Lorsque mon fils de quatre ans semble épuisé et que ses yeux brillent, je pose instinctivement ma main sur son front. Ce simple geste me permet de déterminer en quelques secondes non seulement s’il a de la fièvre, mais aussi, avec une précision surprenante, si elle est forte ou peu importante. Je trouve fascinant que la simple sensation thermique sur main me fournisse des informations aussi précises sur son état de santé.
Nous utilisons constamment les informations thermiques dans notre vie quotidienne. La chaleur brûlante quand on ouvre le four chaud, le plaisir de tenir les mains de nos proches, la fraîcheur d’une glace et le vent glacial un matin d’hiver sont autant de sensations qui nous permettent d’expérimenter pleinement l’environnement qui nous entoure. Cette sensibilité fine à la température est essentielle aux êtres vivants : elle nous aide à explorer l’environnement qui nous entoure, à maintenir l’homéostasie (le processus par lequel le corps se régule et reste dans un état interne stable) et à assurer notre survie, car nos sensations thermiques peuvent déclencher ou en ajuster des comportements spécifiques.
Nous avons récemment montré qu’il existe bien une zone du cerveau qui intègre les informations que notre corps envoie sur la température, le « cortex thermique » – une étude publiée dans Nature. Contrairement à celles dédiées aux autres sens, cette région était restée difficile à identifier jusqu’à présent.
De Descartes au Nobel : ce que nous savions jusqu’à présent sur la perception de la température
Notre perception du monde se forme en intégrant des stimuli provenant de nos organes sensoriels. Depuis longtemps, une énigme pour les neuroscientifiques est de comprendre comment ces stimuli sont intégrés par le cerveau, et notamment la perception de la température.
Au XVIIe siècle, le philosophe René Descartes a proposé le concept d’une connexion anatomique spécifique entre la peau et le cerveau, suggérant que lorsqu’un pied s’approche d’une flamme, un signal spécifique est envoyé au cerveau. Deux siècles plus tard, en 1882, Magnus Blix a démontré que notre peau contient des «points» spécialisés, qui sont sensibles à la température et peuvent être activés sélectivement par le froid ou le chaud. Ces points sont anatomiquement et fonctionnellement distincts de ceux qui sont impliqués dans la perception du toucher.
Des travaux scientifiques récents réalisés au cours des 30 dernières années ont révélé les composants moléculaires de ces « points » sensibles à la température, où des protéines hautement spécialisées réagissent à des changements de la température environnementale, même subtils. Les découvertes dans ce domaine ont notamment permis à David Julius de recevoir le prix Nobel de physiologie ou de médecine en 2021.
Même si nous comprenons à présent comment notre peau détecte les changements de température, nous ne savons toujours pas exactement comment notre cerveau intègre ces informations pour créer notre expérience de la température (ce que l’on appelle « percept »). Dans le cerveau, la formation d’un percept sensoriel se produit généralement dans sa couche externe repliée, le cortex ; mais tandis que nous savons bien quelles zones du cortex encodent la vision, le toucher, le goût et l’audition, les régions corticales dédiées à la perception de la température restaient jusqu’à présent largement inconnues. L’existence même d’un « cortex thermique » capable d’encoder à la fois le chaud et le froid a fait l’objet d’un débat.
Comment avons-nous découvert qu’une région du cerveau des mammifères est spécialisée dans la détection de la température ?
Dans notre quête pour comprendre comment le cerveau des mammifères traite les températures non douloureuses, nous nous sommes tournés vers la patte avant de la souris comme système modèle. Ce choix s’explique par le fait que les souris ont une sensibilité à la température similaire à celle de l’homme, car elles et nous sommes capable de détecter des changements aussi minimes que 0,5°C. Les souris présentent en outre des avantages uniques pour la recherche en neurosciences, car elles peuvent être génétiquement modifiées pour exprimer des protéines spécifiques qui nous permettent de visualiser et de manipuler les fonctions cérébrales.
