Grenoble : « Aujourd’hui, il y a un problème au niveau de la réponse pénale apportée », estime Denis Jacob

Par Julian Herrero
13 septembre 2024 18:33 Mis à jour: 14 septembre 2024 14:32

ENTRETIEN – Denis Jacob est un ancien policier, fondateur du syndicat Alternative Police. Il est aujourd’hui directeur de la société Sécurité Consulting. Il analyse pour Epoch Times le meurtre de l’agent municipal grenoblois Lilian Dejean survenu le week-end dernier.

Epoch Times : Dimanche 8 septembre, un employé municipal grenoblois a été tué par balle par un individu ayant provoqué un accident de la route. Mardi, le procureur de la République de Grenoble a annoncé que sa carte d’identité a été retrouvée dans sa voiture. Selon des informations du Parisien, le tireur s’appelle Abdoul D. et a été condamné 11 fois. Il est également âgé de 25 ans. Que traduit pour vous, ce drame et le profil de cet individu ?

Denis Jacob : Les policiers et moi-même en tant qu’ancien policier désormais expert-consultant en sécurité, avons l’habitude de ce genre de profil. Nous savons très bien qu’une personne qui est armée et qui circule en grosse cylindrée est soit une personne qui est issue du grand banditisme, soit de la délinquance de réseau de trafic de drogue. Et avec l’identification de l’individu, on constate, comme d’habitude, qu’on a affaire à une personne qui n’aurait pas dû être en liberté . Mon propos peut paraître excessif, mais c’est la dure réalité de notre société.

Aujourd’hui, il y a un problème au niveau de la réponse pénale apportée. Quand des personnes ont été condamnées 11 fois comme cet individu, je crois qu’il faut les mettre hors d’état de nuire. Et mettre hors d’état de nuire une personne, cela revient à le condamner à une peine de prison ou à la mettre sous bracelet électronique, sans possibilité de quitter le domicile.  Mais en aucun cas ce genre de personne ne doit pouvoir se déplacer librement avec le risque d’attenter à la vie de quelqu’un.

Quand on observe ce profil, on se demande légitimement comment avons-nous fait pour en arriver là ?

Je crois que ceux qui nous dirigent ne se posent pas cette question et préfèrent nous ressortir le même argumentaire sur l’indépendance de la Justice, etc. sans comprendre que nous sommes dans une société d’extrême violence, qui ressemble de plus en plus à ce que nous pouvons trouver outre-Atlantique.

Nos parlementaires vont devoir se pencher très sérieusement sur le sujet de l’imposition de peines fermes à appliquer sans que le juge n’ait la latitude d’avoir une certaine consensualité. La politique de l’excuse qui est menée depuis des décennies nous a conduit à cette situation. Cette situation est la conséquence de causes qui ne sont pas traitées en amont, c’est-à-dire le manque de fermeté dans les sanctions.

Le suspect est toujours en fuite. Les forces de l’ordre vont-ils retrouver sa trace rapidement maintenant qu’ils ont sa carte d’identité ?

Nous n’avons pas besoin de la carte d’identité pour être sur ses traces. Il y a, évidemment, l’émotion et les réactions sur le fait que cet individu est toujours en fuite, mais les forces de l’ordre sont dans un temps de travail et d’enquête qui est plus long.

Pour être honnête, la carte d’identité n’est qu’un plus dans le processus d’identification. La plupart du temps, les enquêteurs retrouvent les personnes sans l’identité, notamment grâce au bornage téléphonique, ou les traces et les indices qui sont laissés sur le théâtre d’un crime comme les empreintes digitales et l’ADN. Il y a également l’entourage et les écoutes téléphoniques. Les policiers ont à leur disposition tout un dispositif matériel et législatif pour commencer le travail dans les heures qui suivent l’acte.

Cela étant, le fait d’avoir retrouvé sa pièce d’identité est important puisque cela confirme par définition l’identité de l’auteur, qu’il était bien présent sur les lieux du crime, même en tant que complice, et aussi de pouvoir mener l’enquête auprès de son entourage, la famille et les amis. Il va donc y avoir un élargissement du spectre d’enquête vers toutes les personnes qui peuvent le côtoyer de près ou de loin. Si ce n’est pas déjà le cas, ces gens vont être mis sur écoute. Le travail de renseignement va être complémentaire au travail de la police et va permettre de faire remonter des informations aux services pour compléter l’enquête et essayer d’aller au plus vite pour interpeller cet individu.

