ANALYSES

Compétitivité : la ruée des industries européennes vers les États-Unis

janvier 23, 2025 8:26, Last Updated: janvier 23, 2025 16:26
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Les investissements des entreprises européennes aux États-Unis sont passés de moins de 30 milliards de dollars en 2022 à plus de 61 milliards en 2024, alors que les investissements intra-européens représentaient 37 milliards de dollars, apprend-on dans le 9e baromètre mondial des investissements industriels réalisé par Trendeo, McKinsey et l’Institut de la réindustrialisation. Les investissements européens aux États-Unis concernent tous les secteurs de l’industrie et des coopérations avec tous les États américains.

Malgré une hausse des prix sous l’administration Biden, le coût de l’énergie américaine est deux fois moins cher et les impôts sur les entreprises très inférieurs à l’Europe, ce qui contribue à une attractivité économique à laquelle les entreprises ne peuvent résister.

Alors que les patrons français guettent le retour d’une stabilité politique et redoutent dans le nouveau budget des hausses d’impôts et de charges – si celui ci n’est pas une nouvelle fois censuré, d’autres sont partis sans attendre investir à l’étranger. Selon le nouveau Baromètre des entreprises françaises, réalisé par Eurogroup Consulting, ils sont 34 % à investir début 2025 hors de France et leur pays de prédilection est les États-Unis.

L’Union européenne veut contrôler les investissements à l’étranger

La Commission européenne a recommandé la semaine dernière aux 27 États membres de l’Union européenne (UE) d’examiner les risques des investissements à l’étranger de leurs entreprises, pointant des fuites de technologies dans trois secteurs clé : les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle et le quantique.

Le commissaire européen au Commerce, Maros Sefcovic, évoque le contexte « géopolitique » et les « risques potentiels » que ces investissement peuvent entraîner, sans préciser les pays à l’origine de ces risques industriels que sont la Chine, la Russie ou les États-Unis.

« L’objectif est d’empêcher les investissements sortants de l’UE d’avoir une incidence négative sur la sécurité économique de l’Union en veillant à ce que des technologies et un savoir-faire essentiels ne tombent pas entre de mauvaises mains », a expliqué la Commission, alors que le nouveau président américain promet des droits de douane sur les pays européens et veut réindustrialiser les États-Unis.

Les États membres européens sont invités par la Commission à fournir un rapport d’avancement pour le 15 juillet, puis un rapport complet sur les risques identifiés pour le 31 mars 2026. Cette annonce intervient alors que l’Europe subit un décrochage économique par rapport aux États-Unis et accroît sa dépendance envers la Chine, avait alerté l’ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, dans un rapport publié en 2024.

L’industrie européenne pénalisée par les prix de l’énergie

Un gaz plus cher qu’aux États-Unis, une électricité plus onéreuse qu’en Chine : l’industrie européenne, déjà en perte de compétitivité, est pénalisée par des prix de l’énergie beaucoup plus élevés qu’ailleurs, avait alerté le patron de l’Agence internationale de l’Énergie, en 2024.

« Le prix du gaz naturel en Europe est cinq fois plus élevé que celui des États-Unis et le prix de l’électricité en Europe est trois fois plus élevé qu’en Chine », a déclaré le directeur exécutif de l’AIE, Fatih Birol, au colloque de l’Union française de l’électricité (UFE).

« Comment les fabricants européens, en particulier ceux pour lesquels le coût de l’énergie représente une part importante de leur coût global, peuvent rivaliser avec les autres pays? », poursuit-il.

« L’industrie européenne, ou plus précisément l’industrie manufacturière, entre dans une période décisive qui pourrait avoir des conséquences importantes pour l’économie européenne, le poids de l’Europe dans les affaires étrangères et la sécurité de l’Europe », a souligné le Dr Birol.

Un constat partagé par Laurent Benarousse, DG France de Roland Berger, cabinet de conseil en stratégie internationale, interrogé par Le Figaro : « Aux États-Unis, une entreprise paye 11 % d’impôts, c’est 21 % en France. Et je vous dis ça avant les réductions d’impôts voulues par Trump[…] Le coût de l’électricité industrielle y est deux fois moins élevé qu’en France. »

L’UE doit agir vite pour rattraper les États-Unis

L’Union européenne doit agir vite pour combler son retard de compétitivité face aux États-Unis en créant un véritable marché intérieur pour les services financiers, avertissait l’ancien Premier ministre italien Enrico Letta, lors d’une rencontre l’an passé avec les dirigeants européens.

L’UE redoute en particulier de se laisser distancer dans les technologies d’avenir : panneaux solaires, batteries, puces électroniques, intelligence artificielle, etc. Rien que pour effectuer sa mue écologique et numérique, l’Europe devra investir ces prochaines années plus de 620 milliards d’euros supplémentaires par an, selon la Commission européenne, et l’argent public manque, en particulier dans les États les plus endettés du sud de l’Europe – France incluse.

