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En Thaïlande, des musulmans tisseurs de soie

juin 3, 2019 6:50, Last Updated: juillet 13, 2019 12:27
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Les touristes se pressent à Bangkok dans la maison-musée de Jim Thompson, aventurier américain ayant développé l’industrie de la soie après la Seconde guerre mondiale. Mais rares sont ceux qui poussent jusqu’à la petite communauté musulmane de tisseurs avec laquelle il travaillait.

Il suffit pourtant de traverser le canal passant juste derrière la maison de l’homme d’affaires pour tomber sur le quartier musulman de Baan Krua, implanté dans la capitale thaïlandaise depuis plus de deux siècles. Un trajet que faisait tous les jours à pied l’Américain, qui a développé l’industrie de la soie en Thaïlande jusqu’à sa disparition mystérieuse dans les années 1960, raconte le propriétaire d’une des dernières fabriques traditionnelles de soie.

« Il venait ici tous les matins », se souvient Niphon Manutha, 71 ans, au milieu des cartons d’où débordent des cravates en soie. Il montre une photo de sa mère avec l’aventurier, à l’âge d’or de la fabrique, qui comptait alors une cinquantaine d’ouvriers, contre quelques-uns aujourd’hui. Désormais, elle ne fournit plus la prestigieuse marque Jim Thompson, qui a survécu à la disparition de son fondateur mais a opté pour un modèle plus industriel.

« C’est un héritage musulman. La soie de Baan Krua est très célèbre », souligne Niphon, montrant au mur une lettre envoyée par Robert Kennedy, après une visite en 1962 dans ce pays très majoritairement bouddhiste. La marque Baan Krua a subsisté et essaye de tirer son épingle du jeu en fournissant des pièces sur mesure, surtout à une clientèle thaïlandaise, attirée par la qualité d’une soie faite main sur des métiers à tisser en bois exotique.

La grand-mère de Niphon Manutha a créé l’entreprise dans ce quartier, construit en bord de canal sur des terres données au XVIIIe siècle par le roi Rama I aux musulmans venus en nombre du Cambodge et du Vietnam voisins. Rapidement, la communauté s’est spécialisée dans le tissage de soie, et les ateliers ont essaimé dans le quartier.

« A l’époque, nous fabriquions des sarongs, un habit traditionnel pour les musulmans ici. Notre secteur a connu son apogée après la Seconde guerre mondiale quand Jim Thompson est venu ici, a repéré notre soie et trouvé qu’elle était exceptionnelle », raconte le vieux tisserand. Aujourd’hui, c’est sa fille Pattramas qui essaye de trouver des débouchés pour l’entreprise familiale, en développant le site internet de la société.

« Nous sommes passés de la production de tissu à celle de produits », comme des chemises ou des sacs, explique la trentenaire aux cheveux courts. « La nouvelle génération ne veut plus faire ce métier. Dans les cinq à dix ans à venir, je ne sais pas s’il y aura encore des gens ici », dit-elle. Les ouvrières ont toutes dépassé la soixantaine. « Tout le monde veut préserver l’héritage mais plus personne ne veut faire ce métier », se lamente Natcha Swanaphoom, la sœur de Niphon, qui l’aide à gérer la petite boutique de la fabrique.

Le secteur traditionnel de la soie s’est fortement industrialisé en Thaïlande, pour résister à la concurrence de la Chine et du Vietnam.  Près de 90.000 agriculteurs thaïlandais vivent de l’élevage de vers à soie et de la culture de mûrier, base de leur alimentation. Au total, 90% de la production nationale de soie est destinée au marché intérieur, les Thaïlandais continuant à revêtir des habits traditionnels en soie pour les grands événements comme les mariages.

Le ministère de l’Agriculture thaïlandais compte un département spécialement en charge de la soie, qui s’inquiète de l’avenir des nombreuses petites communautés de tisserands comme celle de Baan Krua.

D.C avec AFP

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