Le sol constitue un véritable capital naturel. Au-delà de ces propriétés, il se caractérise par son stock de carbone organique (deux fois plus important que l’atmosphère) et sa biodiversité remarquable (25% de la biodiversité totale et 40% de la biodiversité animale).
Il correspond à une ressource non renouvelable puisqu’il faudrait environ mille ans pour créer un centimètre de sol. Ils présentent de multiples fonctions et apportent de nombreux services pour des milliards d’êtres vivants dont l’homme.
Cependant, les sols sont menacés par les activités humaines provoquant la dégradation de 33% des sols à l’échelle mondiale : une perte de fonctions et de services, comme sa capacité à produire des ressources alimentaires, séquestrer le carbone, conserver l’eau et la filtrer, maintenir la biodiversité et la fertilité des sols. Parmi les principales causes, le tassement et l’érosion des sols dont l’atténuation est possible grâce aux découvertes des dernières décennies amenant des solutions basées sur le génie des plantes.
Tassement et érosion, les deux principales dégradations des sols
Le tassement des sols correspond à une perte de porosité et une discontinuité des pores (celle qui permet d’oxygénation d’un sol, l’infiltration, le déplacement et le stockage de l’eau) ; il est causé par le trafic d’engins agricoles ou forestiers. Il représente une ampleur de 36 millions d’hectares en Europe, soit 4% des terres de l’Europe.
L’érosion des sols est accélérée par la mise en culture des sols en pente, dénudés de végétation lors des périodes pluvieuses (perte des sols par ruissellement). Ces dégradations sont accentuées par la baisse des teneurs en matière organique des sols dans les régions françaises de grandes cultures (nord et sud-ouest de la France) est expliquée en partie par une spécialisation et simplification de l’agriculture associée à une diminution de l’élevage, et donc la réduction des apports organiques issus des effluents d’élevage (comme le fumier), et de la fréquence et surface des cultures fourragères riches en légumineuses.
Le tassement du sol correspond à une perte de porosité en profondeur et une discontinuité des pores dans les horizons de surface. Cette dégradation amène d’autres impacts, comme une difficulté de la pénétration des racines dans le sol (notamment lors des périodes plus sèches), et la réduction de la disponibilité en oxygène et de l’accessibilité à l’eau et aux nutriments dans le sol pour et par les racines, et donc des rendements.
L’érosion des sols correspond au détachement des particules de surface des sols par l’eau ou le vent. L’érosion causée par le ruissellement est un risque naturel fréquent dans les régions tropicales, méditerranéennes et tempérées. L’érosion des sols est aussi à l’origine des coulées d’eau boueuse aux conséquences parfois catastrophiques (18.000 coulées boueuses entre ces quinze dernières années) et d’une perte de sols fertiles et de phosphore. 50% des pertes du phosphore dans les sols cultivés seraient expliqués par l’érosion, induisant d’autres conséquences environnementales comme l’eutrophisation des eaux de surface. La baisse des teneurs en matière organique accélère l’intensité de l’érosion et le tassement des sols, puisqu’elle engendre dans de nombreux sols, une dégradation de la structure du sol via une perte de la cohésion et de la résistance du sol.
Heureusement, de nombreuses initiatives et actions en ingénierie écologique et agroécologique sont menées par les agriculteurs (environ 15% des exploitations agricoles françaises en 2021)) et les scientifiques depuis cette dernière décennie pour préserver les sols ou restaurer ces sols dégradés. Les plantes, directement ou indirectement, permettent de les protéger et les restaurer. Nous n’avons pas inventé leur génie, nous faisons rien de mieux que comprendre et utiliser les plantes pour protéger le sol. Le défi actuel est de les accélérer par une recherche inclusive et la formation des acteurs du développement agricole.
Réduire les risques de tassement et d’érosion grâce au génie des plantes
La lutte contre le tassement et l’érosion repose sur la gestion de la structure du sol qui correspond au mode d’arrangement spatial des particules minérales et organiques d’un sol entre elles. Cette structure du sol se forme et est renforcée en partie grâce à l’activité des racines et des organismes du sol. Le développement de recherches récentes sur le rôle des racines dans la cohésion du sol (c.-à-d., sa capacité à s’opposer au glissement des grains qui le composent afin de résister à un effort de cisaillement), et les autres processus physiques associés : sa stabilité structurale (c.-à-d., l’aptitude des agrégats du sol à résister à l’action dégradante des pluies), sa résistance à la déformation et au détachement des particules du sol constitue un socle de connaissance pour conserver et gérer les sols.
L’utilisation des racines de plantes est une solution préventive à la fois pour maintenir la stabilité des pentes et des berges et pour limiter le tassement et notamment la déformation du sol provoquant la perte de continuité des pores, appelée le cisaillement.
C’est une nouveauté pour la gestion des agroécosystèmes, via les racines de plantes annuelles, tels que les couverts d’interculture (culture entre deux cultures principales), et dans un contexte où le sol est soumis à des charges à la roue pouvant aller jusqu’à plus de dix tonnes. Les espèces présentant à la fois des racines avec une longueur et un volume (par volume de sol) élevés, en particulier dans les premiers vingt centimètres du sol seraient de bonnes candidates pour réduire le tassement par cisaillement. Par exemple, la féverole et d’autres espèces présentant des caractères similaires seraient d’excellentes candidates pour réduire le tassement par cisaillement lors du passage d’engins agricoles.
