Les sentiments de Raphaël étaient sans doute mitigés lorsqu’il a reçu sa première commande du puissant mécène qu’était le pape Jules II.
À 25 ans, Raffaello Sanzio était connu dans toute l’Italie comme une étoile montante de l’art. Il avait été choisi pour peindre des fresques dans quatre pièces du palais apostolique, la résidence officielle du pape. C’était un grand honneur et cela consoliderait certainement son statut professionnel.
Pourtant, des fresques plus prestigieuses, des peintures de pigments mélangés à du plâtre humide, sont peintes simultanément à quelques centaines de mètres de là, dans la chapelle Sixtine. Paradoxalement, Raphaël se trouvait dans l’ombre d’un artiste plus établi, mais moins expérimenté pour ce travail. Bien qu’il soit encore un peintre en devenir, Raphaël était un peintre accompli. Son rival était déjà au sommet du monde artistique en tant que sculpteur, mais n’avait jamais peint d’œuvre majeure.
Personne ne savait ce que Michel-Ange avait prévu pour le plafond de la chapelle Sixtine. Raphaël était déterminé à le surpasser quoi qu’il en soit. Pour ce faire, il a porté son attention sur la Stanza della Segnatura (chambre de la Signature), la pièce qui porte aujourd’hui le nom du tribunal (Tribunal suprême de la Signature apostolique) qui l’a utilisée à une époque ultérieure.
La chambre de la Signature
À l’époque de Raphaël, la Stanza della Segnatura était la bibliothèque du pape Jules. Elle était donc parfaite pour exposer la virtuosité artistique tout en symbolisant les idéaux de la Renaissance : une synthèse des idéaux de l’Antiquité avec la foi chrétienne. La pièce pouvait être consacrée au « vrai, au bon et au beau » qui se manifestait dans l’art et l’apprentissage, la foi et la raison, et la vie droite.
Sur la paroi nord, Le Parnasse célèbre la littérature. Homère, Virgile et Dante, les plus grands poètes épiques de la Grèce, de Rome et de l’Europe chrétienne, sont réunis en un trio. Des dizaines d’écrivains et de personnages de fiction les rejoignent de tous côtés.
De l’autre côté de la pièce se trouve Les Vertus cardinales et théologales, des qualités que les anciens partageaient avec les chrétiens. Au sommet de cette œuvre, les trois vertus cardinales, la prudence, la force et la tempérance, sont représentées sous forme humaine, tandis que les vertus théologales sont représentées par des chérubins. La quatrième vertu cardinale, la justice, a été peinte sur le plafond au-dessus. En bas à gauche et à droite, respectivement, l’empereur Justinien et le pape Grégoire IX avec leurs codes de droit civil et canonique.
La Dispute du Saint-Sacrement sur la paroi ouest symbolise la croyance chrétienne et l’érudition théologique avec de nombreuses figures bibliques, des saints et des papes entourant un autel.
L’école d’Athènes
Chacune de ces peintures aurait solidifié la réputation de Raphaël. Mais la fresque sur la quatrième paroi est devenue l’une des œuvres les plus définitives de la Haute Renaissance : L’École d’Athènes (1509-1511).
Au centre de cette œuvre se trouvent Platon et Aristote, encadrés par des arcs et des statues. Autour d’eux, une pléthore d’anciens penseurs : Socrate, les mathématiciens Euclide et Pythagore, le philosophe juif Philon d’Alexandrie, et bien d’autres.
La scène réunit histoire et symbolisme, comme un hommage aux grands esprits du passé. De nombreux personnages sur la fresque capturent l’esprit de la vie intellectuelle de l’Antiquité. Platon a effectivement fondé une école à Athènes. Pendant 300 ans, elle a été un centre de vie intellectuelle pour l’ensemble du monde méditerranéen. Aristote était son élève et son ami. Plusieurs autres personnages sur la fresque ont écrit des œuvres étudiées à l’école de Platon, ont été associés à celle-ci plus tard dans l’histoire, ou étaient des contemporains de son fondateur.
Un autre niveau de symbolisme se trouve dans les modèles de Raphaël, qui étaient des personnages éminents de son époque. Leur utilisation impliquait qu’ils étaient ancrés dans la tradition classique et dignes successeurs des anciens.
Le recours à des mécènes artistiques était une pratique courante et ne relevait pas de la pure flatterie. La dévotion de nombreux mécènes pour l’humanisme de la Renaissance était profonde et authentique. Leur soutien financier rendait possible le travail des génies. Mais leur présence dans L’École d’Athènes est particulièrement subtile. Le seul dont nous savons qu’il était présent est le duc Federico II de Mantoue, et il a servi de modèle à un personnage mineur du tableau dont l’identité est inconnue. Le pape Jules II aurait normalement été inclus en tant que mécène de l’œuvre. Mais comme il a servi de modèle au pape Grégoire IX dans La Dispute du Saint-Sacrement, il a été possible de ne pas l’inclure.
Pour faire une déclaration intentionnelle, Raphaël a utilisé d’autres artistes comme modèles pour les philosophes et les intellectuels de l’œuvre. Au Moyen Âge, les artistes étaient considérés comme des ouvriers analogues aux maçons, aux tailleurs de pierre et aux charpentiers. Les artistes de la Renaissance ont insisté sur le fait que leur travail était analogue à des activités supérieures telles que la poésie et la philosophie.
Un personnage aussi important que Léonard de Vinci était le modèle de Platon. Parmi les autres artistes-modèles figuraient Bramante, le professeur de Raphaël, et son bon ami Timoteo Viti. Dans un hommage particulièrement touchant envers son rival, qu’il admirait beaucoup, Michel-Ange a été inclus au premier plan dans le rôle d’Héraclite.
Il a réservé la silhouette du plus grand artiste du monde de l’Antiquité, Apelle, comme son autoportrait. Cela ne signifiait peut-être que le désir de suivre les traces de son illustre prédécesseur. Cette audacieuse affirmation de soi n’aurait toutefois pas été conçue comme un désaveu pour les autres artistes-modèles. Léonard de Vinci, Michel-Ange et Raphaël avaient pour Apelle le même respect que nous avons pour les Trois Grands de la Renaissance. Si Raphaël voulait laisser entendre qu’il était un nouvel Apelle, il aurait également laissé entendre que seul un nouvel Apelle pouvait s’élever au-dessus de ses plus grands contemporains.
Les artistes de la Renaissance ne voyaient aucun conflit entre une concurrence intense et un profond respect mutuel. La volonté de surpasser les hommes dont ils admiraient le génie les poussait à porter l’art à des sommets toujours plus élevés.
Les fresques de la Stanza della Segnatura ne sont pas seulement l’un des plus grands produits de cette rivalité, mais aussi la célébration artistique suprême de celle-ci. Léonard de Vinci et Michel-Ange y auraient reconnu l’esprit qu’ils partageaient avec leur créateur. C’était l’esprit d’hommes pleinement conscients de leur dépendance à l’égard des leçons apprises des géants du passé et de leur propre époque, mais qui avaient également une confiance totale dans leur propre capacité à les soutenir.
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