus de ces mesures, ajoute l’organisation.
Jachères : « dérogation partielle » en 2024
Autre dossier mis en lumière par la grogne agricole : les obligations de jachères imposées par la nouvelle Politique agricole commune (PAC) entrée en vigueur début 2023.
Pour toucher les aides européennes, les agriculteurs doivent respecter des critères agro-environnementaux, et notamment laisser au moins 4% des terres arables en jachères ou surfaces non-productives (haies, bosquets, mares…). Cette obligation de jachères avait été suspendue entièrement l’an dernier sans conditions, pour compenser les perturbations de l’offre céréalière ukrainienne et russe suite au conflit. Elle ferait pour 2024 l’objet d’une « dérogation partielle », selon la proposition soumise aux Vingt-Sept pour adoption rapide.
Les agriculteurs pourront bien bénéficier des aides de la PAC même s’ils n’ont pas 4% de jachères, à condition toutefois qu’ils atteignent 7% de cultures intermédiaires ou fixatrices d’azote (lentilles, pois…) sans usage de produits phytosanitaires.
Bruxelles avait initialement refusé de reconduire la dérogation cette année, malgré l’appel insistant d’une majorité d’États dont la France.
« Avec l’empilement de facteurs – catastrophes météorologiques, tensions géopolitiques, prix élevés de l’énergie – nous sommes obligés d’agir pour desserrer la pression », observe le commissaire en charge du Pacte vert, Maros Sefcovic.
La dérogation partielle sur l’obligation de jachères intervient « tardivement » dans le calendrier agricole et reste « limitée », a réagi Copa-Cogeca. Réclamant des dérogations sur d’autres obligations écologiques (rotation des cultures…), il a appelé les États à « renforcer » la proposition.
La mise en place des jachère découle de la mise en place du plan intitulé « From Farm-to Fork » (en français, « De la ferme à la fourchette »), déclinaison au niveau agricole du « Green Deal » prévoyant la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % à l’horizon 2030. La mise en jachère est dénoncée par les agriculteurs et certains hommes politiques, pour la baisse de production et de revenu qu’elle entraine et donc pour les risques qu’elle fait peser sur la viabilité des exploitations. Christiane Lambert avait évoqué sur BFMTV la pression mise par les verts sur les partis pour tracer la ligne de conduite et prenait l’exemple du résultat de cette politique sur les centrales nucléaires : « On a fermé les centrales pour les ouvrir tout d’un coup. » « Sauf qu’en agriculture quand on a fermé les exploitations, elles ne rouvrent jamais ! »
« C’est bien dommage » que la Commission » « ait attendu la sortie des tracteurs » pour réagir, regrette l’eurodéputée (Renew, libéraux) Irène Tolleret.
Le ministre français de l’Agriculture Marc Fesneau a salué « une solution simple et pragmatique qui conjugue transition et production ».
« Première étape importante (…) Moins de charges administratives, souvent imposées par l’Europe. Et un prix juste pour le dur labeur » des agriculteurs, abonde le Premier ministre belge Alexander De Croo. Son pays connaît d’importantes mobilisations d’agriculteurs qui s’inviteront jeudi à Bruxelles en marge d’un sommet des Vingt-Sept, alors que d’autres sujets de mécontentement couvent : accords commerciaux comme le Mercosur, normes écologiques disparates selon les États membres…
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