Outre les marchés de capitaux, son rapport traite aussi longuement de l’approfondissement du marché unique dans les télécoms, l’énergie et la défense. Mais la réponse européenne se fait jusqu’ici dans la désunion. Les plus grandes économies comme l’Allemagne et la France ont considérablement augmenté les aides aux industries au début de la guerre en Ukraine, au risque de fragmenter le marché intérieur européen.

Par exemple, dans le domaine de la défense où « nous payons le prix de la fragmentation […] environ 80 % de ce que nous avons dépensé pour soutenir militairement l’Ukraine est allé vers des fournisseurs non européens. C’est de la folie », a-t-il noté.

Autre exemple, l’industrie automobile dont la compétitivité est menacée par les nouveaux appétits des États-Unis et ceux plus souterrains de la Chine, ainsi que le Pacte vert européen qui freine la production et l’innovation.

Les constructeurs automobile européens appellent à éviter une guerre commerciale avec les États-Unis

Les constructeurs automobiles européens ont appelé le 16 janvier l’Union européenne à éviter un « conflit commercial » avec les États-Unis, quelques jours avant l’investiture du nouveau président Donald Trump.

Donald Trump a confirmé vouloir augmenter drastiquement les droits de douane sur les produits européens, pointant notamment les voitures allemandes. « Je veux que les entreprises automobiles allemandes deviennent américaines », avait-il même lancé lors de sa campagne.

Dans un courrier adressé à la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, l’Association européenne des constructeurs automobiles exhorte l’UE à « tenter d’éviter un conflit commercial potentiel ». Le lobby automobile a par ailleurs de nouveau réclamé à l’Union européenne de la « flexibilité » dans la politique menée dans le cadre du Pacte vert, pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

Les constructeurs européens s’opposent ainsi aux éventuelles amendes que pourrait leur infliger l’UE en cas de non-respect des objectifs de réduction des émissions en 2025. En difficulté, l’industrie automobile européenne peine à écouler des voitures électriques et demande des mesures d’accompagnement plutôt que des sanctions financières.

L’assouplissement du Pacte vert, enjeu central de la compétitivité européenne

Le « Green Deal » ou « Pacte vert », initié par Ursula von der Leyen lors de son mandat précédent, est à l’origine de réformes drastiques dans les domaines du transport, de l’énergie, de l’industrie et de l’agriculture. Cependant, l’ambitieux pacte plombe la compétitivité européenne et l’économie européenne connaît un ralentissement économique lui faisant échapper de peu à la récession, avec une croissance de 0,5 % sur l’ensemble de 2023.

« L’économie de la zone euro stagne globalement depuis la fin de l’année 2022 et a perdu beaucoup de terrain par rapport aux États-Unis ces dernières années », estime Bert Colijn, économiste pour la banque ING. L’Europe est entrée, selon lui, « dans une phase de faiblesse prolongée ».

Pour Pieter Omtzigt, chef de file du NSC (Nouveau Contrat social, conservateur néerlandais), la dégradation de la compétitivité européenne est la conséquence d’une « pression réglementaire que l’UE a exercée sur l’économie européenne », avec en ligne de mire le Green Deal qui a pesé sur la compétitivité.

Mais sur le sujet, l’UE est divisée.

Les socialistes font du climat un enjeu crucial et veulent renforcer le Green Deal et son tentaculaire paquet de législations environnementales, selon Pedro Marques, vice-président de S&D, l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen. Une position majoritairement suivie par le groupe Renew Europe, groupe centriste, progressiste et libéral européen, dont font partie les eurodéputés Renaissance.

À la tête du nouveau parlement européen, le PPE (Parti populaire européen) est à la recherche des nouveaux équilibres avec une droite européenne qui s’est renforcée, et cherche à édulcorer, voire rejeter, plusieurs textes du Pacte vert, notamment liés à l’agriculture et l’industrie, dénonçant le « fardeau » des règles pesant sur les entreprises.

Le renforcement des conservateurs et de la droite nationaliste dans le nouvel hémicycle remet ainsi en question le Pacte vert, en voulant un vent de déréglementations pour relancer la compétitivité européenne.

Mais la présidente de la Commission européenne veut flatter la chèvre et le chou, en voulant maintenir la « réglementation verte » dans son ensemble : « Notre programme contient un engagement très clair […] sur l’objectif de neutralité climatique. La question est comment y parvenir : de manière pragmatique, ouverte aux technologies, avec des investissements et des innovations », déclarait Ursula von der Leyen avant son élection.

En attendant, les États-Unis innovent et investissent et l’Europe sur-réglemente.

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