Le 9 janvier 2023, le directeur de la commission indépendante en charge des élections au Nigéria, Mahmood Yakubu, exprimait des doutes quant au maintien de l’élection présidentielle prévue le 25 février, en raison de la situation sécuritaire du pays. Il faut dire qu’au cours des dernières semaines, plusieurs attaques ont touché les bureaux de cette commission.
Début novembre, les États-Unis rapatriaient leur personnel diplomatique « non essentiel » de la capitale fédérale, Abuja, à la suite d’analyses sécuritaires qu’ils se gardaient de dévoiler, entraînant le départ de cohortes de diplomates et businessmen occidentaux et africains. La presse nigériane publiait alors plusieurs tribunes plus ou moins critiques à l’égard de Washington ou, à l’inverse, alarmistes sur la situation sécuritaire du pays.
Cette année encore, la sécurité s’impose à la fois comme sujet central des débats politiques dans le pays le plus peuplé d’Afrique (219 millions d’habitants).
Les trois principaux candidats
Le président sortant Muhammadu Buhari, général en retraite aujourd’hui âgé de 80 ans, s’est fait élire en 2015 et réélire en 2019 sur la double promesse de mettre fin à la corruption et à l’insécurité dans le pays.
Le bilan de ses mandats est défendu par le candidat de son parti, l’All Progressive Congress (APC), Bola Ahmed Tinubu, 70 ans officiellement, ancien gouverneur de Lagos (1999-2007), dont les affaires de corruption ont fait la une des journaux du pays dans les années 1990. Son principal adversaire (il y a 18 candidats au total) est Abubakar Atiku, 76 ans, candidat du People Democratic Party (PDP), au pouvoir entre 1999 et 2015. Au cours des huit premières années de cette période, Atiku occupa la fonction de vice-président oui. En embuscade, Peter Obi du Labour Party, 61 ans, bénéficie d’une dynamique de campagne positive et de soutiens parmi les plus jeunes générations, surnommés les « Obidient ». En l’état, aucun sondage ne semble fiable.
Au Nigéria, une règle tacite veut qu’à un président nordiste (majoritairement musulman) succède un président sudiste (majoritairement chrétien). Cette alternance, en place depuis 24 ans voudrait que le président élu en 2023 soit du Sud et chrétien.
Or, le candidat sudiste Tinubu est musulman, tout comme son principal opposant du Nord, Atiku, et l’actuel président Buhari. Il se présente aux côtés d’un colistier musulman, formant un « muslim-muslim ticket ». Atiku, à l’inverse, est associé à un chrétien du Sud. La candidature du chrétien sudiste Peter Obi, dont le colistier est un musulman, paraîtrait idéale sur le papier s’il n’était pas également Igbo, une ethnie du Sud-Est (15 à 18 % de la population totale du pays), parfois associée aux ex-sécessionnistes du Biafra. Comment, alors, les Nigérians réagiront-ils à cette rupture des schémas traditionnels ?
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— IamChidi (@IamChidi_me) February 27, 2019
Quelles leçons tirer des élections passées ?
Depuis son indépendance en 1960, l’histoire politique du Nigéria est marquée par une alternance entre des périodes « républicaines » et des autocraties militaires souvent installées par coups d’État. Le système politique actuel – la quatrième république – connaîtra en février sa septième élection présidentielle consécutive.
Les périodes électorales sont historiquement des moments d’instabilité où les violences sont fréquentes. Si la première élection de 1999 se déroule sans violence particulière, la réélection du président Obasanjo en 2003 est plus mouvementée et qualifiée de frauduleuse par la plupart des observateurs.
Entre 2007 et 2022, on compte plus de 3000 morts violentes liées aux périodes électorales selon Nigeria Watch, base de données qui agrège depuis 2007 les morts violentes dans le pays, aucun « pattern », aucun motif (« pattern ») spécifique ne semble se vérifier d’une élection l’autre.
Ainsi, lors de l’élection de 2007, considérée comme « peu fiable » par les observateurs de l’UE, les actes de violence résultaient principalement de disputes intrapartis, notamment au sein du PDP. Il s’agit alors principalement de conflits entre « parrains » et « affiliés », c’est-à-dire de compétitions pour des ressources et des positions en interne au parti.
En 2011, à l’inverse, on comptabilise davantage d’événements violents postélectoraux, notamment à la suite des bons résultats obtenus par le président sortant Goodluck Jonathan (PDP) dans le Nord du pays, considéré pourtant comme étant acquis à son opposant et futur président, Muhammadu Buhari.
