La semaine dernière, Deutsche Bank, la première banque allemande, a plongé en bourse, entraînant à sa suite plusieurs concurrents européens, quelques jours après l’annonce officielle du sauvetage de Credit Suisse par la banque centrale suisse. Tout comme Credit Suisse, Deutsche Bank est considérée comme « too big to fail » mais elle fréquente depuis des années de nombreux tribunaux en cherchant à limiter les dégâts considérables causés par plusieurs scandales, tant au niveau de ses intérêts économiques qu’en matière de réputation. La disparition de l’une d’elles pourrait-elle conduire à la faillite de l’autre ?
Quarante-huit heures auront suffi pour que la seizième banque américaine, Silicon Valley Bank, s’effondre… La banque préférée des startups outre-Atlantique a surpris les investisseurs en annonçant le mercredi 8 mars qu’elle devait lever 2,25 milliards de dollars pour consolider son bilan, avant d’être fermée administrativement le vendredi 10 mars. Il a fallu 120 heures pour mettre fin aux 167 ans d’histoire de Credit Suisse, la deuxième banque helvétique, depuis l’enregistrement de la chute historique en bourse de celle-ci jusqu’à l’annonce de son rachat par son rival de toujours UBS. Un sauvetage nécessaire, comme l’évalue la ministre suisse des Finances Karin Keller-Sutter, pour éviter des « dommages considérables » qui auraient « probablement déclenché une crise financière internationale ».
Cependant, cette crise bancaire est loin d’avoir dit son dernier mot. Le vendredi 24 mars, ce fut au tour de la Deutsche Bank de plonger en bourse. Selon Reuters, le cours de l’action de la première banque allemande a chuté de 14,3 % pour atteindre son niveau le plus bas depuis octobre 2022.
« Contributrice directe » de la crise financière de 2008 et sujette à des scandales successifs
Sans mentionner les effets négatifs sur les marchés que la chute en bourse du géant bancaire allemand a entraîné dans son sillage, le fait que son action ait touché le plancher de 8,13 euros évoque un sombre souvenir daté de 2018, lorsque celle-ci s’échangeait pour seulement 7,75 euros, alors qu’elle avait atteint un sommet glorieux de 105,77 euros en 2007.
C’est un an après que ses actionnaires ont appris ce fameux accord passé avec le Département de la Justice des États-Unis : « Deutsche Bank accepte de payer 7,2 milliards de dollars pour avoir induit en erreur les investisseurs dans sa vente de titres adossés à des créances hypothécaires résidentielles » […] « Deutsche Bank n’a pas seulement induit les investisseurs en erreur : elle a contribué directement à une crise financière internationale », celle de 2008.
Depuis cet évènement, Deutsche Bank semble se perdre sous une cascade d’affaires judiciaires. En effet, dix ans plus tard en 2018, ses locaux à Frankfurt ont fait l’objet d’une perquisition dans le cadre d’une enquête pour blanchiment d’argent menée par la justice allemande, suite aux révélations des « Panama Papers ». La première banque allemande a été soupçonnée « d’avoir aidé des clients à créer des sociétés dans des paradis fiscaux », a expliqué Nadja Niesen, porte-parole du parquet de Francfort à l’époque. Un an après, comme le rapportait le Figaro, la banque a dû régler 15 millions d’euros pour solder cette procédure, en reconnaissant dans un communiqué être responsable de « défaillances en termes de contrôles ».
En janvier 2021, selon Reuters, Deutsche Bank a accepté de payer 125 millions de dollars dans le cadre d’une autre enquête sur la corruption transnationale, menée par les autorités fédérales américaines. Cette fois, la banque allemande a été accusée d’avoir effectué des paiements inappropriés à des personnes politiquement connectées afin de gagner des contrats d’affaires dans plusieurs pays, dont l’Arabie saoudite.
En juillet de la même année, Deutsche Bank a été accusée d’avoir fermé les yeux sur un système de Ponzi qui a duré des années et qui impliquait des investissements frauduleux en Floride. Selon l’une des réclamations, certains membres du personnel de Deutsche Bank ont signalé dès le début de 2016 des activités suspectes dans les comptes connexes, mais la banque n’a pas agi de manière décisive à leur sujet. D’après les dernières informations données par l’agence Bloomberg sur cette affaire, deux filiales de la Deutsche Bank sont exclues du litige, mais cela ne permet pas d’éliminer les allégations qui peuvent se diriger vers un autre procès.