La tâche sera plus difficile si l’individu se trouve à l’étranger, même si nous pouvons compter sur les coopérations policières entre les différents pays européens et Interpol. Et ce n’est pas parce qu’on n’en parle pas publiquement et médiatiquement que les policiers n’ont pas les informations nécessaires pour retrouver sa trace.

Lors de l’hommage rendu à l’agent municipal, le maire de Grenoble, Éric Piolle, a notamment pointé du doigt la circulation des armes. Qu’en pensez-vous ?

On connaît les positions d’Éric Piolle. Il incarne malheureusement la vieille gauche qui considère que la sécurité est un tabou et il préfère renvoyer le problème sur la circulation des armes. Il y a bien entendu un problème de circulation des armes, mais quand parallèlement, le maire ne souhaite pas armer sa police municipale et rejette l’utilisation de la vidéosurveillance, je me dis qu’il doit revenir dans la réalité de notre société.

Ce n’est pas la circulation des armes qui a provoqué la mort de l’employé municipal, mais bien le profil d’un individu qui est dans la délinquance et qui encore une fois, n’aurait pas dû être en liberté – mais aussi parce que la sécurité dans la ville de Grenoble n’est pas assez renforcée.

Il n’y a pas de risque zéro, mais il faudrait faire en sorte qu’il y ait le moins de délits et de crimes possibles. Cela ne peut que voir le jour par un renforcement des moyens de sécurité.

Si Éric Piolle veut lutter contre la circulation des armes, qu’il commence déjà par donner les moyens à sa police municipale de le faire. Aujourd’hui, elle se contente de faire le minimum parce que, n’étant pas armée, elle ne va pas prendre le risque d’aller dans des secteurs criminogènes où la délinquance est violente et où ils risquent leur vie.

En tout cas, ce n’est pas exact de dire que la circulation des armes a engendré la mort de Lilian Dejean.

À la suite, de ce drame, le maire a reconfirmé son opposition à l’armement de la police municipale. Y êtes-vous favorable ?

J’y suis bien sûr favorable. Quand aujourd’hui, les policiers ont affaire à des délinquants de plus en plus armés, comment voulez-vous qu’ils puissent travailler à un même niveau ? Ils sont bien obligés de garantir leur protection et surtout celle de nos concitoyens.

Éric Piolle oublie que de nos jours, la police municipale fait partie du continuum de sécurité, ce qu’on appelait à l’époque de Nicolas Sarkozy dans les années 2000 la coproduction de sécurité. Aujourd’hui, la police municipale est la troisième force de sécurité civile en France avec 25.000 effectifs. Et les policiers municipaux sont en grande majorité les primo-intervenants sur les missions de police. Ce sont eux qui interviennent pratiquement à chaque fois les premiers, en particulier dans des villes comme Grenoble qui ont une police municipale importante.

En tant que primo-intervenants sans garanties de sécurité, ils ne peuvent que difficilement intervenir dans de bonnes conditions, notamment s’il s’agit d’un problème lié au trafic de drogue. Il ne s’agit évidemment pas d’aller armer les agents pour en faire des « cow-boys », ce n’est pas le sujet. Les policiers municipaux, comme la police nationale ou les gendarmes, sont soumis à la loi et notamment au respect des règles de la légitime défense.

D’ailleurs, les agents de police municipale armés sont formés par des formateurs de la police nationale, c’est-à-dire des agents qui sont diplômés d’État. Il y a derrière tout une formation, une pédagogie et un rappel des textes effectués pour qu’ils ne fassent pas n’importe quoi avec une arme de service une fois sur le terrain.

Grenoble est une ville connue pour l’insécurité qui y règne et plus précisément le trafic de stupéfiants. Elle est surnommée la « Chicago française ». Selon le site Ville-data.com, elle est en 2024 la septième ville la plus dangereuse de France devant Lyon et Marseille. À quand remonte cette augmentation de l’insécurité à Grenoble ?