En 2015, la victoire du candidat Buhari, à la tête de l’APC – dont le logo, un balai, incarne bien alors l’ambition de faire le ménage dans le pays après 16 ans de PDP – est également suivie de violences, toujours dans le Nord du pays, à la suite de mouvements de célébrations.
En 2019, le niveau de violence moyen était plus faible qu’aux élections précédentes bien que les résultats aient provoqué localement des affrontements. L’élection avait été alors repoussée du fait de retards dans l’acheminement du matériel électoral. Cette année, le vote devrait être en partie électronisé, ce qui soulève de nouveaux défis. Le pays étant connu pour son électricité publique défaillante, les bureaux de vote devront se tourner vers des générateurs fonctionnant à l’essence. Alors que le pays manque de carburants raffinés, il est possible qu’en conséquence l’élection de 2023 soit à son tour décalée.
L’insécurité, premier thème de la campagne présidentielle
Aux côtés de l’inflation et du coût de la vie, l’insécurité fait certainement partie des sujets les plus traités par les candidats des différents partis.
Il faut dire que les enlèvements, braquages et autres actes criminels sont fréquents dans le pays, tandis que les violences terroristes dans le Nord, les conflits pour des ressources territoriales dans le Centre, et pétrolières dans le Sud, sont également responsables de plusieurs centaines de morts par an.
Pour autant, les trois candidats principaux proposent peu ou prou la même chose : augmenter les effectifs policiers et militaires, recourir davantage aux solutions technologiques.
Ces propositions se heurtent à deux problèmes. Tout d’abord, l’idée d’augmenter les effectifs comme les budgets n’est pas récente. Sous les mandats Buhari, le budget de l’armée a considérablement augmenté, passant de 4 à 16 trillions de naïras, soit environ 30 milliards d’euros, de la dernière année du quinquennat de Goodluck Jonathan à celle de Buhari, sans que cela se remarque proportionnellement sur le terrain, un certain nombre d’intermédiaires ayant détourné une partie des fonds.
Ensuite, il n’est même pas certain qu’en augmentant le nombre de policiers ou de militaires, l’insécurité baisse. D’une part, l’augmentation du nombre de policiers entraîne automatiquement une augmentation des infractions relevées et par conséquent une inflation des statistiques de la criminalité. D’autre part, les policiers comme les militaires figurent parmi les premiers auteurs de violences.
Si les violences policières sont décriées depuis longtemps dans le pays, chaque Nigérian pouvant y aller de son anecdote personnelle, elles ont attiré une attention particulière en 2020. Face aux exactions répétées et impunies d’une unité de police, les jeunes Nigérians étaient sortis dans la rue donnant naissance au mouvement #EndSars, du nom de la brigade en question, finalement dissoute. Lors de ces manifestations, plus de 200 manifestants avaient trouvé la mort.
Quant aux militaires, ils ont provoqué davantage de morts que les terroristes dans leur opposition à Boko Haram. Cela s’explique par un manque de discernement dans leurs actions, qui s’apparentent parfois davantage à des représailles qu’à des actions ciblées, ainsi qu’à des bombardements aériens sur des zones trop approximatives.
Le manque de formation des forces de l’ordre, la corruption ou encore le défaut de coopération entre policiers et militaires expliquent en partie les dysfonctionnements sécuritaires du pays. Il n’est pas certain qu’en augmentant les budgets ou en mettant à disposition de ce personnel de nouveaux matériels, la situation s’améliore.
Qu’attendre des élections de 2023 ?
Le manque de popularité des deux principaux candidats, vétérans politiques septuagénaires auprès d’une population qui semble résignée d’avance semble devoir faire de l’abstention et de l’apathie les grands vainqueurs de cette élection. Un récent sondage donnant Peter Obi vainqueur en cas de forte participation pourrait rendre le résultat incertain jusque dans les derniers jours.
Pourtant, comme le rappelait le chercheur Corentin Cohen, les violences électorales ne se limitent pas à la période de l’élection en elle-même. Elles peuvent apparaître dès les primaires des partis, et s’étendre jusqu’à la proclamation des résultats. Ainsi, même s’il n’y a pas de « pattern » en matière de violence électorale au Nigéria, la situation sécuritaire du pays sera à observer de près au moins jusqu’à la transition prévue fin mai 2023…
Article écrit par Victor C. Eze, PhD, Research Fellow at IFRA-Nigéria, Université d’Ibadan et Enzo Fasquelle, Research associate NigeriaWatch & IFRA-Nigeria, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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