Jo Vilamosa avait 11 ans lorsqu’il a traversé les Pyrénées dans le froid et la peur pour rejoindre la France après la chute de Barcelone début 1939 et la victoire des franquistes. Une épreuve « gravée à vie » racontée à l’AFP.
« Sur le moment, on souffre mais il faut vivre », explique cet homme de 91 ans, en marge d’une semaine de la mémoire organisée à Agde, dans le sud de la France, sur la Retirada, cet exode de près d’un demi-million d’Espagnols vers la France après la victoire franquiste.
« Il est important que la mémoire de cet événement ne parte pas avec ma génération », souligne avec émotion le volubile nonagénaire. La veille de la chute de Barcelone, son oncle maternel, « très impliqué dans la République » fait monter dans un camion qui part en direction de Cassà de la Selva son épouse, ses deux enfants, sa mère et ses trois neveux qui sont orphelins.
« Ensuite nous avons traversé les Pyrénées à pied très lentement pendant quatre jours, nous étions 16 personnes dont 11 enfants âgés de 13 à quatre ans », se souvient-il.
« Il y avait beaucoup de gens qui fuyaient par la montagne. Nous ne pouvions pas marcher à découvert parce que des avions mitraillaient. Alors, nous restions dans les bois, souvent sous la pluie glacée et dormions parfois à même le sol gelé, la faim au ventre », ajoute celui qui assure toujours « ressentir dans son corps » et « revivre dans son esprit » ce terrible exode.
Arrivés en France, dans les Pyrénées-Orientales (Sud-Ouest), le groupe épuisé est amené à Port-Vendres où les Espagnols, « trempés et couverts de poux », sont « lavés, désinfectés et vaccinés ».
Face à l’afflux de réfugiés qui s’entassent dans les églises et les écoles, le garçon et sa famille sont envoyés par le train dans un autre département méridional, l’Aveyron, et s’installent à Decazeville, un centre minier. « Moi, on m’a loué à la campagne pour garder le bétail pendant plusieurs années: j’étais un petit Barcelonais, je n’avais jamais vu une vache ! », sourit-il. « Les gens étaient très gentils, je mangeais à ma faim. On ne me payait pas mais on donnait du ravitaillement à ma famille ».
D’octobre à avril, seule période où il peut aller à l’école, Jo redouble d’efforts: parlant le catalan et l’espagnol, il apprend le français très rapidement, notamment grâce à une institutrice « formidable », qui le garde après les cours. En 1941, la gendarmerie vient chercher les trois orphelins, pour les « restituer à l’Espagne » franquiste mais leur oncle, entré dans la Résistance en France, produit à temps un certificat d’adoption.
A 14 ans, l’adolescent surnommé « Pepito » travaille dans la construction, puis entre aux houillères où il est rapidement promu machiniste, ce qui lui vaut des insultes « Espagnol de merde » ou « macaque » de la part de certains collègues. Le jeune garçon encaisse et relève un nouveau défi: apprendre le solfège et jouer du saxophone, une véritable passion. C’est en jouant dans des bals qu’il a le coup de foudre pour Céline, « une femme magnifique » avec laquelle il est marié depuis 62 ans et a eu une fille.
Entre temps, Jo, qui s’est fait naturaliser français quand il a compris que « Franco n’allait pas sauter après la Seconde guerre mondiale », est devenu apprenti en optique. Il ouvre son propre magasin en 1969 à Agde.
Puis, en 1987, des responsables officiels français et espagnols le sollicitent pour témoigner de son histoire d’intégration « exemplaire » et faire un travail mémoriel. « J’ai réalisé que je n’avais aucun document sur la guerre d’Espagne, la Retirada, les camps d’internement comme celui d’Agde », explique-t-il, alors « je me suis mis en quête à 100% ».
« En fait c’était ma vie que je cherchais », analyse celui qui est aujourd’hui à la tête d’un fond documentaire impressionnant: « j’avais mis de côté pendant des années ce que j’avais vécu dans l’enfance pour améliorer ma situation » matérielle.
D.C avec AFP
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