Pour visualiser la façon dont la température est traitée dans le cortex, nous avons utilisé des souris qui exprimaient un indicateur spécifique d’activité dans leurs neurones corticaux. Cette protéine-indicateur modifie son niveau de fluorescence en fonction de l’activité neuronale, ce qui nous permet d’observer les réponses liées à la température. Par exemple, il émet plus ou moins de lumière lorsque le neurone cortical est activé suite à l’arrivée de signaux sensoriels.
En combinant cet indicateur avec des techniques de microscopie avancée, nous avons pu étudier le traitement sensoriel dans les cerveaux intacts et fonctionnels de souris éveillées, et obtenir des informations précieuses sur les mécanismes neuronaux qui sous-tendent la perception de la température.
Nous nous attendions à observer l’encodage des températures chaudes dans une région particulière du cortex, le « cortex somatosensoriel primaire », car des recherches antérieures ont montré que celui-ci réagit à un bref refroidissement de la peau de la patte avant
Mais en utilisant notre technique d’imagerie à grande échelle, nous avons découvert que le cortex somatosensoriel primaire ne réagissait pas au réchauffement. En cherchant plus loin, nous avons trouvé des neurones réagissant à la fois au refroidissement et au réchauffement dans une région située sur le côté du cerveau.
Cette région, appelée « cortex insulaire postérieur », semble être l’insaisissable « cortex thermique » que les scientifiques recherchaient.
Les sensations de froid et de chaud ne sont pas codées de la même manière
Nous avons ensuite utilisé un microscope plus sophistiqué et à plus haute résolution (appelé microscope à deux photons) pour examiner la réponse thermique des neurones individuels dans cette région du cerveau. Nos résultats révèlent que certains neurones réagissent au refroidissement, d’autres au réchauffement, et enfin qu’il y a aussi de nombreux neurones qui réagissent à la fois au refroidissement et au réchauffement.
Nous avons remarqué que les neurones chauds et froids s’activent de façons très différentes : les froids s’activent plus rapidement et s’éteignent plus tôt que les chauds. Ces résultats suggèrent qu’il pourrait y avoir des voies distinctes pour la perception des températures froides et chaudes.
Nous avons également observé que les neurones chauds réagissaient à la température absolue, tandis que les neurones froids réagissaient aux changements relatifs de température. Cette observation pourrait suggérer que notre système thermique est adapté pour détecter et prédire quand les températures deviennent dangereusement chaudes pour le corps, ce qui permet d’éviter les brûlures.
Le cortex thermique médiateur de la perception de la température
Pour prouver de manière concluante l’implication du cortex insulaire postérieur dans la perception de la température, nous avons eu recours à une approche appelée « optogénétique ». Nous avons utilisé des souris qui expriment une protéine sensible à la lumière dans le cortex, c’est-à-dire qu’en illuminant des parties spécifiques du cerveau, on peut inhiber leur activité.
Ces souris ont été entraînées à lécher pour obtenir une récompense en eau chaque fois qu’elles ressentaient des températures froides ou chaudes. Nous avons ensuite utilisé de brèves impulsions lumineuses pour activer la protéine photosensible et désactiver temporairement le cortex insulaire postérieur tout en délivrant un stimulus thermique. Dans ce cas, la souris ne léchait plus pour recevoir une récompense en eau après le stimulus thermique. Cependant, lorsque nous avons cessé d’inhiber cette partie du cortex, la souris a de nouveau ressenti la stimulation thermique (et recommencé à lécher).
En conclusion, nous avons découvert une région corticale essentielle à la perception non douloureuse de la température, ce qui confirme l’hypothèse selon laquelle le cortex insulaire postérieur sert de « cortex thermique ». De plus, ces résultats permettent d’explorer les principes qui sous-tendent l’encodage de la température douloureuse et non douloureuse, ainsi que leurs liens avec le comportement et les interactions sociales, où la température peut jouer un rôle essentiel.
Article écrit par Mario Carta, CRCN-CNRS, neuroscientifique, Université de Bordeaux
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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