Plus récemment encore, CNN a rapporté le 20 mars que Deutsche Bank est continûment impliquée dans des poursuites judiciaires l’accusant d’avoir facilité le trafic sexuel mis en place par Jeffrey Epstein, et même d’en avoir bénéficié. Le juge de Manhattan Jed Rakoff a rejeté la majorité des accusations dans deux procès intentés contre JPMorgan Chase et Deutsche Bank par l’une des femmes abusées par Epstein – identifiée comme Jane Doe – et dans un troisième procès contre JPMorgan par le gouvernement des îles Vierges américaines. Epstein aurait alors abusé de jeunes femmes mineures dans son domaine insulaire privé. Le juge Jed Rakoff a cependant permis aux plaignantes de poursuivre d’autres réclamations contre les deux banques.
Victime d’une nouvelle crise de confiance sur les marchés ?
Perdue dans une série sans fin de scandales et de poursuites juridiques, tout comme Credit Suisse, Deutsche Bank est également un tabou dans le domaine financier européen. Depuis la faillite de banques régionales américaines et le sauvetage de Credit Suisse par la première banque helvétique UBS, les investisseurs deviennent très sensibles à tout mouvement des banques, notamment celles qui sont considérées depuis longtemps comme maillons faibles du système, et en particulier Deutsche Bank.
Comme nous l’avons rapporté le 22 mars dernier, certains investisseurs détenteurs d’obligations « AT1 » (Additional Tier 1) sont encore sous le choc après avoir appris que 17 milliards d’euros de ce type de dette se sont envolés, suite à l’annonce des régulateurs bancaires suisses d’« un amortissement complet de la valeur nominale de tous les emprunts AT1 de Credit Suisse, et donc une augmentation des fonds propres de base ».
« Les retombées de l’élimination des obligations AT1 dans le sauvetage de Credit Suisse ont soulevé des questions sur l’un des éléments clés du financement bancaire, ce qui rend les problèmes auxquels Deutsche Bank est confrontée d’autant plus difficiles à surmonter », a constaté pour Reuters Stuart Cole, le responsable des macro-économistes d’Equity Capital.
Pour restaurer la confiance des investisseurs, Deutsche Bank a annoncé le 24 mars qu’elle procédait au remboursement anticipé d’un type d’obligation hybride. « La décision de Deutsche de racheter [ces titres] (après avoir reçu toutes les approbations réglementaires requises) devrait être un signal rassurant pour les investisseurs en crédit », a écrit ce même vendredi Stuart Graham, expert pour Autonomous Research.
« C’est vu comme un signe de bonne santé de la banque », confirme au micro du Figaro Jérôme Legras, responsable de la recherche chez Axiom AI. « Or, paradoxalement, vendredi les investisseurs ont perçu dans cette opération un signe de faiblesse, se demandant paradoxalement si Deutsche Bank ne tentait pas de montrer sa force car elle était faible. »
La flambée du prix du « credit default swap » (CDS) est une indication supplémentaire de la crise de confiance sans précédent qui touche les investisseurs sur le marché financier. En effet, un CDS se comporte comme un produit financier jouant le rôle d’assurance par lequel un établissement banco-financier se protège du risque de défaut de paiement d’un crédit en payant au détenteur une prime. C’est aussi un instrument de spéculation, c’est-à-dire que plus son cours augmente, plus il existe sur le marché des investisseurs qui spéculent sur le fait que la banque ne peut pas rembourser ses obligations. Or, selon les données de S&P Market Intelligence, relayé par Reuters le même jour, le CDS à cinq ans de Deutsche Bank a grimpé à plus de 220 points de base, au plus haut niveau depuis fin 2018, contre 142 points il y a seulement deux jours.
Pour l’heure, la première banque allemande n’a pas envoyé son signal de détresse à la Banque fédérale d’Allemagne, comme Credit Suisse l’a fait auprès de la Banque nationale suisse il y a deux semaines. D’après le Chancelier allemand Olaf Scholz, « Deutsche Bank a fondamentalement modernisé son modèle économique. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter de quoi que ce soit ».
Cependant, un expert a souligné pour Capital dès 2018 : « On sait tous que Deutsche Bank devra être renflouée lors de la prochaine crise, mais c’est un autre morceau que Lehman Brothers ». « C’est une grosse bombe à retardement, on sait que ça va exploser. On ne sait juste pas quand ». Cinq ans après, est-ce le moment de poser une autre question : Deutsche Bank, « too big to fail » ou trop grosse pour être sauvée ?
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