Les plantes présentant une masse et une longueur racinaire par volume de sol élevées augmentent la perméabilité du sol et donc l’infiltration, réduisant ainsi le ruissellement. Tel est le cas du lin cultivé et certaines plantes de la famille du chou (comme la navette fourragère), et de nombreuses légumineuses (par exemple, le mélilot officinal). Ces mêmes racines augmentent la stabilité structurale et réduisent le risque de détachement des particules du sol et ainsi l’érosion des sols.
La couverture végétale de par la structure de sa canopée réduit aussi le détachement du sol causé par les éclaboussures des gouttes de pluie, et la formation du ruissellement. Une végétation présentant une couverture du sol dense, c.-à-d., une surface de feuille élevée, présente un effet positif sur la diminution de l’énergie des gouttes de pluie. La mise en place de cultures intermédiaires l’été ou des couverts permanents diversifiés en espèces et recouvrant la totalité du sol est donc préconisée dans les territoires et parcelles présentant un risque élevé d’érosion. Les densités de semis sont maintenant préconisées pour maximiser la couverture et la productivité de ces couverts.
La partie aérienne des végétations joue aussi un rôle dans la réduction de l’érosion des sols puisqu’elle constitue un frein hydraulique, réduisant l’intensité du ruissellement et favorisant la sédimentation. Les plantes présentant lors de la saison des pluies, une végétation aérienne dense (comme les laiches, les graminées) et suffisamment haute par rapport à la hauteur de la lame d’eau participeront à la réduction du ruissellement,et notamment dans les territoires (bassins) cultivés présentant un faible recouvrement végétal en début de culture.
Récemment, nous avons montré que ce sont les plantes qui présentent à la fois des surfaces et des densités de feuilles partant de la base de la tige pendant les périodes automnale et hivernale qui seront les meilleures candidates pour constituer un frein au ruissellement et réduire l’érosion des sols.
Cette découverte amène à développer des haies herbacées dans les zones de ruissellement concentré pour favoriser la sédimentation, réduire l’érosion des sols et les coulées de boues. Ces haies herbacées (de 10 à 20 de mètres carrés), que nous avons testées, peuvent être composées d’espèces végétales indigènes afin d’offrir d’autres services tels que la conservation de la biodiversité.
Restaurer les sols dégradés
Lorsque le sol est tassé, l’objectif de la restauration est de le restructurer par les plantes et les animaux et microorganismes du sol. Soit à partir des espèces qui résistent au sol tassé et donc à l’asphyxie (comme les plantains et les laiches), d’autres avec des racines de diamètre plus important (> 2 mm), elles pénétreront certaines zones tassées notamment lorsque le sol est humide et davantage plastique (comme le radis fourrager et la féverole). Les espèces végétales n’ayant pas ces capacités, se faufileront quant à elles, dans les fissures du sol afin de rejoindre les horizons plus profond (comme la phacélie, l’avoine rude…).
L’ensemble de ces stratégies racinaires permet de restructurer une partie du sol (puisqu’il faut environ 6 à 10 ans pour restructurer un sol tassé) notamment en maximisant la durée de végétation du couvert. La combinaison de ces stratégies d’exploration du sol dans un contexte de sol tassé permettrait donc de maximiser la production des plantes et cultures et ainsi le fonctionnement d’éco ou agrosystèmes dégradés. Les plantes ne sont pas les seuls acteurs dans la restauration des sols dégradés. Elles présentent un effet indirect en stimulant les vers de terre dans des conditions de réduction ou absence de travail du sol) par la restitution de matières organiques au sol (c.-à-d., les résidus de culture, et autres apports de matière organique comme les fumiers). Les vers de terre et notamment ceux qui circulent de la surface en profondeur (les anéciques), induisent et restaurent la macroporosité du sol essentielle pour l’infiltration de l’eau et l’aération des sols, et donc la nutrition et le développement des plantes.
Les plantes favorisant la conservation ou l’amélioration de la structure du sol via une meilleure agrégation des constituants du sol (minéraux, carbone organique et bactéries) constituent un véritable atout pour le développement de l’agroécologie puisqu’elles permettent à la fois de lutter contre la déformation des sols (notamment par cisaillement) et l’érosion, tout en fournissant une multitude d’autres services : l’amélioration de la disponibilité en eau (meilleure rétention en eau et remontée d’eau par capillarité), la réduction du risque de déficit en eau en période de sécheresse modérée, la filtration de l’eau pour maintenir sa qualité et participer à la recharge des eaux souterraines, et la séquestration de carbone dans les sols pour atténuer les changements climatiques.
Article écrit par Michel-Pierre Faucon, Enseignant-chercheur en écologie végétale et agroécologie – Directeur à la recherche UniLaSalle Beauvais, UniLaSalle; Carolina Ugarte, Adjunct assistant professor, UniLaSalle et Léa Kervroëdan, Enseignante-Chercheure en Ecologie Végétale et Agroécologie, UniLaSalle
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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