À Grenoble, cela fait au moins dix ans qu’il y a un vrai problème. Je connais la situation puisque j’ai été l’un des dirigeants du syndicat Alliance Police nationale, et secrétaire général d’Alternative Police, syndicat que j’ai créé.

Depuis vingt ans, je dis qu’on ne réglera pas les problèmes de délinquance et de criminalité dans les quartiers difficiles de Marseille, Saint-Denis et Grenoble ou dans des villes plus petites tant qu’on considérera que la police est l’alpha et l’oméga pour régler les problèmes de sécurité.

Quel que soit le gouvernement au pouvoir, on en revient toujours au même débat. Soit on nous dit qu’il faut mettre des policiers partout pour faire de la prévention – comme avec la police de proximité, qui a d’ailleurs été un véritable échec -, ou alors il faut renforcer la présence policière pour faire de la répression. Mais cela ne marche pas et ne marchera pas tant qu’en amont, rien n’aura été fait en matière de politique de la ville et de politique économique et sociale.

D’ailleurs, si on a pu constater que pendant les Jeux olympiques, la présence accrue de la police avait en apparence permis de faire baisser la délinquance, il faut bien comprendre que certes, elle a diminué au niveau des sites des JO, mais tout autour, comme le disent les dernières statistiques publiées, les gardes à vue ont explosé. Le procureur de Paris a récemment parlé d’environ 3000 gardes à vue. C’est donc la preuve que la présence policière est importante, mais qu’elle ne réglera pas tous les problèmes.

Je rappelle que la délinquance est composée d’un noyau dur, c’est-à-dire des individus qui tiennent des trafics qu’il faut arrêter, mais également de tout ce qui gravite autour d’elle dont on ne sait pas s’occuper, notamment des enfants déscolarisés qui n’ont plus d’éducateurs pour les prendre en main quand ils ne sont plus à l’école.

C’est à ce moment-là que les recruteurs des trafics les repèrent. Et quand un enfant âgé d’environ quatorze ans rentre chez lui le soir avec 300 € dans sa poche parce qu’il aura fait le guet au coin d’un immeuble, il ne va plus vouloir aller à l’école et va préférer gravir les échelons de la délinquance pour finir un jour à la tête d’un petit réseau du quartier en gagnant entre 5.000 et 10.000 € par mois.

Il faut donc s’occuper de tout ce qui gravite autour de la délinquance, mais aujourd’hui, personne ne s’en charge. Les quartiers difficiles ont été désertés par les services publics. Le seul service public qui continue d’intervenir dans les cités aujourd’hui, c’est la police.

Par conséquent, des gens ont peur. Je sais ce qu’ils peuvent ressentir, j’ai vécu plus de quinze ans en cité difficile. La grande majorité des gens qui y vivent se lèvent tôt pour aller travailler, rentrent tard le soir et ne demandent qu’une chose, vivre en sécurité. Mais ils ne vivent pas en sécurité, ils sont abandonnés par l’État et la police y intervient seulement lorsqu’il y a des problèmes. Et ces habitants ne vont pas prendre le risque de dénoncer ce qui s’y passe, autrement, ils vont être les premières victimes des représailles.

Je crois qu’il faut réinvestir ces quartiers durablement. Ce réinvestissement passe par deux étapes : éradiquer les noyaux durs de la délinquance par de la répression, c’est-à-dire exfiltrer ceux qui tiennent les trafics et instaurer une police pérenne ; et mettre en place des services publics pour que les jeunes qui sont en déshérence puissent être repris en main.

Il faut aussi garder à l’esprit que pour les délinquants, nous ne sommes pas perçus comme les forces de l’ordre, mais comme une bande rivale. Nous arrivons sur un territoire qui n’est plus le nôtre. C’est le territoire du grand banditisme et des trafiquants. Et donc, on se fait tirer dessus.

Je suis réaliste et sais pertinemment que tout cela va prendre des années, mais si nous ne mettons pas en place ces changements maintenant, la situation va empirer. À un moment donné, il faut taper du poing sur la table.

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