En Tunisie, un cimetière-jardin pour les migrants, « damnés de la mer »

Par Epoch Times avec AFP
9 juin 2021 14:15 Mis à jour: 9 juin 2021 14:24

A peine inauguré et déjà à moitié plein, dans le sud de la Tunisie, un cimetière palatial et fleuri accueille les dépouilles de migrants inconnus morts sur le chemin de l’Europe, pour leur rendre leur dignité et peut-être un jour leur nom.

Porte traditionnelle du XVIIe, allées de céramiques peintes à la main et, sous une harmonieuse coupole blanche, une salle de prière pour toutes les religions: le « Jardin d’Afrique » est l’œuvre de Rachid Koraichi, artiste et homme de foi algérien.

Les migrants enterrés là, « damnés de la mer », ont « affronté le Sahara, des gangsters, des terroristes », parfois la torture ou un naufrage, souligne-t-il. « Je voulais leur faire un début de paradis », après l’enfer de la traversée.

Fin 2018, il achète à Zarzis, près de la frontière libyenne, ce terrain entouré d’oliviers, qui sera inauguré mercredi par la directrice de l’Unesco Audrey Azoulay.

Entourées de cinq oliviers et de douze vignes

« Femme robe noire, plage Hachani », « Homme tricot noir, plage Hôtel des 4 Saisons »: plus de 200 tombes blanches numérotées sont déjà alignées, entourées de cinq oliviers symbolisant les piliers de l’islam et douze vignes pour les apôtres chrétiens.

-Des ouvriers construisent des tombes au « Jardin d’Afrique », un cimetière du sud tunisien pour les migrants qui se sont noyés en traversant la Méditerranée dans l’espoir d’une vie meilleure en Europe, le 1er juin 2021

Des jasmins, galants de nuits et autres arbustes embaument ce lieu où les corps arrivent parfois en état de putréfaction.

Partis de Libye ou parfois de Tunisie, ils sont repêchés au large, ou échouent sur les plages du sud tunisien en raison des courants marins.

Vicky, une Nigériane de 26 ans, arrivée en Tunisie à pied après plusieurs vaines tentatives de rejoindre l’Italie depuis la Libye, a la gorge serrée en balayant les allées.

« Aller en Europe, c’était mon rêve pour faire de la mode, mais j’ai vécu un enfer », lance-t-elle. « Quand je vois ça, je ne suis plus sûre de vouloir reprendre la mer ».

-Jardin d’Afrique en français, un cimetière du sud tunisien pour les migrants qui se sont noyés en traversant la Méditerranée dans l’espoir d’une vie meilleure en Europe, le 1er juin 2021 dans la ville portuaire de Zarzis. Photo de FATHI NASRI / AFP via Getty Images.

Faciliter le travail d’identification

Des bâtiments sont prévus pour faire des autopsies sur place, afin de faciliter le travail d’identification.

Les analyses sont actuellement effectuées par l’hôpital de Gabès, à 140 kilomètres de là, obligeant les autorités à transporter les dépouilles dans des conditions précaires.

Une famille libyenne est venue se recueillir sur la tombe d’un jeune homme, identifié grâce à des compagnons de voyage.

« On leur a proposé de ramener le corps chez eux, mais le père a répondu +Dieu a abandonné la Libye, gardez le ici+ », se souvient Rachid Koraïchi.

L’artiste de 74 ans, exposé à Londres, New York ou Paris, a lui-même perdu un frère, emporté par le courant lors d’une baignade en Méditerranée.

« Un lieu symbole, comme la tombe du soldat inconnu »

Il a conçu ce jardin « pour aider les familles à faire leur deuil, en sachant qu’il existe un lieu d’enterrement digne ».

« C’est aussi un lieu symbole, comme la tombe du soldat inconnu, car tout le monde est responsable de ce drame », souligne-t-il.

Rachid Koraichi, artiste et membre d’un ordre de l’islam soufi a créé le cimetière, ajoutant « Je voulais leur donner un avant-goût du paradis ». Photo de FATHI NASRI / AFP via Getty Images.

Cadre de la Tijaniyya, influente confrérie soufie, il a lancé ce projet, qu’il finance entièrement, après avoir eu vent des difficultés de Zarzis, grosse ville de pêcheurs, à enterrer les dizaines de corps arrivant chaque été.

Depuis le début des années 2000, la municipalité, l’une des rares à prendre en charge les dépouilles de migrants dans la région, en a inhumé plus de 1.000, venus d’Afrique, d’Asie ou de bourgs voisins.

« Beaucoup de la jeunesse de Zarzis est partie vers l’Europe par la mer, il y a eu des morts, et quand on voit ces émigrés là, on voit nos enfants », explique à l’AFP le maire, Mekki Lourraiedh.

Agrandir le cimetière

Dans l’ancien cimetière, un terrain sablonneux près d’une ancienne décharge, les cantonniers municipaux aidés de bénévoles ont enterré plus de 600 inconnus.

Seule la sépulture d’une Nigérienne, Rose-Marie, est marquée par un peu de béton et quelques fleurs.

« Si on avait les moyens on ne laisserait pas le cimetière dans cet état », reconnaît le maire.

– Ces migrants, dont beaucoup se sont noyés après avoir embarqué à bord de bateaux fragiles et surchargés en Libye alors qu’ils risquaient d’être extorqués par « des gangsters et des terroristes », méritent un lieu de repos digne, a déclaré Koraichi. Photo de FATHI NASRI / AFP via Getty Images.

Ce terrain municipal était presque plein lorsqu’une centaine de corps sont arrivés en juillet 2019. Il a fallu creuser les premières tombes dans le Jardin d’Afrique avant même le début des travaux.

Depuis, les morts continuent d’affluer chaque semaine, surtout l’été, saison des départs marquée cette année par une nette augmentation des traversées depuis la Tunisie ou la Libye voisine, qui peine à sortir d’une décennie de conflits.

Plus de 200 briques blanches marquent les emplacements vides – mais M. Koraïchi craint qu’ils ne soient tous occupés d’ici la fin de l’été.

« On a déjà prévu une porte et demandé d’acheter le terrain contigu, pour agrandir le cimetière. »

 

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